Livre 4, Chapitre 28 – Secret caché

Quelle honte. Quelle putain de honte.

Cloudhawk baissa les yeux sur le corps de Belinda et sentit son cœur s’enfoncer dans le creux de son estomac.

Elle était la plus prometteuse de l’équipe de Claudia. Elle avait le physique, les aptitudes, l’intelligence et un point de vue unique. Bien qu’elle ne connaisse presque rien du monde, elle était si pleine de confiance qu’elle frôlait l’arrogance. Mais, tous les jeunes ne sont-ils pas pareils ? Pourquoi le destin a-t-il choisi de lui enlever une chance de vivre ?

Si elle avait survécu, Belinda serait retournée à Skycloud et serait devenue une excellente chasseuse de démons. Au minimum, elle aurait rapidement surpassé son sergent, Claudia. Belinda aurait été un nom à retenir à Skycloud. Mais maintenant, elle n’était plus qu’un corps froid.

Quelle perte. Sans aucun doute, lorsque les étoiles montantes s’éteignent prématurément, c’est toujours une tragédie.

Rei serra le corps de Belinda dans ses bras et sanglota. Ses propres blessures n’étaient pas encore guéries, et l’excroissance suppurait encore sur son visage. Si elle ne s’en occupait pas bientôt, elle aurait des cicatrices permanentes, mais la douleur de sa perte était dévorante. Elle ne se souciait pas de quelque chose d’aussi inepte que son apparence.

Crain et Tigron essuyaient également leurs larmes. Les deux jeunes hommes étaient accablés de honte.

Quand Mason est mort, ils étaient furieux mais pas tristes. Mais Belinda avait leur âge. Elle était la plus douée, quelqu’un qu’ils connaissaient depuis longtemps. En tant que collègues diplômés, ils partageaient une connexion plus profonde.

Voir une amie mourir sous leurs yeux… ils ne pouvaient pas cacher la douleur que cela leur causait.

De tous, Belinda était celle qui était censée survivre ! L’un ou l’autre de ses frères aurait volontiers échangé sa vie contre la sienne, car le reste de l’équipe, ensemble, n’était pas à la hauteur de son potentiel.

Claudia tendit la main et ferma doucement les yeux aveugles de Belinda. Elle se releva et regarda les autres avec un visage dénué d’émotion. Elle n’était plus la même fille qui était entrée dans les terres désolées pour la première fois il y a des années. Elle était familière avec la perte.

La mort d’un membre de l’équipe était l’échec d’un leader. Elle ressentait le chagrin, la honte, et le remords – mais elle était leur sergent. Claudia mettait tout ça de côté. Ses mots étaient solennels et doux alors qu’elle souhaitait à l’esprit de Belinda une éternité dans l’étreinte des dieux parmi les sommets voûtés de Sumeru. Le reste de l’équipe se rassembla et offrit un dernier salut à leur camarade tombée au combat.

Barb était touchée par ce qu’elle voyait. Même Butcher, aussi laid que soit son esprit, avait du respect pour la jeune fille qui avait donné sa vie. Tant que Skycloud aurait des chasseurs de démons aussi dévoués qu’elle, il serait florissant.

Azura était cachée derrière une stèle, observant tranquillement. Elle s’était cachée dès que le combat avait commencé car elle ne pouvait rien faire. Parce qu’elle n’était pas une menace, elle avait été ignorée par les créatures qui avaient essayé de tuer ses amis. Elle était comme un petit lapin, et qui se sentait menacé par un petit lapin ?

Ses grands yeux bleus étaient fixés sur Belinda dans ses derniers instants, et elle sentait la sensation de froid s’installer dans son cœur. Elle avait du mal à comprendre qu’elle ne reverrait plus jamais sa sœur aînée, jeune et puissante. Il y a juste une seconde, elle était… c’était la mort, cruelle et impartiale.

Autumn avait été gravement blessée par les Dryades, mais avec un peu de soins, elle était stable. La mort de Belinda la frappa au plus profond d’elle-même. Elle était ici pour faire son devoir, et voilà ce que cela lui valait. Elle commençait à comprendre l’importance de la force et des responsabilités.

Le vieil ivrogne était aussi froid que l’acier. Avec une vie comme la sienne, on devient très proche de la mort. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais s’arrêta quand il entendit quelque chose. Il était immédiatement en alerte.

« C’est assez. Nous n’avons pas le temps de rester assis ici et de pleurer sur notre perte. Remballez tout, on doit partir. »

À ce moment-là, Cloudhawk sentit également que quelque chose n’allait pas. Par instinct, il tourna son regard vers l’arbre et devint rigide. Les Dryades, toutes coupées en morceaux, n’étaient pas mortes. Tous les différents morceaux d’entre eux glissaient ensemble.

Ils étaient tous des boules de tentacules fouettant comme des pieuvres hideuses. Des lianes glissaient dans tous les sens, s’accrochant à tout ce qui était proche et rassemblant les morceaux. Les Dryades ne se reconstituèrent pas complètement – plutôt comme si elles avaient été rapiécées par un mauvais tailleur – les morceaux disparates devinrent au contraire une monstrueuse amalgame.

L’abomination mesurait facilement quatre mètres de haut, était laide comme l’enfer et avait été assemblée de façon désordonnée. Des lianes s’échappaient des différentes fissures, comme des fils superflus ou des cheveux poussant sans cesse.

Il ne s’était pas encore entièrement reconstitué, mais la menace qu’il représentait était clairement ressentie par tous. Désireux de déchirer les envahisseurs d’un membre à l’autre, il avança d’un pas traînant, bien que ses jambes ne puissent pas encore supporter tout le poids de son corps.

L’Arbre Charnel a été détruit. Pourquoi ces monstres n’étaient-ils pas morts ? Cloudhawk se renfrogna, les sourcils serrés dans ses pensées. Il avait trop simplifié leur situation. Les créatures n’avaient pas seulement tiré de l’énergie de l’arbre. Elles avaient aussi leur propre énergie. Il était stupide de penser que les déchirer juste une fois serait suffisant.

Merde. En regardant l’horreur s’approcher, Cloudhawk pensa immédiatement à ce vieux con de Majjhima et aux créatures qu’il avait fait éclore. Il avait peut-être une douzaine de ces protofiends à sa disposition, et quand il absorbait leur pouvoir, il était presque trop difficile à gérer. Il était facile de supposer, alors, que ce monstre qu’ils affrontaient maintenant était au moins aussi dangereux.

Ils n’étaient pas assez forts pour gérer le super Dryade tout seul.

« Bougez-vous, allez ! Il faut qu’on sorte d’ici. »

Cloudhawk cria l’ordre, espérant les faire bouger avant que la Dryade ne se forme complètement. Autumn leur indiqua l’entrée d’un hall à l’arrière, et ils commencèrent à fuir dans cette direction.

Alors qu’ils se pressaient tous dans la sécurité relative du hall, ils entendirent un terrible rugissement derrière eux. Autumn regarda en arrière et sentit l’emprise glaciale de la peur la saisir. La Dryade massive était complètement formée, et sur tout son corps – de ses épaules à sa poitrine et à ses bras – il y avait une masse de visages sauvages. Sa tête était constituée de quatre visages pressés ensemble qui pouvaient voir dans toutes les directions à la fois. C’était une créature qu’elle n’aurait pas pu imaginer dans les profondeurs de ses cauchemars les plus sombres.

Le sol de la chambre commença à se fissurer et d’innombrables lianes en sortirent.

Sous leurs yeux, l’antichambre se transforma en une masse ondulante tandis que des lianes s’étendaient de partout. La Dryade s’accroupit alors que des vagues successives de lianes ondulantes l’entraînaient à une vitesse incroyable vers les envahisseurs.

Autumn haleta d’une voix tremblante. « Fermez la porte ! »

Cloudhawk et l’ivrogne s’acharnèrent sur la porte, forçant le lourd portail à se fermer. Ils réussirent à la fermer avant que le déluge de flore ne puisse les atteindre, mais toute la zone trembla sous l’impact de la Dryade qui se déchaînait contre la porte. Personne ne savait combien de temps la barrière allait tenir.

Pas longtemps. De petites plantes rampantes se frayaient déjà un chemin à travers les fissures de la porte et du cadre. Ça n’allait pas être suffisant pour tenir le monstre à distance.

« Cette satanée chose est trop forte. Oubliez ça, continuez à vous enfoncer ! »

Cloudhawk entraîna les autres dans le couloir, l’aveugle guidant l’aveugle, courant aussi vite que leurs jambes pouvaient les porter. Mais, peu importe la direction qu’ils prenaient ou la vitesse à laquelle ils couraient, les lianes fouettaient sur leurs talons. La force de la Dryade semblait illimitée, et elle les poursuivait comme la puanteur sur la merde.

Heureusement, le mausolée était massif, et sa construction labyrinthique. Cloudhawk se jeta sur le chemin qui se présentait à lui, sans aucune orientation, jusqu’à ce qu’ils arrivent dans une grotte. Elle était différente du reste du mausolée, dont les halls étaient faits de racines d’arbres et les chambres étaient toutes délibérément construites. En revanche, la grotte semblait parfaitement naturelle.

Cloudhawk demanda à Autumn ce qu’elle en pensait, mais elle était perdue. Le mausolée était un mystère depuis les temps anciens, un lieu interdit à tous sauf à une poignée de personnes. Tous les sacrifices étaient laissés à l’extérieur, dans la chambre qu’ils avaient déjà traversée, et les anciens morts étaient enterrés dans l’Arbre Charnel. Au-delà de ça, même les chefs de tribus s’aventuraient rarement loin dans la tombe.

A cette profondeur dans la dernière demeure du berger, Autumn doutait que quiconque soit familier avec la disposition des lieux. Elle n’avait jamais entendu parler des sections les plus profondes, et encore moins d’une caverne.

Mais, ils n’avaient pas le temps d’y réfléchir. La Dryade qui les poursuivait était impitoyable et infatigable. Comme il n’y avait pas d’autre moyen d’avancer, ils devaient tenter leur chance dans la caverne. Cloudhawk et les autres avancèrent.

Comme prévu, c’était une caverne naturelle. Cependant, l’air humide et fétide qui sentait la viande putride était quelque peu inattendu.

Barb semblait sentir que quelque chose n’allait pas. « Regarde, qu’est-ce que c’est ? »

Le sol de la grotte était parsemé d’œufs, le plus petit faisant trois fois la taille d’un œuf d’oiseau typique. Les coquilles étaient d’un blanc pâle mais légèrement opaque pour révéler une légère teinte verte à l’intérieur. Barb prit sa baguette d’exorciste et en donna quelques coups. Quand il se fendit, quelque chose en sortit, recouvert d’un fluide visqueux.

Cela ressemblait plutôt à un oiseau sans plumes, recouvert d’une chair tendre et rose. Ce qui avait poussé dans l’œuf était pratiquement formé, plus ou moins prêt à se battre pour sortir dans le monde.

Le groupe se fraya un chemin parmi les œufs et s’enfonça plus profondément dans la caverne.

Au fur et à mesure que la zone se dévoilait, tout le monde était choqué de voir que l’endroit était couvert d’œufs. Autumn, en particulier, était stupéfaite car elle n’avait jamais entendu parler de cet endroit. Où étaient-ils ? Quel était cet endroit ? Que faisait une caverne aussi étrange au milieu du mausolée de son dieu ?

C’est à ce moment-là que Cloudhawk, qui avait pris les devants, sentit le sol trembler très légèrement. C’était faible comme une brève décharge électrique. Son visage se crispa en une expression de confusion.

Le vieil homme le vit. « Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Cloudhawk lui fit signe de se taire. Ses yeux scrutèrent l’obscurité de la caverne, puis posèrent à Autumn une question réfléchie : « Que sais-tu du mausolée ? Est-ce vraiment là où le corps du berger est enterré ? »

La question la prit au dépourvu. Elle ne savait pas pourquoi Cloudhawk pensait soudainement le contraire.

Les autres commencèrent également à sentir un air inquiétant s’installer sur eux. Si ce n’était vraiment qu’une tombe, pourquoi y aurait-il des protecteurs aussi forts que les Dryades ? Que faisaient tous ces œufs ici ?

« Honnêtement… je ne sais pas. On dit parmi mon peuple que le plus grand secret du Vale est caché profondément dans le mausolée. Bien qu’aucun de nos anciens, depuis des générations, ne sache ce que c’est. Les légendes disent que quoi que ce soit, c’est la raison pour laquelle la Vallée boisée a été créée. Notre plus grand trésor. »

Elle fit une pause, et ses sourcils se froncèrent en pensée.

« Avec tous les changements dans le mausolée, je soupçonne l’ancien d’utiliser des pouvoirs extérieurs. Il doit essayer de découvrir ce secret. Nous n’avons pas beaucoup de temps. »

Adder ? Ce connard adorait causer des problèmes !

Les yeux de Cloudhawk se durcirent sous la promesse de la violence.