Livre 5, Chapitre 1 – Circonstances particulières dans les plaines pierreuses
L’aube. Aucun nuage n’entachait le ciel à mille kilomètres à la ronde.
La nuit précédente, les forces de Skycloud s’étaient approchées de la frontière de Greenland, mais elles n’en étaient pas venues aux mains. Au lieu de cela, Arcturus apparut seul et s’entretint avec leur chef, Cloudhawk. Le contenu de cette discussion était un mystère. Tout ce que les gens savaient, c’est que l’armada de Skycloud avait fait demi-tour et était partie après la fin de la discussion. C’était impensable, mais c’était pourtant la vérité. Le prestige de Cloudhawk parmi les gens de l’Alliance verte s’en trouvait rehaussé et sa puissance démontrée. Il avait le pouvoir et les qualifications nécessaires pour tenir tête à Arcturus Cloude !
Pourtant, même si son peuple était rassuré, Cloudhawk savait au fond de lui qu’il ne serait pas facile de tenir tête au gouverneur de Skycloud.
Arcturus n’avait pas attaqué à cause de Cloudhawk. Le maître chasseur de démons était venu lui donner à réfléchir. C’était l’occasion de changer de cap avant que Skycloud et l’Alliance verte ne s’embourbent dans une guerre inutile.
L’Alliance verte, désormais bien établie, comprenait le Meadow, le Greenland et Nox – des endroits bien défendus et difficiles à prendre. Skycloud ne pouvait pas se contenter de les écraser et d’en finir. S’ils n’y prenaient pas garde, les Élyséens risquaient de se retrouver dans un conflit sans fin auquel ils ne pourraient échapper.
S’il s’agissait d’une guerre totale, elle durerait des années. Même si les chances de victoire de Skycloud étaient plus grandes, le prix à payer serait terrible. Arcturus avait également déclaré qu’il serait dommage de perdre les progrès réalisés par les terres incultes.
Le gouverneur de Skycloud ne savait pas quand Cloudhawk reviendrait à la charge, si jamais c’était le cas. Cette incertitude lui liait les mains, car il y avait encore beaucoup à faire avant l’inévitable combat à la vie ou à la mort dans lequel ils se trouveraient. D’ici là, et pour éviter cette éventualité, il essaierait toutes les méthodes non mortelles possibles.
Par exemple, il pourrait utiliser les canaux diplomatiques pour essayer de semer la discorde parmi les membres de l’Alliance verte et en faire fuir certains. Il pourrait aussi attirer les forces principales de l’Alliance hors de leurs bastions et les décimer pour leur briser le moral. Avec son influence, son pouvoir et son intelligence, il ne faisait aucun doute qu’il pouvait concocter toutes sortes de plans pour obtenir ce qu’il voulait.
Malgré toute la ruse d’Arcturus, il semblait que la guerre était inévitable. Cloudhawk devait être prêt.
Il sortit du fort situé au centre de Greenland et se promena dans les jardins de la ville. Ils avaient été ajoutés après la reconstruction. Au milieu des allées et des fleurs se trouvait une petite pierre tombale sans prétention. Le mot “Artémis” avait été gravé sur sa surface.
Alors que Cloudhawk se tenait au-dessus de la tombe, il sortit deux bouteilles d’alcool. Il en ouvrit une et la posa sur le sol. Il garda l’autre pour lui et en but plusieurs gorgées généreuses. Après quelques instants, il s’assit à côté de la pierre tombale. Il aimait passer du temps ici et revoir ses plans. L’horizon des terres désolées s’étendait devant lui. Au-dessus, les nuages avaient commencé à se faufiler dans le ciel bleu comme des écailles de poisson. C’était une scène paisible et pittoresque.
« Je parie que tu n’aurais jamais imaginé que le Greenland pour lequel nous nous sommes battus changerait un jour la face des Terres désolées. Peut-être même changerait-il le monde. » Cloudhawk parlait comme s’il s’adressait à une vieille amie. « Je t’envie, tu sais. Tu as vécu comme tu l’entendais, tu as fait ce que tu voulais, et tu es morte selon tes propres termes. »
Après tant d’années, il avait du mal à se rappeler à quoi ressemblait Artémis…
Il était vraiment jaloux d’elle et du genre de personne qu’elle avait été. Elle avait vécu sa propre vie jusqu’à sa mort. Pas comme Cloudhawk ou les gens qui l’entouraient. Ils étaient tous comme des morceaux d’argile que les mains du destin moulaient, du bois que le couteau du destin sculptait, et ils ressentaient chaque coup. Peut-être qu’au bout du compte, ils deviendraient beaux et sophistiqués, mais ce qui était certain, c’est qu’ils se perdraient eux-mêmes.
Si il avait le même tempérament qu’il y a des années, il aurait utilisé le pouvoir qu’il avait obtenu pour faire payer Abaddon pour avoir tué son ami. Cloudhawk aimait l’idée de faire ce qu’il aimait et d’ignorer ce qu’il n’aimait pas. Comment pouvait-il permettre à un criminel comme le Calife de continuer à respirer ? Mais la vérité, c’est qu’il avait changé. Il ne pouvait plus faire ce qu’il voulait.
Au lieu de tuer le démon, Abaddon était devenu un élément important de ses plans. Comme les années l’avaient changé, la façon de penser de Cloudhawk avait également changé. Il avait appris la subtilité et avait acquis une vision d’ensemble. Il connaissait désormais la valeur de la patience et du sacrifice. En fin de compte, Cloudhawk et Arcturus n’étaient peut-être pas très différents. Il n’était tout simplement pas au niveau du maître.
Thud , thud , thud ! Le bruit de pieds lourds en armure attira son attention.
« Je savais que tu te cacherais ici. » Aurore ouvrit le visage de son armure Dawnbreaker et lui adressa un sourire. « L’Alliance continue de se développer. La plupart des villes sont sous notre contrôle, mais il y a encore un certain nombre d’avant-postes et de camps qui ne nous ont pas encore rejoints. Ce n’est pas le moment de rester les bras croisés. »
« Wolfblade et le calife peuvent s’occuper de ce genre de choses. »
L’Alliance Verte était composée de quatre provinces principales, et chacune d’entre elles était dirigée par un superviseur. Abaddon, le Khan, Autumn et Aurore veillaient tous sur certaines parties.
Abaddon était responsable de la station Sandbar et de ses environs. Il s’agissait de la plus grande province, qui comprenait peut-être quatre-vingts pour cent des terres sauvages du sud. Comme le calife avait déjà une réputation dans la région, il était le meilleur choix pour accéder au poste de superviseur.
Wolfblade s’était vu confier la supervision générale de l’Alliance Verte dans son ensemble et avait coordonné les efforts entre les quatre provinces. Pour ce qui était des armées, Cloudhawk avait installé l’ivrogne, en qui il avait une grande confiance, comme commandant général et comme contrepoids aux intérêts de Wolfblade. Ainsi, si l’aîné démoniaque commençait à jouer, Cloudhawk ne serait pas laissé dans l’ignorance.
Leurs scientifiques et ingénieurs étaient tous sous la direction de Hellflower. L’Institut de Greenland, les Éperviers et les Réguliers – ces factions importantes et ces groupes de niveau intermédiaire étaient gérés par d’autres, de sorte que Cloudhawk ne s’en mêle pas. Tout était mis en place pour que l’Alliance verte puisse fonctionner sans heurts, du moins pendant un certain temps.
Cloudhawk lui-même était leur plus haut dirigeant. Il était responsable du plan d’ensemble et de la gestion des objectifs. En pensant aux personnes sur lesquelles il comptait pour l’aider à gérer les choses, il était confiant que les choses ne feraient que s’améliorer.
« Quelle est la prochaine étape ? » demanda Aurore.
« D’abord, nous devons annexer les Terres du Nord. Ensuite, nous viserons Skycloud. » Tel était le plan de base de Cloudhawk. Au fond, ses objectifs n’étaient pas très différents de ceux d’Arcturus. « Les terres désolées et Skycloud ne peuvent exister indépendamment l’une de l’autre. Ils doivent s’unir. »
L’Alliance verte n’était pas encore en position dominante. Répondre à la dureté par la dureté n’allait pas aller dans le sens de l’Alliance Verte.
Arcturus était en train de comploter à chaque instant. Il ne faisait aucun doute qu’il envisagerait toutes les stratégies avant de passer à l’action. De l’extérieur, il les encerclerait et les mettrait sous pression, et de l’intérieur, il trouverait des moyens de saper leur unité. Plus cela durerait, plus les problèmes se multiplieraient. Il ne pouvait pas se permettre de sous-estimer Arcturus et ses plans, aussi devait-il essayer de les repousser en s’emparant rapidement des Terres du Nord.
Cloudhawk devait unir les terres désolées et utiliser ses forces pour encercler Skycloud. Cela leur donnerait les moyens de percer les défenses du royaume et de prendre l’avantage. Arcturus n’avait pas beaucoup de temps, mais Cloudhawk non plus. Les deux hommes comprenaient très bien qu’il fallait résoudre ce problème avant que le Dieu des nuages ne se réveille. À la seconde où le mont Sumeru apprendrait ce qui se passe, les choses deviendraient beaucoup plus difficiles.
Les deux parties savaient que le véritable ennemi n’était pas l’autre. Le véritable ennemi, c’était les dieux eux-mêmes !
Aurore avait compris que c’était la stratégie à adopter. « Si nous agissons contre le Nord, je suis presque sûre qu’Arcturus ne restera pas les bras croisés. Il faudra bien qu’on se batte contre lui, un jour ou l’autre. Sais-tu ce que tu vas faire ? »
« Non ! »
Cloudhawk n’avait pas de réponse à donner au maître chasseur de démons.
L’Alliance verte était en position de force sur le plan défensif, mais ses capacités offensives étaient relativement faibles. Les troupes et l’équipement du Nord dépassaient encore largement ceux du Sud. Une fois que ses troupes auraient quitté leur territoire, les choses deviendraient très dangereuses. La route était longue et l’ennemi était loin. En cas d’accident ou d’attaque sournoise, ils ne pourraient pas battre en retraite rapidement, et aucun renfort ne serait là pour les sauver.
Le Conclave du Jugement disposait donc d’un avantage défensif considérable. Aurore avait raison. Skycloud ne resterait pas les bras croisés. S’attaquer à eux allait rendre les choses bien plus compliquées. Plus que probablement, c’était une chance qu’Arcturus attendait. S’ils ne faisaient pas attention, leurs troupes seraient anéanties d’un seul coup. D’ailleurs, les plans étaient peut-être déjà prêts. Mais même en sachant qu’il s’agissait d’un piège, Cloudhawk devait bien finir par passer à l’action.
Cloudhawk et Arcturus n’étaient-ils pas l’un pour l’autre ? Si il ne pouvait pas vaincre le maître chasseur de démons, comment pouvait-il espérer défier les dieux ?
« Nous avons encore une chance. La force de l’Alliance verte ne cesse de croître, et nous n’avons pas encore atteint notre plein potentiel. » Cloudhawk se leva et se dirigea vers Aurore. « Viens avec moi. Allons voir comment les choses se passent à dans les plaines pierreuses. »
C’était un monde lentement transformé par Cloudhawk. Cela faisait deux mois que le premier groupe de pionniers avait été envoyé. Depuis, les choses semblaient aller très bien.
Un deuxième groupe, plus important, avait récemment été envoyé. Une base capable d’accueillir plus de dix mille colons avait été construite, l’équivalent d’un avant-poste de taille moyenne dans les terres désolées. Plus important encore, c”était ici que l’Alliance verte fabriquait tous ses produits. Les usines avaient été construites les unes après les autres. L’étape suivante consistait à commencer à envoyer des ébauches et à produire les canons de Hellflower.
Les armes du Miroir Noir étaient l’atout de l’Alliance Verte. Skycloud n’avait pas encore découvert ce dont elles étaient capables.
Il était prêt à livrer les matières premières. Selon Hellflower, il faudrait deux ans pour créer les armes du début à la fin. Cela ne semblait pas très long, mais c’était pour un seul type d’arme.
En même temps, Hellflower testait des armes de poing ebonycrs, des fusils ebonycrs, des grenades ebonycrs et des fusées ebonycrs, entre autres. Et ce, avant même de parler des moteurs hybrides ebonycrs. Toutes ces inventions avaient déjà passé le stade de la conception préliminaire. Lorsqu’elles seraient enfin prêtes, elles amélioreraient considérablement la puissance de leur armée.
« Chef Cloudhawk, nous avons un problème. Les bêtes robotiques ont commencé à s’en prendre à notre colonie ! »
Cloudhawk fut pris par surprise. La détermination de Hellflower était que les robots restaient entre eux et n’avaient aucune raison de s’intéresser à leurs colons. Pourquoi cela avait-il soudainement changé ?