Lorsque Roland, accompagné de sa garde personnelle, arriva au port, deux navires à trois mâts arborant des drapeaux blancs et noirs étaient en train de décharger. Les fonctionnaires de l’Hôtel de Ville tournaient autour des caisses de bois empilées en laissant de temps à autres échapper des exclamations enthousiastes.
– « Voilà longtemps que nous ne nous sommes pas vus, Majesté! » S’exclama Margaret en s’avançant à grands pas. Elle s’inclina et sourit : « Veuillez pardonner ma tenue, mais il est fortement déconseillé de porter des jupes longues lorsque l’on navigue en mer. J’espère que cela ne vous dérange pas. »
– « Mes hommages, Votre Majesté », dit l’homme qui l’accompagnait. « Je suis Sander Flyingbird de l’Île des Deux Dragons. Ma tenue vous plaît-elle ? » demanda-t-il avec un clin d’œil. « Ne pensez-vous pas qu’elle évoque les Oiseaux de Mer qui volent très haut dans le ciel ? »
Pour tout dire, Roland avait remarqué sa tenue avant même qu’il ait dit quoi que ce soit. Comment aurait-il pu passer inaperçu avec tous les glands ornés de plumes qui recouvraient son costume de marchand, du foulard noué sur sa tête à ses chaussures de cuir souple. Cependant, après ce long voyage en mer, la plupart des plumes avaient raidi et perdu l’essentiel de leur lustre. Cette vision faisait plutôt penser à un oiseau tombé du ciel.
– « Vous avez mal compris », dit Roland. Pour lui, “Sander Flyingbird”(*) n’était qu’une icône bleue bien connue, et chaque homme et femme de son âge, éprouverait la même impatience à ouvrir un paquet portant cette marque. « Monsieur Tonnerre, je conçois que vous vouliez éviter que Foudre vous reconnaisse mais si vous pénétrez dans le château accoutré de cette manière, je puis vous assurer que vous ne manquerez pas d’attirer l’attention de son amie Maggie. Et dans ce cas, quand bien même vous auriez une fausse barbe, il vous serait impossible de passer incognito. »
– « Vraiment ? » Tonnerre éclata d’un rire clair : « Quel dommage! J’étais plutôt fier de mon déguisement. Savez-vous que depuis que j’ai trouvé un tailleur pour confectionner cette tenue, elle est devenue très populaire dans de nombreuses îles ? »
« Est-ce là le pouvoir du modèle ? » Pensa Roland en levant les yeux au ciel. En revanche, il n’était pas surprenant qu’ayant gardé une mentalité aussi jeune alors qu’il avait au moins quarante ans, cet homme soit le plus célèbre explorateur des Fjords. Personne d’autre ne se serait donné autant de peine pour un nom inventé de façon temporaire.
Tout avait commencé avec cette lettre reçue avant l’expédition.
Le navire en acier étant terminé, il était temps de passer aux essais. Roland, qui avait une crainte mêlée d’admiration envers la mer, si imprévisible, était parfaitement conscient que son premier prototype, même avec l’équipement et les gadgets fonctionnels qu’il y avait installés, était loin d’être en état de naviguer.
Il fallait bien autre chose qu’un tas de fer capable de flotter, d’avancer et de reculer pour faire un navire maritime digne de ce nom. Vu la violence des vagues, une telle embarcation requérait des mécanismes très différents de ceux des bateaux fluviaux. De plus, considérant que c’était la première fois qu’ils utilisaient une turbine à vapeur, la fiabilité de son système électrique restait encore à vérifier.
Mais le plus embarrassant restait qu’il n’était pas familiarisé avec les procédures opérationnelles d’un navire ou avec les aspects liés à l’interaction homme-machine. La seule alternative qu’il ait à sa disposition lorsqu’il rencontrait quelque difficulté avec les principes de la machinerie était de faire une incursion dans son Monde des Rêves dans l’espoir de trouver une solution, mais c’était impossible au regard de la navigation. Avant le développement des systèmes de contrôle électroniques, chaque navire devait être étudié et conçu individuellement. Il n’avait donc pas d’autre choix que de continuer à chercher par lui-même.
Tonnerre, qui était non seulement un navigateur expérimenté, mais aussi le chef d’un groupe d’exploration composé de centaines d’excellents marins, était la personne toute indiquée pour procéder à ces tests, ses commentaires ayant une valeur inestimable.
Roland entendait saisir cette chance pour tester, ajuster le navire et consigner toutes les données relatives à la navigation. Cela lui serait d’une grande utilité pour la construction du prochain navire. De plus, ces données seraient un atout précieux pour l’industrie de la Cité Sans Hiver.
Comme il était prévu que cela prenne deux à trois mois, Tonnerre allait devoir séjourner un certain temps à la Cité Sans Hiver, aussi, dans sa lettre, Roland lui avait-il conseillé de prendre l’identité de Sander Flyingbird. Contre toute attente, non seulement il accepta de bon cœur mais il personnalisa même cette identité factice. Le Roi était stupéfait par son enthousiasme et son esprit espiègle.
– « Le bateau est déjà terminé, Majesté ? » S’exclama Tonnerre, changeant de sujet. « Cela aurait pris plusieurs années aux artisans des Fjords, même avec les meilleurs matériaux possibles! »
– « C’est beaucoup trop lent. Le traitement de l’acier est plus facile que celui du bois car il n’est pas nécessaire de le tremper dans des conservateurs ni d’attendre qu’il soit sec. Il ne requiert qu’une chaleur suffisante. Le bateau se trouve actuellement au chantier naval du port. Si cela vous intéresse, nous pouvons aller le voir immédiatement. »
– « Je suis impatient! » Répondit Tonnerre, les yeux brillants. « Durant tout le trajet, je n’ai pas cessé d’y penser! »
– « Mais pourquoi toutes ces caisses d’or ? » Demanda Roland en désignant les coffres que les marins continuaient de décharger tandis que l’Hôtel de Ville les comptait. « Je vous ai dit que vous n’auriez à payer que le coût de production de ce bateau, rien de plus. »
– « Jamais nous n’aurions osé refuser votre générosité », répondit Margaret. « Ce sont les bénéfices réalisés sur les parfums et des Boissons du Chaos. »
– « Tout ça ? » S’exclama-t-il, un peu surpris. « N’êtes-vous pas en avance sur la date de remise prévue par le contrat ? »
– « Eh bien, comme de toute façon nous devions venir ici, nous nous sommes dit que nous pourrions alléger notre fardeau sur la prochaine livraison », répondit Margaret avec un sourire. « Vous aviez vu juste, Majesté. Le chiffre des ventes est incroyable. Les meilleurs sont parfois vendus jusqu’à dix fois leur prix initial et les gens se disputent même les moins bons. Bref, ces boissons sont devenues un symbole de puissance parmi les Chambres de Commerce. »
Roland ne put s’empêcher de hausser les sourcils. De toute évidence, il avait bien fait de laisser des professionnels s’occuper de cette affaire.
Soudain, la voix de Rossignol retentit au creux de son oreille :
– « Votre Majesté, je perçois une réaction magique dans le groupe. Y’aurait-il une sorcière parmi eux ? »
Il aperçut alors une femme qui les observait juste derrière Margaret. Elle était à demi cachée derrière une domestique et on ne voyait que la moitié de son visage. En croisant le regard du Roi, elle s’empressa de dissimuler son visage comme un lapin effrayé.
Roland se souvint alors vaguement de ce que lui avait dit la commerçant dans sa lettre.
– « Est-ce là votre ancienne amie sorcière ? »
Margaret suivit son regard et acquiesça doucement :
– « Oui, Votre Majesté. C’est bien Joanna. »
___________________________________________________________________________
NDT : Je suis désolée, j’ai eu beau chercher, je ne suis pas parvenue à trouver à quoi correspondait ce logo. Il semblerait qu’il représente un oiseau des mers aujourd’hui disparu si j’en crois cette indication, mais lié à une marque, je ne vois pas…
Si l’un ou l’une d’entre vous à la réponse, ce serait vraiment sympa de le faire savoir en commentaire ?