Sans prendre la peine de vérifier le résultat, Andrea dirigea sa lentille de visée vers une autre cible.
La pouvoir magique consommé lors d’un tir de précision variait en fonction de la difficulté à atteindre la cible. Pour pouvoir tirer d’aussi loin, elle épuisait en huit minutes la magie qui, si elle lançait des flèches ou des pierres, lui permettrait de tenir entre deux et quatre heures.
Comme il lui fallait tirer le plus de balles possible, elle sentit que son pouvoir suivait sa volonté.
Andrea avait plutôt l’impression de danser. De l’ajustement du fusil aux mouvements de son bras, tout était parfaitement coordonné et chaque mouvement qu’elle faisait semblait en harmonie avec l’univers.
Comme elle tirait à chaque inspiration, la sorcière eut tôt fait de vider son chargeur et dut en insérer un autre. Sa façon d’opérer était fluide et efficace, comme une performance bien préparée.
Mais pour les gens debout sur le mur de pierre, les choses n’étaient pas aussi simples.
Les soldats d’Alban ne le savaient pas, mais la Mort survolait leur armée.
Le chevalier qui commandait aux mercenaires d’ajuster les arbalètes en fut la première victime.
Dotées d’une portée de tir d’environ cent vingt mètres, ces armes lançaient des flèches de fonte* pouvant facilement pénétrer les grands boucliers et les armures des Chevaliers situés à moins de trente mètres. Dans des conditions normales, c’était la meilleure arme de défense envisageable pour le palais.
Afin de résister à ces monstrueux soldats à la force stupéfiante, Alban leur avait ordonné de transporter sur le mur tout ce qui se trouvait dans l’entrepôt. Huit arbalètes avaient donc été disposées sur la portion de mur qui faisait face à l’Avenue du Soleil Levant. Celle-ci n’étant pas particulièrement large, aucun envahisseur ne pourrait échapper aux tirs intensifs de ces armes de fer.
Il y eut un cri étouffé et les mercenaires virent tomber silencieusement le chevalier qui les commandait, la poitrine enfoncée.
– « On nous attaque! » Cria quelqu’un du haut du mur.
Tous tirèrent leurs épées, mais nul ne savait d’où venait le danger.
Il y eut une seconde, puis une troisième attaque…
La grande faucheuse était à l’œuvre. Les gardes tombaient comme des mouches, mais on ne savait toujours pas où était l’ennemi. Une peur indescriptible les submergea. Si ces gens, qui n’avaient fait que se battre toute leur vie durant, s’attendaient à la mort, c’était tout autre chose que de mourir sans rien pouvoir faire, surtout pour des mercenaires qui avaient foi en leurs capacités.
Ces compétences, acquises au fil des combats, étaient inutiles face à un adversaire ne leur laissant aucune chance de riposter. Serviteurs maladroits ou Chevaliers expérimentés, tous étaient égaux devant cette offensive inattendue. Au moins, à Hermès, ils pouvaient voir l’ennemi tandis que cette fois, il ne leur restait qu’à attendre l’appel de la Mort.
Moins d’une minute plus tard, plus de vingt hommes chargés de défendre ce segment de mur étaient tombés. En entendant les gémissements douloureux des blessés, la plupart des hommes étaient deux doigts d’abandonner.
– « À couvert! C’est une sorcière! » Cria soudain le Chevalier en Chef, ce qui eut pour effet de les sortir un peu de leur torpeur. « Cachons-nous derrière les remparts et les gros troncs! Sortez les Flèches du Châtiment Divin et tirez dans toutes les directions possibles! Cette maudite sorcière finira bien par se montrer! »
Du haut de sa tour, Andrea vit qu’un changement s’opérait sur le mur. Un Chevalier en armure
bordée d’or avait pris le commandement. Les gardes se regroupaient autour de lui, se cachaient derrière ce qu’ils trouvaient et lançaient des flèches au hasard, certains même à la main. Leur but était évident.
Non que leur comportement fût une menace pour elle, mais si elle ne parvenait pas à tous les éradiquer, cela entraverait les plans des Sorcières du Châtiment Divin.
Or, depuis le beffroi, le commandant était dans un angle mort. Seuls son bras et une partie de son casque dépassaient des créneaux.
En temps normal, jamais elle n’aurait pu atteindre sa cible. Cependant, le fait d’observer les artilleurs lors de la démonstration de tir au canon lui avait donné des idées.
Andrea commanda donc à la magie de se concentrer dans ses bras. Comme poussé par des mains invisibles, le canon du fusil monta jusqu’à ce qu’il pointe vers le ciel.
Lorsqu’enfin elle se sentit en parfaite harmonie, la sorcière s’empressa de presser la gâchette.
Elle eut alors le sentiment de pouvoir voir toute la trajectoire de la balle. Projetée vers le haut, elle atteignit le point culminant et, au lieu de perdre de sa vitesse, se précipita vers sa cible comme poussée par un élan. À vol d’oiseau, la distance n’était que de six cents mètres, cependant, la balle, du fait qu’elle décrivait une parabole, mettait plus de temps à atteindre sa cible.
Rabaissant le canon du fusil, elle visa le casque du chevalier et tira. La seconde balle arriva plus vite que la première et atteignit avec précision le bord des remparts, faisant voler des éclats de pierre. La balle déformée se mit à tournoyer, atteignit la partie supérieure du casque et l’arracha. Sous l’effet de l’impact, l’homme perdit l’équilibre et tomba en avant, le cou dénudé. Au même moment arriva la première balle qui lui transperça la peau et brisa ses vertèbres cervicales.
Le Chevalier en Chef n’eut pas le temps de réagir. Il entendit un sifflement, sentit un froid sur son cou et perdit connaissance.
Le coup porté ayant pratiquement consumé ce qui lui restait de pouvoir magique, Andréa se sentit prise de vertiges et ses mains se mirent à trembler au point qu’elle avait du mal à tenir la crosse du fusil.
Néanmoins, la chute du Chevalier en Chef fut la goutte d’eau de trop pour les mercenaires qui, craignant de devenir la prochaine victime, tournèrent les talons et se précipitèrent vers les marches sans prêter la moindre attention aux troncs, à l’huile bouillante ou aux arbalètes. Mais les Sorcières du Châtiment Divin, elles, les avaient repérés.
Soudain, la corne signalant l’assaut final retentit.
Elena, qui faisait partie de l’équipe, se précipita la première avec, en plus des instruments qu’elle utilisait habituellement, un paquet de corde de chanvre à la main.
Alors qu’elle approchait du mur, elle lança la corde au bout de laquelle était solidement attaché un crochet à quatre pointes.
Un instant plus tard, quatre câbles de suspension pendaient du sommet du mur. Difficile à gravir pour le commun des mortels avec ses cinq mètres de haut environ, cette enceinte n’était qu’une clôture à escalader pour les Sorcières du Châtiment Divin. Elena grimpa donc tranquillement via la corde jusqu’au sommet du mur pour découvrir que le château et ses environs étaient dans un état lamentable.
Les équipes de supervision et de préparation d’Alban n’avaient pas été à la hauteur de leur rôle. Au moment même où les gardes postés sur le mur étaient vaincus, ceux du Comte Luoxi avaient tiré l’épée contre les troupes du Royaume de l’Aube. Pour les autres qui gardaient le mur, voulant fuir au plus vite, c’était un véritable chaos.
Avec un sourire, Elena attrapa l’énorme épée qu’elle portait sur son dos et sauta du mur de pierre.
Nul ne pouvant éviter ses coups frontaux, tous ceux qui étaient à portée de son immense épée furent soit grièvement blessés, soit tués. Par ses propres moyens, elle parvint à se frayer un chemin dans la foule et lorsque les Sorcières du Châtiment Divin se joignirent au combat, le Compte Quinn avait déjà la situation bien en mains.
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NDT : Pour info, les flèches de fonte tirées par les arbalètes sont appelées des “carreaux”.