Relâchez cette Sorcière | Release that witch | 放开那个女巫
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Chapitre 840 : Sang noir
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De retour au château, Roland ne se sentait toujours pas en paix. On dit que lorsqu’ils sont heureux, les gens versent des larmes mais celles qu’il avait vues dans les yeux d’Héroïne n’étaient pas uniquement dues à la joie. C’était aussi l’expression d’émotions trop longtemps réprimées au cours d’années de souffrance, de traitements injustes et de fausses accusations.

Si elle avait le regard sévère, cela ne signifiait pas nécessairement qu’elle ne souffrait pas.  C’était plutôt un masque sous lequel elle dissimulait ses véritables sentiments. Cette réaction était plutôt normale étant donné qu’avant que ces malheurs ne s’abattent sur elle, Héroïne n’était encore qu’une jeune fille. Mais elle avait su rester forte et garder espoir.

Le traitement s’étant avéré efficace, elle avait retrouvé ses jambes et si elle avait pu les sentir à son réveil, c’était signe que les nerfs de ses pieds étaient bien connectés avec son nerf rachidien. Cependant, comme elle n’avait pas marché depuis longtemps, il allait sans doute lui falloir une période de rééducation.

Grâce à cette séance de soins, Roland avait désormais la certitude qu’Épée Brisée était en mesure d’augmenter la “limite du pouvoir magique” des sorcières.

Celle-ci était spécifique à chacune. Colibri, par exemple, était limitée en volume d’objets à alléger, à la durée de son pouvoir magique et à la réduction du poids en elle-même. Une fois l’une de ces limites franchie, sa consommation en matière de pouvoir magique se démultiplierait.  C’était comme un indice croissant qui ne pouvait pas aller bien au-delà de sa valeur normale. Autrement dit, Colibri était incapable de faire d’une énorme montagne quelque chose d’aussi léger qu’une plume, pas plus qu’elle ne pouvait maintenir en permanence l’efficacité de son pouvoir. Cela lui demanderait certainement une quantité phénoménale de Magie.

Il en allait de même pour Naela. Pour pouvoir faire repousser un membre, elle avait besoin de beaucoup plus de pouvoir que sa limite le permettait. C’est pourquoi, même aidée de Chloris, elle pouvait réimplanter des doigts amputés mais était incapable de régénérer des membres.

Grâce à Épée Brisée, ces limites pouvaient être augmentées de sorte que l’impossible devienne possible. La sorcière n’avait plus besoin de consommer une quantité considérable de pouvoir magique à la fois. Il lui suffisait d’appliquer plusieurs fois ses capacités.

Roland prit dans son tiroir une pile de rapports sur lesquels Wendy avait consigné les résultats d’expériences impliquant Épée Brisée en collaboration avec d’autres sorcières et les étala sur son bureau.

Les résultats montraient que grâce à elle, les capacités de la plupart des sorcières s’étaient considérablement renforcées, le recul de leur limite leur permettant d’améliorer l’efficacité de leur travail. Par exemple, un Aurore II, ensorcelé par Lune Mystérieuse durait beaucoup plus longtemps, passant des cinq jours habituels à deux semaines. Une amélioration extrêmement précieuse pour la Cité Sans Hiver qui, pour l’heure, n’était pas en mesure de produire de l’électricité à grande échelle. En effet, le nombre d’usines augmentant, l’alimentation électrique destinée à l’éclairage se heurtait à un obstacle.

En outre, elle contribuait beaucoup à augmenter l’effet de consolidation de Chandelle, ce qui était particulièrement bénéfique quant à la durée de vie des machines-outils et à l’amélioration du niveau de traitement. Sans son aide, et avec tous les ouvriers agricoles désormais affectés aux usines, il n’aurait pas été surprenant de trouver chaque jour une dizaine de têtes de forages voire des machines endommagées.

L’assistance d’Épée Brisée était également très précieuse à Soraya, Ayesha, Lucia, Page-Blanche… qui, elles aussi, travaillaient dans les usines et grâce auxquelles, en dépit du manque de main d’oeuvre et à défaut d’une agence de réglementation bien établie, le développement industriel de la Cité Sans Hiver restait phénoménal. Sans elles, il y aurait davantage d’accidents et de pannes du système dues à la dangerosité et à l’aspect primitif des méthodes de production. Grâce à Épée Brisée, la production serait désormais plus sure et plus efficace.  

En terminant son rapport, Roland se dit que la jeune fille allait être l’une des sorcières les plus occupées de toute la ville.

Dans l’après-midi, Sean, son garde, entra dans son bureau.

– « Votre Majesté », dit-il. « Sir Kyle, le Ministre de l’Industrie Chimique, souhaiterait que vous alliez visiter le Labo 4. Il affirme que ce que vous avez demandé est en progrès. »

Le regard de Roland s’éclaira :

– « Vraiment ? Dans ce cas, réorganisez mon emploi du temps. J’y vais de ce pas. »  

– « Bien, Votre Majesté. »

Escorté par des gardes, le Roi se rendit donc au laboratoire N°4.

Depuis l’implantation des usines d’acidification et de nitrification, les modestes bungalows, construits à l’origine pour être de petits ateliers d’expérimentation et de production, étaient devenus le véritable centre de recherche de la Cité Sans Hiver. On avait édifié des murs près de la Rivière Écarlate pour séparer les bâtiments et le centre de recherche était désormais gardé, doté d’une équipe logistique. L’intérieur avait même été rénové et les murs extérieurs repeints d’une couleur crème qui leur donnait un air grandiose.  

Lorsque Roland arriva, ce fut le vice-ministre, Chavez, qui vint l’accueillir à la porte, l’air un peu embarrassé. Le Roi ne s’offusqua pas de l’absence de Sichi, qu’il connaissait depuis longtemps. Il agita la main et, sans dire un mot, entra dans le bâtiment.

Debout devant une longue table, Kyle avait les yeux rivés sur le liquide ambré et transparent qui s’écoulait du tube du condenseur dans le bécher, dégageant une odeur ancienne et familière. Autour du récipient se trouvaient d’autres béchers contenant des liquides de différentes nuances.

Roland prit une profonde inspiration : il y avait longtemps qu’il n’avait pas senti l’odeur de l’essence.

Certes, on ne pouvait qualifier d’essence ce produit brut sans commune mesure avec le carburant largement utilisé dans le monde moderne, même si l’odeur était similaire. Il y avait encore bien du chemin à faire avant que cela ne devienne une source d’énergie constante.

S’apercevant de la présence de Roland, l’Alchimiste en Chef porta la main sur sa poitrine :

– « Votre Majesté », dit-il. « Vous aviez raison, Les Eaux Noires découvertes dans la Région de l’Extrême Sud contiennent en effet de nombreux composants liquides. J’ai effectué quelques expériences selon les approches décrites dans” Chimie Intermédiaire “et découvert que les composants pouvaient être séparés par distillation, cependant… » Il désigna les béchers posés sur la table : « Si l’on poursuit la distillation, on obtient des échantillons à la composition quasi identique. »

– « Cela signifie que vous avez bien fait les choses », répondit Roland qui savait que tous ces composants étaient en fait des hydrocarbures et qu’en réalisant la même expérience, Lucia obtiendrait le même résultat. « Avez-vous fait d’autres découvertes ? »

– « Tous ces composants sont des combustibles. Par ailleurs, la couche supérieure des liquides issus de la distillation est d’une nature particulièrement instable. Prenez, par exemple, celui-ci… »  Kyle prit le bécher contenant le liquide ambré et le secoua légèrement : « Si vous l’enflammez, il explose! Votre Majesté, auriez-vous l’intention d’en faire un explosif encore plus puissant ? »

Roland regarda le vieil alchimiste avec un petit rire en coin. De son avis, celui-ci, avait fait d’immenses progrès et était en train de devenir un véritable chimiste. La preuve : il était désormais en mesure d’associer matières combustibles et explosifs.

Ces échantillons d’Eaux Noires avaient été prélevées au Cap Sans Fin.

Dès le début, il avait pensé que le feu souterrain qui y brûlait en continu était dû à l’éruption de puits de pétrole. Roland en avait beaucoup appris sur le sujet : le pétrole appartenait à une grande famille dans la mesure où il était le lien vital de l’industrie moderne et le matériau essentiel qui avait grandement influencé la Guerre Mondiale. La différence entre les échantillons recueillis sur les continents orientaux et occidentaux était flagrante, plus encore que la couleur de peau de leurs habitants, au point qu’on pouvait les considérer comme deux substances différentes. Leur couleur variait énormément, allant du doré au vert foncé en passant par le noir, le marron et même la transparence. Certains étaient clairs comme de l’eau et d’autres épais et visqueux. Certains encore étaient extrêmement inflammables tandis que pour d’autres, il était impossible de les enflammer directement.

En termes de composition, tout hydrocarbure constitué d’un mélange d’hydrogène et de carbone pouvait être considéré comme une sorte de pétrole, y compris les Eaux Noires.

En d’autres termes, peu lui importait que les Eaux Noires soient ou non semblables au pétrole tel que le monde moderne le connaissait, du moment qu’il pouvait en tirer du combustible. Après tout, personne dans le monde moderne ne connaissait vraiment l’origine du pétrole ni les différents types existant. Lorsqu’il était jeune, Roland avait entendu dire que d’ici une cinquantaine d’années, le pétrole serait épuisé, cependant, on découvrait chaque année plus de gisements que n’en exigeait la consommation réelle, la somme de toutes les réserves découvertes dépassant largement les estimations calculées en fonction des données connues de la biotransformation.

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