Durant un instant, Roland faillit lancer une plaisanterie au Diable :

« Comment, vous faites partie des Tal’Darim* ? Pardonnez-moi. Je ne vous avais pas reconnu. » Finalement, il y renonça.

S’il était là, c’était pour interroger l’ennemi, aussi ne voulait-il pas saper son autorité. En état de Résonance Mentale, le Diable pouvait comprendre et parler le langage des hommes mais s’il découvrait un mot qui n’ait pas d’équivalent dans sa propre langue, il choisirait les termes les plus proches et dans ce cas, il se pourrait qu’il ne comprenne pas ou utilise à mauvais escient les mots simples du langage humain.

Au lieu de répondre aux questions de Roland, le Diable, en proie à la douleur, se mit à déblatérer :  

– « Ça n’a aucun sens! Comment auriez-vous pu récupérer ces fragments puisque vous n’êtes jamais entrés dans le Royaume Ciel-Mer ? Du reste, jamais vous ne le pourrez. Alors comment avez-vous pu me vaincre ? Vous mentez et moi, Kabradhabi, jamais je ne vous croirai! »

L’âme du Diable venant d’être transférée dans le corps du guerrier, il avait grand mal à contrôler ses émotions. Avant l’interrogatoire, Roland avait décidé de saisir cette occasion pour inciter la créature à divulguer des informations que jamais elle n’aurait révélées en temps normal.  

– « Vous faut-il plus d’indices ? Vous avez tenté de tendre un piège à mon armée mais cela n’a pas fonctionné, aussi avez-vous été contraints de nous affronter. Avant même que vos soldats n’aient pu s’approcher de nous, ils ont subi de lourdes pertes. Vous avez amené vos troupes à rejoindre le combat dans l’espoir de renverser la situation mais sitôt atterri, les Sorcières du Châtiment Divin vous ont abattu. Ce combat n’a pas duré plus de dix secondes. Vous avez devant vous la sorcière qui vous a vaincu et si vous essayez de lire dans son esprit, vous verrez à quel point vous aviez l’air vulnérable sur le champ de bataille. »

– « Vous… »  

Le Diable Supérieur eut soudain l’air déprimé.

Zoé l’interrompit pour lui montrer ce qui s’était passé durant la bataille, ce qui ne lui prit qu’un instant dans la mesure où les échanges d’information étaient extrêmement rapides par le biais de la Résonance Mentale.

– « Ce n’est pas en la niant que vous pourrez changer l’issue de cette guerre », dit Roland avec un ricanement. « Votre manière de penser est ridicule. Vous prétendez qu’il est impossible que nous possédions un fragment d’héritage dans la mesure où nous ne nous sommes jamais rendus dans le Royaume Ciel-Mer ? Que diriez-vous d’en définir d’abord le concept ? Comment puis-je vous répondre si vous ne me dites pas ce qu’est ce fameux fragment ? À nos yeux, ce n’est peut-être pas si précieux. »

– « Vous plaisantez, stupide insecte ? » S’exclama Kabradhabi, visiblement furieux. « Comment osez-vous prétendre qu’une chose qui est à l’origine de la Bataille de la Divine Volonté et qui détermine le sort des espèces n’est pas précieuse ?! »

Une pensée traversa soudain l’esprit de Pasha :

– « Attendez, ce fragment ressemblerai-t-il à un cristal rouge ? Quelque chose qui aurait la forme d’un fuseau et serait capable de transporter toute personne qui se trouve à proximité dans une vaste salle où il ou elle verrait des choses incroyables ? »

– « Les reliques des dieux! » S’exclama Tilly d’une voix grave.

– « C’est ainsi que vous les appelez ? Vous n’êtes décidément que des créatures inférieures », répondit le Diable avec mépris. « Ceci n’a rien à voir avec une quelconque divinité. Chaque espèce en possède. S’ils l’avalent, ils peuvent se perfectionner mais s’ils le perdent ils sont réduits à n’être plus que nourriture pour les autres espèces. Vous rendez-vous compte, à présent, de combien vous êtes stupides ? Quand ces lâches sont morts dans les souterrains, vous étiez encore à la surface, cachés quelque part. Comment auriez-vous pu récupérer leur héritage ? »

À ces mots, le cœur de Roland fit un bond. Cela expliquait pourquoi les humains n’avaient pas pu obtenir de fragment ou de relique. Les quatre images représentent quatre civilisations, chacune devant en battre une autre pour obtenir son héritage.

« Lors de la première Bataille de la Divine Volonté, au moment où s’est éteinte la civilisation souterraine, nous étions occupés à combattre les Diables, c’est pourquoi il était impossible aux humains de dérober leur relique », pensa-t-il.

Il regarda autour de lui et vit que tout le monde avait l’air grave, sans doute conscients de l’importance de ce qu’ils venaient d’apprendre.

Tout d’abord, les propos du Diable venaient confirmer ce que les sorcières de Taquila pensaient au sujet des reliques. Il entendait encore Wendy s’exclamer : « Comment est-il possible que nous nous soyons battus durant des centaines d’années simplement pour une pierre inutile ? La Divine Volonté est terriblement cruelle! »

Voilà maintenant qu’il découvrait que cette relique, en plus de déterminer la survie d’une civilisation, avait également une grande valeur pratique pour les autres. Dans ces conditions, il était inutile d’espérer une possible réconciliation entre les camps.

Ensuite, selon Kabradhabi, les Diables avaient effectivement évolué. Bien qu’il n’ait pas mentionné le fait si particulier, de devoir l’avaler, il était évident qu’il attribuait tous les progrès réalisés par l’espèce ainsi que l’invention de nouvelles armes à cette relique.

« Se pourrait-il qu’en l’avalant, ils héritent de tout le savoir accumulé par une autre espèce ? » Se demanda Roland. « Cet étrange Diable et ce squelette géant seraient-ils issus d’une technologie appartenant à la civilisation souterraine ? 

« C’est incroyable. La révolution industrielle elle-même ne pourrait avoir de tels résultats dans la mesure où cela nécessite beaucoup de matières premières et de main d’œuvre qualifiée. Par ailleurs ce genre de chose ne se produit que lors d’une importante percée technologique. Le fait d’hériter du savoir en absorbant une relique me fait plutôt penser à un transfert de force dans une fiction de kungfu. Se peut-il que lorsqu’une espèce s’éteint et perd sa relique, elle perd tout au profit de son adversaire ? S’il s’avère que ce soit la vérité, c’est vraiment un secret terrifiant. 

« Non, ce n’est même pas un secret et même s’il s’agit d’une information importante pour l’humanité, cela ne saurait affecter l’issue de la Bataille de la Divine Volonté. Ce n’est pas parce qu’un camp engagé dans cette guerre connaît l’importance des reliques que cela lui assurera la victoire finale. Jusqu’à présent, les êtres humains n’ont jamais eu qu’une vague idée du contenu de ces reliques, c’est pourquoi nous n’avons pu nous unir pour combattre durant des millénaires, ce qui a entraîné défaite sur défaite. L’humanité ne saurait rivaliser avec les autres espèces décrites dans les peintures.

« Nous avons perdu trop de temps à nous battre. »

Roland humecta ses lèvres sèches et, parmi toutes les questions qui l’assaillaient, choisi d’aborder le sujet le plus crucial.  

– « Vous qualifiez cette guerre de Bataille de la Divine Volonté. Croyez-vous qu’elle ait été organisée par des divinités ? »

– « Est-ce ainsi que vous voyez la Divine Volonté ? » Demanda le Diable Supérieur qui semblait à présent beaucoup plus calme, sans doute parce qu’ayant gardé un moment le silence, il avait eu tout le temps de se préparer. « Puisque je vais mourir, autant vous dire la vérité. Ecoutez-moi bien, bande d’insectes. Cette guerre n’a rien à voir avec de quelconques divinités. C’est un conflit entre civilisations. Celui qui l’emportera sera en mesure d’évoluer et d’ouvrir la porte donnant sur la Fontaine de Magie.  Lorsque cela se produira, le vainqueur deviendra tout puissant et obtiendra la Divine Volonté. Mais n’y pensez même pas, stupides rampants. Votre race est condamnée à disparaître! »

– « D’où tenez-vous cela ? »

– « Comment ? Vous croyez que je vais vous en dire davantage, moi, Kabradhabi ? »

– « Que voulez-vous dire ? »

S’apercevant soudain que quelque chose n’allait pas, Roland appela : « Zoé ? »

– « J’ai bien peur que cette femme ne puisse vous entendre pour le moment. Vous avez utilisé une technique de transfert de l’âme pour brouiller mon esprit avant de recourir à une capacité à lire dans les pensées. Ceci dit, bande d’insectes, vous n’avez guère progressé depuis des centaines d’années. » La voix de Zoé était désormais froide, impitoyable. « Vous osez me jouer des tours de magie à moi, Kabradhabi! Vous allez au-devant des ennuis. Le fait que, pour le moment, je ne sois pas en mesure de contrôler ce corps ne signifie pas que je ne puisse pas recourir à mon pouvoir magique! »

– « Camilla! » Cria Roland à l’adresse de l’Intendante de l’Île Dormante.

– « Trop tard!  Dites adieu à cette femme! »

Il y eut un rire strident, puis Zoé se tut.  

Camilla devint blême.  De toute évidence, elle ne pouvait pas croire ce qui venait d’arriver :

– « Son âme a…. disparu du corps du guerrier! »

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NDT : Les Tal’Darim sont une secte de guerriers fanatiques et puissants tirés de l’univers du jeu vidéo StarCraft.