Réunis dans une grande tente au cœur du camp militaire de la Région du Nord, tous étaient affairés aux préparatifs de la bataille à venir.

– « Vous comptez laisser tout le front aux sorcières ? » S’exclama Face D’Aigle, intrigué par le plan d’Edith. « Ce n’est pas que je n’aie pas foi en leurs capacités, mais les troupes du Royaume de l’Aube comptent au moins dix mille hommes, dont une bonne partie porte des Pierres du Châtiment Divin. Si, une fois là-bas, elles devaient mener une lutte acharnée, il nous serait difficile de leur venir en aide. »  

– « C’est ce que j’ai d’abord pensé moi aussi », répondit la jeune femme en souriant. « Pour tout vous dire, cette idée ne vient pas de l’État-Major mais de Sa Majesté. »

– « Vous a-t-il remis un document officiel ? » demanda le commandant adjoint.

– « Le voici », répondit la Perle de la Région du Nord en lui tendant une lettre confidentielle cachetée de rouge. « Et comme vous pourrez le voir dans la dernière partie de la lettre, le Roi me confie temporairement le commandement. »

Conformément au règlement de la Première Armée, toute opération militaire devait faire l’objet d’un document écrit que les officiers concernés signaient après en avoir pris connaissance. Dans la mesure où ce plan portait la griffe du Roi, il devrait être exécuté sans conditions.  

Après avoir vérifié la signature, Face D’Aigle se mit au garde à vous et salua ;

– « La garnison de la Région du Nord s’engage à remplir sa mission! »

Edith sourit :

« Bien. Mais n’oubliez pas que votre but est de porter un coup dévastateur à nos adversaires au moment où ils battront en retraite. C’est une condition sine qua non, ce qui signifie que s’ils ne le font pas, l’opération ayant échoué, vous avez pour ordre de revenir à l’Échelle des Nuages. Ne tentez rien qui n’ai été autorisé. Faites le bien comprendre à tous les soldats. »    

– « Revenir ? Vous voulez dire… battre en retraite ? » Demanda Face D’Aigle, stupéfait. « Sa Majesté douterait-elle de la faisabilité de ce plan ? »

– « Qui sait ? Nous n’avons encore jamais tenté cette stratégie. Si jamais elle ne fonctionne pas, nous devrons en trouver une autre, c’est d’ailleurs pourquoi le Roi m’a envoyée ici », répondit sans détour la jeune femme.  

– « Et les sorcières ? »

– « Même si elles échouent, elles ne courent aucun danger. »

– « Compris. Je vais faire les préparatifs. Nos troupes partiront demain matin », répondit Face D’Aigle en saluant à nouveau.  

– « Cette mission, qui a pour nom de code “Opération Bombardier”, commencera dès que vos troupes seront en place, ajouta Edith en saluant à son tour. « Vous pouvez disposer. »  

– « À vos ordres! » Répondit Face D’Aigle, confiant, même s’il ne comprenait pas le sens du mot “bombardier”.

À ses yeux, les inventions du Roi étaient toujours extraordinaires.  La machine à vapeur en était un parfait exemple.

Cela faisait deux jours que Foudre était arrivée au camp lorsqu’elle reçut enfin l’ordre de passer à l’action.

– « Maggie ayant transporté tout le monde sur place, vous pouvez partir à présent », lui dit Sylvie à travers le Sceau d’Écoute qu’elle tenait à la main. « Les soldats du Royaume de l’Aube ont déjà démonté leurs tentes et fait leur paquetage. Ils se rassemblent en vue de la guerre. J’espère que vous pourrez les rattraper! »

– « Rassurez-vous, nous y serons très vite. » Puis, se tournant vers Maggie et Colibri, la jeune fille lança! « Allons-y, le moment est venu! »  

Durant deux jours, elle avait survolé les environs pour vérifier la carte de l’Échelle des Nuages et se rendre compte de la situation.

Le plan de Sa Majesté n’était pas compliqué. Les six sorcières seraient réparties en deux équipe, l’une chargée du transport et de la logistique avec l’aide de l’Arche Magique de Marge.

Sylvie, qui pouvait repérer l’ennemi de loin, et Lily, chargée d’endiguer la peste démoniaque dans le cas où l’Eglise, désespérée, la répande pour tuer les soldats du Royaume de l’Aube entrés de force dans la Cité Sainte, faisaient elles aussi partie de ce groupe.

Quant à la seconde équipe, elle était au centre de l’opération.

Assise dans le porte bombes, Colibri prit chacune des barres de raccordement dans sa main et fit passer son pouvoir magique dans la structure de fer que Roland avait baptisée le “Vent d’Est”, réduisant ainsi son poids et celui des huit bombes qu’il contenait de 99% afin que Maggie puisse le transporter.  

La jeune fille aux cheveux blancs prit alors l’apparence d’une bête géante et se posa sur le porte-bombes que Foudre attacha solidement à son corps à l’aide de cordes et de lanières de tissu.  

La capacité de Colibri n’affectant pas les êtres vivants, Maggie portait donc le Vent d’Est et la sorcière, l’un n’étant pas plus lourd que l’autre. Tant que Colibri parviendrait à maintenir l’effet réducteur de poids, Maggie pourrait effectuer des frappes de précision depuis les airs.  

Roland, qui avait obtenu un succès remarquable avec le ballon à hydrogène en bombardant l’ancienne Cité du Roi, avait quelque peu amélioré le procédé.  

Le vol de Maggie étant beaucoup plus rapide et flexible que celui du ballon, elle avait désormais pour mission de remplacer celui-ci. Par ailleurs, le fait qu’elle puisse plonger en piqué avant de larguer la bombe épargnait à Foudre d’avoir à corriger la direction, lui permettant ainsi de se concentrer sur les repérages et le guidage.

Même si, depuis qu’elle s’entraînait sur des canons, le pouvoir de Colibri avait beaucoup augmenté, elle ne pouvait guère agir plus d’une demi-journée sur ces lourdes et énormes bombes, c’est pourquoi, la plupart du temps, les obus, les ogives et les munitions étaient transportés séparément.

Mais fort heureusement, ce serait amplement suffisant, les troupes du Royaume de l’Aube n’étant pas loin.

– « La voie est libre! Vous pouvez décoller. Je répète :  vous pouvez décoller! »

Sur ce, Foudre abaissa ses lunettes de protection et prit son envol.

« Ah … ça vient encore », soupira Colibri.

– « Ow! Ow! »

Maggie battit alors de ses larges ailes et décolla, projetant une énorme ombre sur le sol. Sous l’effet du déplacement d’air aussi puissant que des rafales de vent, les tentes se mirent à trembler. Elle ajusta sa direction et prit son envol vers le Mont Hermès.

Une heure plus tard, les trois sorcières survolaient la Vieille Cité Sainte. Elles eurent tôt fait de repérer l’armée de plus de dix mille hommes qui, vu de haut, donnait l’impression qu’un ruisseau serpentait vers la ville pour se disperser à l’approche de celle-ci. On aurait dit des fourmis colorées qui progressaient lentement et grignotaient peu à peu le territoire de la Vieille Cité Sainte.

Foudre, qui détestait l’Église, ne ressentait aucune pitié à la voir ainsi pillée. À ses eux, ce n’était que justice, cependant, elle savait que dans cette ville se trouvaient aussi d’innombrables innocents, en particulier les orphelines que l’’institution ramassait partout dans le pays pour les emmener au monastère. Celles-ci n’avaient pas à périr!

La jeune fille prit une profonde inspiration et s’éleva jusqu’à ce que l’air lui manque, puis, les bras écartés, elle plongea sur la foule, dans la direction opposée au déplacement des troupes du Royaume de l’Aube.  Elle n’avait pas besoin de se retourner pour savoir qu’après toutes ces années de coopération, Maggie la suivait de près.

Sa rapidité était telle qu’elle sentait tous ses organes remonter dans son corps. Ce n’était guère agréable, mais elle avait toujours aimé la vitesse.

Très vite, sa visibilité se fit plus claire et elle put même apercevoir l’effroi sur les visages à la vue de l’ombre qui descendait du ciel.

À mi-chemin du cortège, elle remonta brusquement en criant :

– « Maintenant! Lâchez les bombes! »  

Aussitôt, Colibri tira sur le déclencheur.