Livre 7, Chapitre 123 – Géhenne
Lorsque Cloudhawk s’engagea dans la fissure, il se sentit entraîné dans une autre dimension. En haut, en bas, à gauche, à droite… chaque direction était peinte avec des tourbillons de lumière et d’énergie. Il pouvait voir les flux de l’espace se déformer autour de lui.
Cet endroit était dangereux. Il n’y avait aucune route, aucun point de référence, aucune carte. Il flottait dans l’espace avec l’infini de tous les côtés. Quelle était la bonne direction ? S’il se perdait, parviendrait-il à s’en sortir ?
Mais en regardant de plus près, Cloudhawk aperçut, caché parmi les flots, un chemin qui s’éloignait. Il s’y dirigea en flottant, suivi de ses compagnons démons. Leur progression semblait lente sans rien qui puisse servir de référence, mais en fait, ils avançaient très vite. Évitant agilement les rafales d’énergie, ils sortirent du monde de couleur pour apparaître devant un énorme tourbillon.
C’était un phénomène étrange. Toute sa formidable énergie était repoussée vers les bords, tandis que le centre était parfaitement immobile. En le regardant, on avait l’impression de fixer un décor permanent, indépendant du chaos qui régnait dans la région.
C’était ça.
Cloudhawk marqua une courte pause, puis se jeta au centre du vortex. Une fois de plus, il sentit la force indéniable de l’énergie spatiale qui l’attirait. Son corps se divisa en milliards d’atomes et fut catapulté à travers le cosmos, pour finalement se recombiner dans un nouvel endroit.
Lorsque tous ses sens revinrent, la première chose qu’il ressentit fut une chaleur intense. En regardant autour de lui, Cloudhawk vit un lac de pierre en fusion ondulant dans toutes les directions. S’il avait été un humain ordinaire, le fait d’être soudainement déposé dans un lac de lave l’aurait tué sur-le-champ.
Malgré les températures extrêmes, Cloudhawk était indemne. Il n’eut même pas besoin d’activer ses défenses. Son physique évolué et son armure le protégeaient. Même immergé dans le magma, il n’avait pas un cheveu à se mettre sous la dent.
Il en allait de même pour Legion, Bélial et Abaddon. Les dieux et les démons avaient des corps plus robustes, et leurs armures spécialement conçues ne se déformaient pas sous l’effet de la chaleur. Ils nagèrent donc sans problème jusqu’au bord du lac et se libérèrent. Là, ils découvrirent qu’il s’agissait de la lèvre d’une caldeira. Le tourbillon les avait déposés au milieu d’un volcan en activité, là où se cachait l’entrée de la Géhenne. Il n’était donc pas étonnant que le chemin pour sortir de ce royaume soit caché aux démons qui y vivaient.
En regardant la vue, ils furent accueillis par une scène surprenante. C’était un royaume brisé et chaotique où les lois de la physique ne s’appliquaient qu’occasionnellement.
Une masse terrestre trop grande pour être mesurée planait dans l’obscurité. Tout autour d’elle se trouvait un cercle de volcans et, au-delà, une tempête d’énergie qui s’étendait jusqu’à l’éternité. De leur point d’observation, ils pouvaient voir les terres vallonnées de la masse continentale, où poussaient des plantes extraterrestres violettes et rouges.
Les lianes étaient les plus courantes. Elles étaient omniprésentes et se déclinaient en un assortiment de couleurs étranges. Tels des dragons, elles s’enroulaient à travers le paysage, formant d’immenses jungles. Les plus épaisses mesuraient dix mètres de diamètre. La plupart du temps translucides, on pouvait clairement voir un fluide rouge-violet pomper à travers chacune d’entre elles. Cela rappelait à Cloudhawk le sang circulant dans les artères. De leur surface partaient des branches chargées de fruits et de feuilles de différentes couleurs.
Grâce à sa conscience spatiale, Cloudhawk examina le royaume. Il découvrit rapidement que le continent flottant était beaucoup plus grand qu’il ne le pensait. Il représentait environ un dixième de la surface de sa propre planète. Une ville prospère était nichée en son centre.
Chaque bâtiment avait la forme d’un pilier.
D’innombrables lianes s’y rassemblaient, s’entrelaçant et s’élevant à des milliers de mètres dans le ciel. Des structures étaient construites à leur surface. À première vue, il n’y avait ni logique ni raison à leur conception, comme s’il s’agissait d’excroissances cancéreuses jaillissant naturellement du feuillage. Cependant, en y regardant de plus près, il devint évident qu’il y avait un grand schéma en jeu.
Quelle était cette ville ? Pourquoi était-elle là ? Pour autant qu’il le sache, il n’y avait pas assez de démons pour peupler un endroit aussi grand.
Abaddon remarqua la confusion de Cloudhawk et expliqua : « Le roi précédent, dans sa sagesse, a déplacé de nombreuses espèces sur ce plan. Les démons sont peut-être peu nombreux, mais la population de la Géhenne n’est pas inférieure à celle de votre Terre. »
Telle était donc la réponse. Une fois de plus, des souvenirs remontèrent à la surface de l’esprit de Cloudhawk.
Après avoir assimilé l’armure et accepté son rôle de nouveau roi des démons, les souvenirs de son prédécesseur revenaient plus fréquemment. Ils apparaissaient avec une clarté surprenante, révélant les secrets de la puissance spatiale ainsi que quelques expériences spécifiques vécues par l’ancien roi.
Comme Cloudhawk l’avait supposé, le Roi Démon avait été un dieu, l’un de leurs chefs en fait. Il commandait les forces de Sumeru, détruisant d’innombrables civilisations au gré des caprices d’un autre.
Mais il était une aberration. Plutôt que d’éradiquer ces êtres, il en sauvait toujours une partie. Comme il l’avait fait avec les anciens humains et la base de l’Arche. Il en évacua secrètement un grand nombre vers cette dimension où une nouvelle civilisation vit le jour après des milliers d’années. La Géhenne.
Pourquoi avait-il fait cela ?
Dans ses souvenirs, Cloudhawk apprit qu’il s’était engagé envers une autre personne, mais que ses actes allaient à l’encontre de cette volonté et de ses propres devoirs. Mais ce qui le déconcertait encore plus, c’était la compassion dont il faisait preuve. Le roi des démons était un guerrier de Sumeru, appartenant à une race qui valorisait la loyauté et l’obéissance, et non les sentiments.
Cloudhawk repensa à sa propre rencontre avec le Roi-Dieu. L’échange avait été bref, mais suffisamment long pour que Cloudhawk sache qu’il était différent des autres. Le Roi-Dieu était extrêmement puissant, sage et indépendant. Il pouvait ressentir, même intensément. Une telle émotion n’était pas typique des dieux.
Peut-être que la société divine n’était pas exactement comme Cloudhawk le pensait. Peut-être que le roi des dieux et le roi des démons étaient plus semblables qu’il n’y paraissait.
Il ne s’y attarda pas trop longtemps. Rassemblant ses pouvoirs, Cloudhawk se téléporta avec ses compagnons à travers la vaste jungle jusqu’aux plaines centrales de la Géhenne. De là, ils avaient une bonne vue sur le monde de vignes et de tours qui s’étendait devant eux.
Plus d’une centaine d’espèces différentes vivaient ici.
En s’approchant, Cloudhawk vit des créatures intelligentes ressemblant à des arthropodes, des choses qui ressemblaient à des dinosaures et des hommes-arbres couverts de branches et de feuilles. Ce n’était pas tout : il y avait des créatures à base de silicium qui semblaient faites de pierre ou de métal. Certaines n’avaient pas de corps du tout et n’étaient que de vagues connexions d’énergie bourdonnante.
Toutes intelligentes, toutes différentes, toutes utilisant divers objets adaptés à leur mode de vie. Chaque race semblait avoir conservé une partie des anciennes civilisations dont elle était issue. Pourtant, malgré toutes leurs différences, la vie ici semblait très harmonieuse.
Cloudhawk n’était pas encore entré, mais il savait déjà que cet endroit était ouvert à tous. Cela lui rappelait l’histoire ancienne qu’il avait lue sur Noé et son bateau. C’était la même chose, mais à travers les étoiles.