J’ai encore sous-estimé les dieux. Cloudhawk réfléchissait à la situation, assis sur les marches du palais. De là, il pouvait observer la planète qui tournait lentement.
Un orbe en grande partie brun et gris, flottant dans une vaste obscurité. Il remplit son champ de vision. Toutes les chaînes de montagnes, les déserts et même les cicatrices d’une ancienne guerre étaient visibles.
Quatre-vingt-dix pour cent de la planète était d’une teinte brune et morte. Son environnement brûlant n’épargnait que quelques poches de couleur. Cloudhawk se souvint d’une image qu’il avait vue sur la base de l’Arche, celle d’un monde enveloppé d’émeraude et de saphir.
À l’échelle universelle, mille et quelques années ont été un clin d’œil. Mais pour les habitants de ce monde, c’était un cataclysme qui inaugurait une ère terrible.
Il leva la tête. Au-dessus de lui s’étendait un vaste panorama d’étoiles. Ce tapis scintillant était juste ce que ses yeux pouvaient voir. Et il était là, sur une station spatiale suspendue entre les deux. Tout autour, des vaisseaux faisaient la navette, transportant hommes et matériel. Des centaines de Séraphins travaillaient sans relâche.
La super-arme divine était longue et plate. Lisses à première vue, les disques étaient en fait une série d’anneaux. Chacun d’entre eux tournait à des fréquences différentes, certains dans le sens des aiguilles d’une montre, d’autres dans le sens inverse. Même inachevée, l’arme était impressionnante.
Comment l’ancienne civilisation avait-elle péri ? Ce n’était pas une catastrophe naturelle, Cloudhawk en était sûr. Ces armes étaient le coupable. Entre elles et la puissance combinée des quatre royaumes élyséens, elles avaient le pouvoir de modifier le paysage de façon permanente.
L’épée de Sumeru était presque terminée. Skycloud n’avait alors plus aucun espoir de survivre.
La Forteresse céleste avait une portée de mille kilomètres. Il pensait que l’Alliance verte ne pouvait même pas en atteindre une centaine. Récemment, la Forteresse céleste avait recommencé à s’élever, passant d’une centaine de kilomètres à plusieurs centaines. Hors de portée de l’Alliance verte. L’armada massive et les troupes puissantes n’étaient même pas nécessaires. Ils pouvaient éradiquer tous les êtres vivants de Skycloud rien qu’avec cette super-arme.
Un seul tir. Assez pour raser une ville. La dernière fois qu’il avait entendu parler d’une telle puissance, il s’agissait d’armes nucléaires. La forteresse pouvait passer au-dessus de sa tête et détruire les terres arides avec autant de soin qu’on saupoudre des pétales de rose. Pendant ce temps, toutes les personnes qu’il essayait de protéger – Sélène, Aurore, Wolfblade – seraient toutes consumées par les flammes.
Comment pouvaient-ils se protéger ? Les humains n’avaient aucun moyen de se défendre contre de telles armes. Tout ce qu’ils pouvaient faire, c’était assister à leur extinction, brûlant ville après ville jusqu’à ce qu’il ne reste plus que de la terre brûlée et des corps.
La riposte ? Pour les “rebelles”, le plus tôt serait le mieux. Cependant, l’Alliance verte ne disposait que d’une poignée de vaisseaux capables de voler à haute altitude. La Forteresse céleste était entourée de vaisseaux et était gardée par les personnes les plus puissantes de la planète. En apparence, Skycloud semblait condamné. Cloudhawk était leur seul espoir.
Le cercle intérieur était installé près de la structure de l’épée, donc s’il agissait d’ici, il y avait de fortes chances qu’il les mette hors d’état de nuire. Mais qu’importait s’il y parvenait ? Ils se contenteraient de la reconstruire.
Cloudhawk ne savait toujours pas comment le Temple pouvait se déplacer. Ce qu’il avait appris, c’est qu’il était alimenté, au moins en partie, par des radiations provenant de l’espace. Ces radiations étaient probablement recueillies, puis converties en énergie utilisable par le Temple pour se déplacer et alimenter ses défenses. C’était un conduit qui fournissait de l’énergie à toutes les technologies divines à sa portée.
Sans le temple, il n’y aurait pas de Forteresse céleste. Il devait l’abattre.
Il n’avait pas agi de manière irréfléchie et s’était efforcé de rester discret au cours des jours suivants. Il savait qu’il devait réfléchir attentivement. Quatre dieux se trouvaient dans le temple, entourés de pièges et d’autres défenses. Cloudhawk ne pouvait pas voir au-delà de la coquille noire pour obtenir plus d’informations. Cela n’empêchait pas l’intense sentiment de danger qu’il ressentait à son contact. Il avait la sensation désagréable qu’une fois entré, il y avait des chances qu’il n’en ressorte jamais.
Il pouvait sentir qu’on l’attendait, comme on attire une mouche dans une toile.
Une ombre passa sur lui tandis qu’Idonea s’asseyait à ses côtés. Elle suivit son regard vers la planète qui tournait tranquillement. C’était vraiment le meilleur endroit pour regarder le monde passer. Cependant, la vue n’arrangeait en rien son air abattu. « Penses-tu que l’utilisation de ces armes soit une bonne décision ? »
« Tu t’inquiètes pour ton père ? »
« Il n’y a pas que lui. J’ai entendu dire que deux millions de personnes vivaient à Skycloud. Ils ne peuvent pas tous être des blasphémateurs. Il doit y avoir des gens justes, des combattants qui défendent les dieux. Des croyants qui luttent contre les ténèbres… Je commence à penser que les dieux ne se soucient pas des vies humaines ordinaires. »
« Tu n’as pas peur que quelqu’un t’entende dire cela ? Tu pourrais être punie. »
« Tu vas me dénoncer ? »
« Qu’en penses-tu ? »
Idonea ne savait pas si c’était réel ou non, mais elle commençait à penser que l’homme à ses côtés était fiable. Quels que soient les problèmes qui se présentaient à lui, il les affrontait avec confiance.
« Nous sommes trop jeunes pour faire la différence. » Elle fronça les sourcils. « Je ne peux même pas utiliser ma relique. Je me sens handicapée ! »
Cloudhawk tourna la tête pour la regarder. Il y avait quelque chose d’attachant dans ce qu’il voyait. « Peux-tu me prêter ton collier pour un petit moment ? »
Sa demande la laissa perplexe. « Que vas-tu en faire ? »
« Je pense que c’est intéressant », déclara-t-il en guise d’excuse. « Je n’ai jamais rien vu de tel, alors je voulais voir ce que je pouvais apprendre. »
« Mon père a traversé beaucoup d’épreuves pour m’obtenir cela… d’accord. » Idonea ne voyait aucune raison de ne pas lui faire confiance. « Je ne peux pas l’utiliser ici de toute façon, alors tu peux le garder quelques jours. »
Elle la détacha et la déposa dans la main de Cloudhawk. Il la laissa rouler dans sa paume, faisant scintiller la lumière des étoiles sur ses facettes. On ne savait pas exactement de quoi elle était faite – quelque chose comme de l’argent, mais aussi du cristal. La surface avait un étrange reflet métallique, mais restait translucide. À l’intérieur, de faibles scintillements donnaient l’impression qu’il contenait des fragments de l’univers.
Il était magnifique. En le regardant capter la lumière, ils eurent tous deux la même pensée. En se penchant plus près pour voir, leurs mains se touchèrent par inadvertance.
Lorsqu’elle le découvrit, le visage d’Idonea rougit. Elle se redressa. « Joli, n’est-ce pas ? Mais malheureusement, il n’est pas très solide. Il n’est bon que pour la défense. »
« Ce n’est pas vrai. Si tu veux mon avis, la puissance spatiale peut vaincre n’importe quelle force agressive. » Le collier en main, Cloudhawk posa un instant son regard sur l’épée de Sumeru. « Merci de me l’avoir prêtée. »
Idonea regarda le profil de Cloudhawk sur le fond scintillant de l’espace. Il y avait quelque chose d’indéchiffrable derrière ses yeux.
Il y avait une raison pour laquelle il lui avait demandé son collier, bien sûr. Les perturbations causées par ces balises déstabilisaient l’utilisation des reliques de haut niveau. Les reliques de moindre qualité, en revanche, pouvaient être utilisées. Le collier d’Idonea était exactement ce qu’il lui fallait.
En réalité, la “classe” d’une relique n’était pertinente que si on la comparait dans le vide. Les reliques de grande classe étaient plus complexes et dotées d’une puissance innée. Les armes de faible classe étaient simples et faibles. C’était un peu comme la différence entre un lance-roquettes et un arc et des flèches. Mais entre les mains d’une personne vraiment puissante, même un caillou pouvait causer autant de dégâts qu’un missile.
Cloudhawk ne pouvait pas dire qu’il avait confiance en lui, mais il avait un plan. Un plan dangereux, mais qui augmentait ses chances de réussite.
Ces derniers jours, personne n’avait vu Kirin Ignus. Cloudhawk passait son temps à explorer le temple et à rencontrer des gens, mais jusqu’à présent, aucune occasion ne s’était présentée.
Aujourd’hui, il était avec un groupe d’autres membres du palais, en train de discuter. Il n’était pas ici depuis longtemps, mais Cloudhawk s’était fait quelques amis. Soudain, le maître Anan sortit du palais, flanqué d’autres personnes portant le titre de “maître”. À leur commandement, tout le cercle intérieur fut réuni.
Il s’agissait d’un groupe hétéroclite de personnes, habillées différemment et équipées de ce qu’elles avaient apporté. L’absence d’uniforme n’enlevait rien à l’intimidation de ce groupe. Là où ils marchaient, ils ne laissaient que des cendres dans leur sillage.
« Qu’est-ce qu’ils disent ? »
« J’ai entendu une rumeur selon laquelle le royaume rebelle aurait appris notre plan. Ils envoient une force d’intervention pour tenter d’éliminer l’épée de Sumeru », répondit Icare de Praelius. « Mais ne t’inquiète pas. Ils n’y parviendront pas. Nos défenses ne céderont pas, et même si c’est le cas, nous sommes là pour les défendre. »
Les sourcils de Cloudhawk se froncèrent. Une attaque sournoise ? C’était du suicide ! Même en sachant à quel point ces armes étaient mortelles, ce genre d’opération sanglante n’était pas la solution. Ils étaient condamnés !