Ce monstre ailé, féroce et laid aux ailes dénuées de plumes et à la force stupéfiante lui semblait légèrement familier.
– « Une minute! Ne dirait-on pas ce pigeon blanc, particulièrement proche de Cendres ? » Se dit Loélia, tandis qu’une image très nette lui revenait à l’esprit.
– « Maggie ? » Laissa-t-elle échapper sans s’en apercevoir.
– « Un loup qui parle ?! Goo!»
Le monstre poussa un cri étrange, écarquilla les yeux et recula de quelques pas.
Voyant cela, la femme-loup resta figée sur place, incapable de décider si elle devait ou non se précipiter sur lui. Quelle que soit la raison qui ait poussé Maggie à l’attaquer sournoisement, c’était une bonne occasion de se mesurer à elle. Cependant, l’air paniqué du monstre l’amenait à penser que c’était plutôt lui qui était tombé dans un piège.
Soudain, elle entendit une voix claire et juvénile :
– « Que vous êtes bête, c’est une sorcière! Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous notre existence ? »
Loélia leva les yeux, les plissa en raison du soleil et aperçut une autre sorcière qui flottait dans les airs. La lumière était si vive qu’elle pouvait à peine distinguer ses cheveux blonds coupés courts qui volaient au vent et le reflet argenté d’une arme dans sa main.
À la grande surprise de la femme-loup, cette jeune fille semblait très expérimentée en matière de combat. En effet, cette technique visant à utiliser les rayons du soleil pour éblouir l’adversaire n’était pas particulièrement facile à maîtriser.
Consciente que ces sorcières n’étaient pas venues la défier, Loélia se détendit. Si elle aimait les défis, en aucun cas elle ne voulait contraindre ses adversaires. Par ailleurs, ce que lui avait dit Cendres lui restait en mémoire : « Tous ceux qui ont osé défier Maggie ont joué de malchance. » Aussi décida-t-elle de contourner ce problème en renforçant seule ses capacités de combat.
Elle laissa tomber le paquet qu’elle tenait dans sa gueule et reprit sa forme humaine.
– « Je me nomme Loélia Cœur Ardent. Je viens du désert et je suis venue en compagnie d’Andrea et de Cendres, qui chemin faisant, m’a parlé de vous, Maggie. »
– « Je m’en souviens en effet », dit le monstre qui, en un clin d’œil, se mit à rétrécir et prit l’apparence d’une jeune fille de petite taille aux longs cheveux blancs qui touchaient presque le sol. « Je l’ai rencontrée lorsque je suis allée chercher Cendres, Goo! »
– « Cendres ne vous a rien dit à mon sujet ? » Grommela la jeune fille blonde, visiblement mécontente.
– « Vous êtes… »
– « Foudre, la plus grande exploratrice de toute la région… euh, je veux dire : de toute le Royaume de Graycastle! » Dit-elle se posant devant la femme-loup. « Vous vous souvenez certainement de moi! »
– « Goo… pourquoi avez-vous ôté vos vêtements ? » Demanda Maggie, curieuse, en regardant la poitrine de la jeune femme. Puis, désignant la sienne, elle ajouta : « Vous pouvez aussi modifier cela ? Goo. »
Foudre lui donna un coup sur la tête :
– « Cessez-donc de la regarder ainsi! Toutes les capacités sont différentes. »
– « Dites-moi, pourquoi m’avez-vous attaquée ? » Demanda Loélia en enfilant son manteau.
À ces mots, Foudre perdit sa belle assurance. Elle semblait même un peu gênée :
– « J’ai cru que vous étiez un Loup des Neiges mutant », répondit-elle. « C’est notre travail que de surveiller le nord-est, d’éliminer les bêtes démoniaques qui errent sur les Terres Barbares et de chasser pour ramener nos proies au château. »
– « Nous volons aussi des œufs dans les nids, nous ramassons des rayons de miel et faisons rôtir des aliments dans la nature. »
– « Cela ne fait pas partie de notre travail! » Coupa Foudre. « Pour tout dire, cette région est quasi déserte et comme les Mois des Démons viennent de s’achever… »
– « Je vois », acquiesça Loélia.
Cette explication lui semblait plausible. En effet, elle avait à maintes reprises entendu dire que chaque année, lors des Mois des Démons, les frontières des royaumes du nord devenaient très dangereuses. De plus, après leur combat contre l’Aigle à Quatre Ailes, Cendres lui avait beaucoup parlé des hybrides démoniaques, aussi était-il tout à fait possible que ces sorcières, du haut du ciel, aient pris l’énorme Loup du Désert qu’elle était pour l’une d’entre elles.
– « Et vous ? » Demanda la jeune fille ? « Que faites-vous donc toute seule sur les Terres Barbares où errent de nombreuses bêtes démoniaques et peut-être plus terrifiant encore ? »
– « Vous voulez parler des Diables ? » Questionna calmement Loélia. « Si tel est le cas, je pense que je suis au bon endroit. »
– « Vous connaissez l’existence des Diables ? Goo! »
– « Je suis à la recherche d’une ville abandonnée où j’ai entendu dire que des Diables avaient été vus. » Elle s’interrompit un moment avant d’ajouter : « Je voudrais les chasser. »
Foudre demeura un moment stupéfaite, puis elle regarda Loélia avec un air curieux. On aurait dit qu’elle se retenait de rire.
– « Qui vous a raconté ça ? »
– « Pourquoi ? Quelque chose ne va pas ? » S’enquit Loélia.
– « Des Diables ont en effet été vus à Taquila, mais c’était il y a plus de quatre cents ans », répondit Foudre en souriant. « Certes, ils peuvent revenir à tout moment, c’est d’ailleurs pourquoi nous patrouillons dans ce secteur. Mais si vous tenez absolument à vous rendre dans cette ville abandonnée, il va vous falloir au moins une semaine de route… Plus important encore, les Terre Barbares sont si vastes que si vous vous écartez un tant soit peu de votre chemin, jamais vous ne trouverez la ville. Sachez qu’à l’origine, cet endroit dont la superficie dépassait largement celle du Royaume de Graycastle… ou plutôt celle des Quatre Royaumes, avait pour nom les Plaines Fertiles. »
– « Vraiment ? »
La femme-loup ne put s’empêcher de froncer les sourcils.
Habituée à errer dans le désert pendant deux mois consécutifs pour s’entraîner au combat, chasseresse chevronnée qu’elle était, la distance ne l’effrayait pas. Elle avait suffisamment de patience pour attendre les Diables et espérait pouvoir vivre un certain temps dans la nature afin de ne pas dépenser ce qui lui restait d’argent. Mais si cet endroit était aussi vaste que la sorcière le prétendait, elle risquait de ne pas trouver la ville abandonnée, pensée qui lui était intolérable.
– « Oui, mais j’admire votre courage et votre esprit aventureux! » Répondit Foudre, les poings sur les hanches. « Il en faut, en effet, pour vous lancer dans une exploration avec si peu d’informations! Il ne fait aucun doute que vous feriez une bonne exploratrice. J’ignore pourquoi vous avez refusé de rejoindre l’Association des Sorcières, mais vous pourriez faire partie de l’Équipe d’Exploration de la Cité Sans Hiver! Que diriez-vous de venir explorer avec nous ce continent brumeux ? »
– « Vous participeriez à nos barbecues! » Ajouta Maggie en levant joyeusement les bras.
– « Je vous remercie, mais non », répondit Loélia en soupirant intérieurement.
En effet, les choses ne se passaient pas exactement comme elle l’avait espéré. Maggie, qui lui semblait aussi féroce que l’Aigle à Quatre Ailes, se révélait être une jeune fille immature et non une guerrière qualifiée. Si la Princesse était venue à la Cité Sans Hiver, c’était pour repousser ses limites et gravir le sommet en matière de combat, non pour jouer avec des enfants. Elle décida donc de se mettre seule à la recherche de la ville, convaincue qu’il s’agissait là d’un autre défi que lui lançaient les Trois Dieux.
Elle s’apprêtait à prendre congé lorsque Foudre l’arrêta :
– « Attendez un instant! Si vous vous joignez à notre équipe d’exploration… Je vous emmènerai jusqu’aux ruines de Taquila. »
À ces mots, les oreilles de Loélia se dressèrent :
– « Parce que vous y êtes déjà allée ? »
– « Bien sûr! En plus de quatre cents ans, nous sommes les seules à avoir franchi ses remparts », répondit la jeune fille avec fierté. « J’en sais aussi beaucoup au sujet des Diables. J’ai même combattu un Diable Supérieur, particulièrement puissant. Ces informations exceptionnelles devraient vous intéresser. Réfléchissez. »