L’été touchait à sa fin lorsque, deux semaines plus tard, Roland arriva à Hermès, accueilli aux portes de la ville par les sorcières et la délégation militaire de la Région du Nord. Il aperçut aussi, au sein de la foule, quelques religieuses vêtues de noir.

Bien que Foudre l’ait assuré de la disparition de tous les hauts dignitaires de l’Église, le Roi avait encore peine à le croire en entrant dans cette forteresse déserte. Ni les Sorcières du Châtiment Divin ni les mortiers ne furent utiles et la furieuse bataille à laquelle il s’attendait ne vint pas. Certes, les choses n’auraient pas pu mieux se passer, cependant, Roland était un peu déçu.  

Il avait pris la bonne décision en permettant à Isabella d’accompagner la Première Armée dans cette expédition. Selon les rapports de Face D’Aigle et d’Ayesha, l’ancienne Purifiée, alertée des faits étranges survenus au sein de l’Église, avait immédiatement conseillé au soldats d’aller faire des recherches à Hermès après s’être occupés des orphelines et des monastères.

Mais à leur grande surprise, ils découvrirent une ville vide, à l’exception des habitants des zones environnantes, ce qui donnait l’impression que l’Église était toujours en activité. En réalité, ces gens, qui n’avaient aucune idée de ce qui se passait au centre-ville, avaient simplement entendu dire que l’Église se préparait au combat final.

Sous la direction d’Isabella, les religieuses entrèrent à leur tour dans Hermès et frappèrent à toutes les portes possibles pour informer les habitants. De ce fait, les gens cessèrent de fuir la ville, tout au moins ne vit-on pas de groupe important prendre la direction de Wolfheart ou du Royaume de l’Éternel Hiver. Le fait que l’Église ait abandonné la Cité Sainte était un énorme coup porté à sa réputation et avait considérablement choqué les habitants. À la différence des lâches qui fuyaient au premier signe de danger, ces religieuses venues restaurer l’ordre leur semblaient être les véritables successeurs de l’ancienne Église.

– « Comment se sont-ils échappés ? » Demanda Roland qui aurait bien voulu savoir où se cachaient les derniers survivants de l’Église. La lettre qu’il avait reçue, en effet, ne donnait guère de détails à ce sujet… « Il devrait y avoir des milliers de personnes en ville. Comment ont-ils fait pour quitter le plateau sans passer par les remparts ? »

– « Il y a de nombreux tunnels sous Hermès, dont certains passent sous les remparts. Ils ont parfaitement pu sortir par groupes sans alerter les habitants de la ville », expliqua Isabella. « Les tunnels ayant été conçus de telle sorte à ne permettre la circulation que dans un sens, les intrus ne peuvent pas les emprunter. Par ailleurs, ils ne peuvent être utilisés qu’une seule fois. Or j’ai vérifié plusieurs entrées : la plupart ont été détruites. »

– « Où mènent ces tunnels ? »

– « Seuls ceux qui les ont utilisés pourraient vous le dire », répondit la sorcière en secouant la tête. « Pour peu qu’ils aient planifié leur fuite à l’avance, sachant qu’ils sont déjà partis depuis six semaines, il est presque impossible de les localiser. »

« Si je comprends bien, l’Église a fait comme le lézard lorsqu’il est acculé : il se coupe la queue pour pouvoir s’échapper avec l’espoir de la voir repousser un jour… », pensa Roland. « Ceci dit, abandonner la Cité Sainte est bien pire que de perdre sa queue : cela revient à délaisser leur base opérationnelle, autant dire à tout perdre. Comment peuvent-ils être à ce point certains de trouver une nouvelle base en mesure de rivaliser avec Graycastle ? À moins qu’ils n’aient l’intention de se disperser partout sur mes terres ? »

Rien qu’à l’idée de devoir, dans les années à venir, garder l’œil sur ces fanatiques, le Roi en avait la migraine.  

– « Ne vous inquiétez pas, Votre Majesté », dit en souriant Isabella, comme si elle avait lu dans ses pensées. « Ils ne reviendront pas. »

– « Comment pouvez-vous en être sûre ? » Demanda Roland, surpris. 　　

– « Ils ont laissé un porte-parole », répondit la sorcière avec un sourire. 　　

C’est dans une petite église au nord de la Cité Sainte que le Roi rencontra la personne en question.

　　.

C’était un vieillard grisonnant vêtu d’une aube rouge ourlée d’or flambant neuve. Encadré de deux gardes, il sortit, portant dans ses bras un gros livre et se dirigea vers eux, le pas hésitant mais le menton relevé dans l’intention de se donner un air imposant.

– « Êtes-vous Roland Wimbledon, Roi de Graycastle ? » Demanda-t-il après un regard froid à Isabella, puis à Roland.

– « C’est moi en effet. » 　

– « Vous avez les cheveux et les yeux de votre père », dit lentement le vieil homme. « Je suis Jacob, Grand Prêtre de la Cité Sainte et dans votre monde laïque, l’équivalent d’un Duc, si ce n’est que je ne possède pas de terres et n’ai pas besoin de beaucoup de serviteurs. »

– « J’ai entendu dire que vous teniez absolument à m’attendre ici ? Comment se fait-il qu’ils ne vous ont pas emmené avec eux ? »

– « Comme vous l’avez dit, je tenais à rester », répondit l’homme d’un ton aussi solennel que s’il s’agissait de ses dernières paroles. « Je suis bien trop vieux pour les suivre et quand bien même je l’aurais pu, il ne me reste plus beaucoup de temps à vivre. Je préfère encore être enterré ici que de commencer une nouvelle vie qui ne durera pas. »

– « Une nouvelle vie ? » Demanda Roland à qui ces mots n’avaient pas échappé.  

– « Oui, renoncer à tous mes devoirs et mener une vie paisible pour le reste de mes jours », répondit le prêtre, un brin sarcastique. « Vous avez gagné, Votre Majesté. L’Église abandonne le combat. Cette ville est désormais la vôtre, intacte et avec tous nos cauchemars si vous le souhaitez. »  

– « Vraiment ? » Fit Roland, d’un ton évasif.  

L’homme haussa la voix :

– « Pourquoi pensez-vous que nous soyons restés sur ce plateau aride ?  Voyez ce que vous avez fait! À cause de vous, l’humanité périra! »

– « Vraiment ? Quelle cruelle accusation! Ceci dit, je ne vois pas pourquoi je devrais l’endurer », répondit Roland qui commençait à comprendre les intentions du Grand Prêtre.  

De toute évidence, même si elle n’était pas en état de riposter, l’Église n’avait pas l’intention de lui laisser prendre la ville si facilement. Elle entendait bien lui faire obstacle mentalement. Quoique ses intentions ne fussent pas pareilles, Cléo avait tenté de lui jouer le même tour avant leur ultime combat. Si Roland n’avait rien su de la Bataille de la Divine Volonté, il aurait été pris de court en apprenant que les Diables s’apprêtaient à éradiquer le genre humain. En lui mettant cette responsabilité sur les épaules, l’Église entendait bien le déstabiliser.

– « Des accusations ? Balivernes! Ais-je l’air de plaisanter ? Ô jeune Roi inexpérimenté, il semblerait que la Purifiée ne vous ait pas dit toute la vérité. » Jacob lança un regard significatif à Isabella et poursuivit : « L’Église était chargée d’une lourde mission qui dépasse l’imagination, connue uniquement de quelques hauts dignitaires. Vous ignorez quel type d’ennemi nous nous sommes préparés à combattre au cours des derniers siècles. Vous avez tout détruit, aussi, content ou non, vous allez devoir assumer la responsabilité pleine et entière des évènements à venir. Lorsque ce sera la fin pour nous tous, vous ne pourrez rien faire d’autre que d’assister, impuissant, à la destruction de votre royaume! »

« De toute évidence, cet homme ne cherche pas seulement à me déstabiliser mentalement, il tente pas tous les moyens de me diviser d’avec Isabella. Dommage qu’il m’ait mal jugé et envoyé les mauvais signaux », pensa Roland. Tandis qu’il regardait le vieux prêtre moralisateur, une vieille maxime lui revint à l’esprit : « Le monde entier est un théâtre et tous, hommes comme femmes, en sont les acteurs. * »  

– « Que vous me croyiez ou non, la vérité est la vérité », dit le prêtre.

Jacob laissa échapper un long soupir, ouvrit le livre qu’il tenait à la main et le lui tendit en disant : « Ceci est le canon de l’Église. Lisez-le et vous comprendrez à quel point vous avez agi sottement! Nos… ou plutôt les véritables ennemis de l’humanité sont… »

– « Les Diables, c’est bien cela ? » Coupa Roland d’un ton désinvolte. « Si vous avez construit votre Cité Sainte ici, ce n’est pas pour combattre les bêtes démoniaques mais pour les gisements de Pierres du Châtiment Divin qui se trouvent dans la montagne. Sous la cathédrale il y a un lieu secret où vous extrayez la pierre et créez l’Armée du Châtiment Divin. Étant donné que le Pape seul connaît le cérémonial de conversion, peut-être n’en avez-vous jamais entendu parler. Aviez-vous l’intention de me parler de la Bataille de la Divine Volonté ou du Sourire Divin ? Cette guerre qui revient environ tous les quatre cents ans n’est pas une découverte pour moi, pas plus que les Diables ne sont des esprits invisibles. Pour tout vous dire, j’ai déjà eu l’occasion de les affronter. Qu’aviez-vous donc l’intention de m’apprendre ? »  

– « Vous…Je… » Jacob était tellement surpris qu’il se mit à bégayer, incapable de répondre. On aurait dit qu’il allait s’évanouir.  Au bout d’un moment, il pointa du doigt Isabella : « C’est vous qui… »

– « Je ne lui ai rien dit », répondit doucement la sorcière. « Depuis longtemps il en sait beaucoup plus que nous ne l’aurions cru. Vous l’avez… je veux dire nous l’avons sous-estimé. »  　　

– « Maintenant que vous avez terminé votre histoire, laissez-moi vous raconter la mienne », dit Roland avec un rire froid.

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NDT : Citation de William Shakespeare.