Livre 3, Chapitre 24 – Le sous-chef

Asha lui avait dit que Squall était toujours en vie. Il était venu lui rendre visite plusieurs fois.

Cloudhawk et le jeune survivant de Bloomnettle ne se connaissaient pas depuis longtemps, mais tous deux avaient joué un rôle important dans la vie de l’autre. Il le considérait comme un ami. Il avait pensé plus d’une fois à ce que cela ferait s’ils se rencontraient à nouveau, mais jamais en mille ans il n’aurait imaginé que cela se passerait ainsi.

C’était une preuve de plus que le destin aimait jouer avec ses victimes humaines.

Squall n’était pas un Élyséen pur et dur. C’était particulièrement vrai maintenant qu’il était considéré comme un fugitif aux yeux de son ancien peuple. Mais les gens dans sa situation cherchaient généralement à devenir membres de Dark Atom. Dans les entrailles de Skycloud, lui et les autres avaient été pris en charge par Majjhima, un agent de Dark Atom. C’était logique. N’ayant personne d’autre vers qui se tourner, Squall aurait dû s’allier à Wolfblade.

Il était presque impensable que le jeune homme insouciant et au grand cœur d’il y a des années choisisse de rejoindre ces voyous. Plus que ça, il avait déjà été promu sous-chef d’équipe. Un changement aussi radical était stupéfiant, c’est le moins qu’on puisse dire.

Le Squall qui se tenait devant Cloudhawk était plus mature que dans son souvenir. Il avait abandonné la tresse de sa jeunesse et laissait ses longs cheveux descendre jusqu’à ses épaules. Un simple bandeau les maintenait en place, lui donnant une apparence plus héroïque. Le temps et les éléments avaient marqué sa peau, bronzée et rugueuse. Une paire d’yeux durs brillaient comme des bougies, à la fois familiers et étranges. Il était impossible de savoir ce que le jeune homme avait vécu dans les ténèbres, mais quoi que ce soit, ça l’avait changé.

« Comme vous, braves hommes forts, mon temps avec la famille a été court. Par chance, notre maître a choisi de me faire cadeau de ma position. Comme il l’a dit, nous n’accepterons pas la faiblesse. Si vous voulez faire partie des bandits de grand chemin, alors vous devrez prouver que vous avez quelque chose à apporter. »

Squall s’était tenu devant les recrues potentielles, sa voix portant à travers la foule.

« Je ne vais pas vous faire perdre votre temps avec des conneries. C’est votre chance ; défiez-moi ou un autre chef d’équipe. Survivez à dix coups et vous êtes admis. Battez-moi ou un autre chef d’équipe et vous prenez notre place. D’un autre côté, ne nous en voulez pas si vous vous étouffez en mordant plus que vous ne pouvez mâcher. »

Les bandits de grand chemin n’étaient pas du genre à s’embarrasser de règles. Les défis avaient immédiatement commencé.

Des chuchotements s’étaient répandus dans la foule alors que les gens essayaient de mettre au point leurs plans. Alors que les gens marmonnaient encore, un homme mince d’âge moyen s’était avancé. « Je vous défie ! »

Le premier défi public était arrivé plus vite que prévu. Manifestement, qui que ce soit, il avait une haute opinion de lui-même.

Squall avait regardé l’adversaire. L’homme d’âge moyen était mince, pâle, et avait les yeux enfoncés. Tout en lui était terne et déprimant, comme s’il avait été taillé dans une pierre sans cœur. Ses vêtements étaient usés, et un fourreau enveloppé de morceaux de tissu pendait à sa taille. Sur son dos était accrochée une gourde à vin ébréchée. À côté de lui, un jeune garçon se déplaçait inconfortablement. Il n’avait pas l’air d’être une offrande. C’était peut-être le fils de l’homme.

« Bien. » Squall ne dit rien de plus. Il se contenta d’avancer et de saisir sa baguette d’exorciste. « Quel est ton nom ? »

« Serpent Vert. » Le regard de l’homme était vif, fixe. Il posa sa main sur la poignée de son épée et se tint prêt. « Attention, ‘sous-chef’. Une fois mon épée sonique dégainée, je ne la range pas avant de m’être amusé. »

Squall répondit avec un sourire plein d’assurance, « Épée sonique. C’est un mouvement martial célèbre, n’est-ce pas ? Es-tu un artiste martial ? »

Serpent Vert ne répondit pas. Il se retourna, sortit la gourde de vin de son dos et la tendit au jeune garçon, qui la prit consciencieusement. Ses yeux enfoncés, éteints, s’étaient tournés vers Squall. Puis il avait attaqué.

La foule pouvait à peine le voir tant il était rapide. Il lança son épée, toujours enveloppée de tissu. Au même instant, il bondit et saisit la poignée de l’épée dans les airs avec un grognement profond. Un son explosif retentit comme un canon. Alors que le fourreau de la lame se dirigeait vers Squall comme une baliste, la lumière froide de l’épée à l’intérieur fut révélée.

Les yeux de Squall avaient brillé.

Clang !

Sa baguette d’exorciste siffla dans l’air et fit tomber le fourreau, qui s’encastra dans un mur proche. Des fissures s’étaient répandues dans la pierre jusqu’à ce que, d’un seul coup, le mur explose vers l’extérieur. Si le fourreau pouvait causer ce genre de dégâts, que pouvait faire l’épée du Serpent Vert ? Ils allaient le voir, car son attaque était arrivée juste après la première.

La baguette d’exorciste continua à tourner en rond avant de revenir dans la main de Squall. Un crissement assourdissant de métal sur métal retentit alors que le bâton et la lame se rencontraient.

« Joli ! »

Les bandits applaudissaient et les recrues regardaient avec une attention fervente. Le premier challenger avait manifestement du talent, et ce sous-chef récemment promu était aussi quelque chose. Tout le monde savait que les chasseurs de démons n’étaient généralement pas des combattants au corps à corps, mais le jeune bandit de grand chemin n’avait pas encore utilisé ses pouvoirs de chasseur de démons. Cela signifiait qu’il pouvait tenir son rang même sans eux.

En sautant dans les airs et en lançant son fourreau, Serpent vert avait montré son talent martial. Il n’était en aucun cas un maître, mais il était toujours un étudiant en arts martiaux. Les hommes comme lui occupaient souvent des postes élevés dans l’armée élyséenne. Et ce n’était que sa première attaque, destinée à évaluer ce dont Squall était capable.

Squall répondit par une contre-attaque.

Serpent Vert regardait, calme et prêt à réagir. Son épée était faite de matériaux spéciaux, ce qui la rendait assez tranchante pour couper le fer. Il pensait qu’elle pourrait facilement éloigner le bâton d’apparence simple. Avec un éclair dans ses yeux verts, leurs deux armes se rencontrèrent à nouveau. Serpent Vert fit un geste du poignet, et bien que personne ne l’ait vu rassembler de l’énergie, une explosion de puissance jaillit de son épée. L’épée sonique !

Le plus grand coup de Serpent Vert !

La vitesse du son était considérée comme une barrière pour la plupart des guerriers. Quel que soit le niveau d’entraînement ou de force, il était extrêmement difficile de dépasser la vitesse du son en n’utilisant que son corps. C’était impossible à moins de surmonter les contraintes du monde extérieur et de puiser dans le potentiel de chaque cellule, de chaque fibre. C’est ce que les artistes martiaux appelaient la vraie puissance.

Que ce soit dans les airs ou sous l’eau, un guerrier pouvait rassembler d’énormes quantités de puissance. Ceux qui maîtrisaient le potentiel de leur corps n’avaient pas besoin d’être sur la terre ferme pour l’invoquer. Leur corps était comme une corde d’arc, il suffisait de la tendre et de la tirer. Presque d’un seul coup, Serpent Vert asséna une douzaine de coups rapides avec son épée dans un torrent. C’était une technique qu’aucun combattant normal ne pouvait utiliser. Seuls ceux qui avaient reçu un entraînement spécial pouvaient la pratiquer en toute sécurité.

Squall brandit son bâton dans la rafale, et les deux armes s’entrechoquèrent vingt, trente fois en succession rapide. L’air était rempli d’étincelles, et le son assourdissant de leur combat perçait l’oreille. Cependant, l’attaque de Serpent Vert était trop forte. Squall était lentement repoussé.

Pour le moment, le guerrier d’âge moyen avait l’avantage. Cependant, il fit marche arrière, obligeant Squall à s’étendre et à frapper dans le vide.

Serpent Vert lança son épée.

L’arme tournoya dans l’air comme un boomerang, visant la taille de Squall. C’était parfaitement exécuté, une technique qui demandait une grande habileté. Utilisée correctement dans un combat, elle pouvait renverser le cours des choses. Mais Squall était rapide et sauta par-dessus l’épée avant qu’elle n’atteigne sa cible.

Elle se fraya un chemin dans l’air et commença à se diriger vers le propriétaire de l’épée.

Serpent Vert le vit. C’était sa chance. Squall n’était pas un artiste martial, mais même un chasseur de démons ne pouvait pas esquiver quand il était dans les airs. C’était l’occasion de mettre à terre le chef des armées d’un seul coup bien placé.

Il arracha l’épée des airs et sauta, visant Squall d’un coup définitif.

La baguette d’exorciste du chasseur de démons émit un cri strident tandis qu’il la lançait comme un javelot. Cependant, Serpent Vert était prêt. Il savait que le jeune homme était un chasseur de démons et qu’il s’était retenu. Mais, n’était-il pas trop tard maintenant ? Le challenger d’âge moyen s’était habilement détourné de la trajectoire du bâton.

Boum !

Lorsque le bâton toucha le sol, il laissa un cratère de plusieurs mètres de diamètre. L’arme en métal noir était fixée en plein centre.

La foule regarda, les yeux écarquillés, comme si elle avait été frappée par la foudre. Si Squall avait commencé le combat avec un tel coup, l’épée fragile de Serpent Vert aurait été impuissante. Maintenant, il était trop tard. Il semblait que le nouveau chef adjoint de Blackfiend allait bientôt être remplacé.

Serpent Vert ne s’était pas retenu. Il puisa en lui toute sa vigueur et la concentra dans son poing droit, puis dans l’épée et enfin dans sa pointe.

Squall avait réagi d’une manière à laquelle personne ne s’attendait. Il tendit le bras et attrapa la lame avec sa main gauche bandée. Ce faisant, les bandes de tissu avaient commencé à se désintégrer. Petit à petit, elles s’étaient dissoutes en cendres, révélant son bras et les tatouages entrecroisés en dessous. Cependant, ce n’était pas des tatouages ordinaires. Les lignes brillaient d’une lumière rouge.

Pour Serpent Vert, c’était comme s’il avait enfoncé son épée dans une éponge.

Quand Squall rassembla assez d’énergie, c’était comme si son bras avait doublé de taille. La lumière s’écoulant d’eux s’assombrit progressivement jusqu’à devenir violette avant qu’il ne pousse sa main en avant, libérant toute l’énergie accumulée.

L’épée de Serpent Vert explosa. De la pointe à la poignée, elle se fractura en cent mille éclats de métal et explosa vers son porteur.

Serpent Vert toucha le sol mais ne put éviter les éclats. Curieusement, il ne fut que légèrement blessé.

« Pas mal ! Tu as un certain talent. » Squall s’approcha de lui indemne tout en ré-enveloppant son bras d’un bandage. « Assez pour être un chef d’équipe. Prends l’équipage seize. Et à partir de maintenant, tu peux te considérer comme mon aide. Bien sûr, tant que Maître Blackfiend approuve. »

Blackfiend acquiesça d’un signe de tête.

Il avait perdu, mais l’artiste martial avait fait assez pour impressionner ses supérieurs. Il avait reçu le commandement d’un équipage. Serpent Vert ne dit rien, il se leva et retourna dans la foule. Le jeune garçon rendit la gourde qu’il avait protégée.

Squall envoya ses yeux chercher une fois de plus dans la foule. « Qui est le suivant ? »

Un autre homme de petite taille s’avança avec un autre défi pour Squall.

Il pensait que c’était le bon moment. Squall devait être un peu fatigué du dernier échange, et il savait maintenant un peu de ce que le chasseur de démons pouvait faire. Le petit homme savait qu’il n’avait pas le même niveau que Serpent Vert, mais il était confiant et pensait être assez bon. Dix mouvements, c’était tout ce qu’il avait à gérer. Peut-être qu’ils feraient de lui un chef d’équipe.

Le résultat n’était pas ce que le petit homme espérait. Squall lui avait ouvert le crâne d’un seul coup de baguette d’exorciste.

« Cette merde opportuniste pensait avoir ce qu’il fallait. Clairement, il ne l’avait pas. » Squall était couvert de sang et de morceaux de matière cérébrale. Son apparence macabre combinée à son bras mystérieusement bandé faisait de lui une présence intimidante. Deux hommes l’avaient défié avec deux résultats très différents.

« Continuez ! »

Le reste de la foule partagea des regards nerveux.

Le jeune sous-chef avait peut-être l’air inoffensif avec son sourire en coin, mais il ne se retenait pas quand il s’agissait de tuer. Pas étonnant qu’il soit un membre si important des bandits de grand chemin.