Allongée contre lui, Anna l’écouta raconter comment la Sorcière du Châtiment Divin s’était accidentellement retrouvée dans le Monde des Rêves.

– « Elles pourraient donc retrouver toutes les sensations perdues et mener à nouveau une vie normale ? » Elle prit une profonde inspiration et ajouta d’un ton ravi mais teinté de mélancolie et de regret : « C’est merveilleux! si seulement je pouvais, moi aussi, voir le monde dans lequel vous viviez… »

– « Il faudrait pour cela que vous transformiez votre âme en faisceau de lumière. Le prix en serait bien trop élevé », répondit-il en lui caressant les cheveux et le lobe de l’oreille. « Par ailleurs, nous pouvons faire de la Cité Sans Hiver un endroit idéal, comparable au Monde des Rêves. »

– « C’est vrai », répondit la jeune femme en riant. « Cependant, vous sentiriez vous un peu coupable à présent ? »

– « Pardon ? » Fit Roland, un peu abasourdi. « Non, je… »

– « Ne dites rien », Répondit Anna en posant sa tête contre sa poitrine. « Laissez-moi écouter… 

Héhé! » Murmura-t-elle au bout d’un moment. « Vous vous sentez un peu coupable et inquiet. Phyllis est très jolie et vous craignez que j’en prenne ombrage, je me trompe ? »

– « Eh bien… » Roland ne savait qu’ajouter à sa réponse qui ne pouvait être plus exacte.

– « Ne vous inquiétez pas », dit la jeune femme en inclinant la tête. « J’ai confiance en vous car vous êtes quelqu’un de droit. » Elle marqua une pause et reprit d’un ton plus grave : « Roland, vous avez décidé de les aider comme vous l’aviez fait pour l’Association de Coopération des Sorcières et pour moi. C’est une bonne action, aussi, comment pourrais-je me montrer soupçonneuse ? N’est-ce pas là votre devoir de Roi ? »

Roland se sentit légèrement soulagé.

Il n’était pas certain que Rossignol se serait montrée aussi compréhensive. Mais si Anna disait qu’elle le croyait, elle le pensait vraiment et son expression montrait qu’elle le soutenait dans sa décision de trouver un foyer aux sorcières de Taquila et de les aider à reprendre conscience.

Le bon cœur de la jeune femme n’avait jamais changé depuis le jour où il l’avait rencontrée.

– « Mais à partir de maintenant, promettez-moi de me raconter tout ce que vous faites dans le Monde des Rêves », lui murmura-t-elle à l’oreille avec un clin d’œil.

– « C’est promis », acquiesça Roland.

Avec un sourire de satisfaction, Anna se glissa lentement sur lui et prit son visage entre ses mains :

– « À présent, vous êtes tout à moi », dit-elle en le mordillant le cou.

Bientôt, on entendit plus dans la chambre que leur douce respiration.

Lorsque Phyllis annonça l’incroyable nouvelle aux sorcières de la Troisième Ville Frontalière, ce fut une explosion d’émotions.

– « Vous voulez dire que si nous coupons avec notre conscience dans le champ du faisceau lumineux, nous pouvons reprendre notre apparence d’origine ? »

– « Ceci n’a aucune importance, pourvu que nous retrouvions le sens du toucher et de l’odorat ! »

– « Le KFC est-il à ce point délicieux ? Plus que la viande rôtie à la sauce au miel ? »

– « Pourriez-vous … m’emmener dans le Monde des Rêves ? »

– « Moi aussi! »

– « J’aimerais beaucoup… »

Toutes les sorcières entouraient Phyllis et lui posaient avidement toutes sortes de questions. Elles avaient perdu leur calme habituel et ne s’étaient jamais montrées aussi agitées, même lorsqu’une horde de bêtes démoniaques envahissait leur labyrinthe souterrain.

– « Taisez-vous! » S’écria Althéa. « Si nous nous rendons toutes ensemble au château, ils risquent de nous soupçonner de vouloir envahir la Cité Sans Hiver! » Elle posa un tentacule sur Pasha : « Qu’en pensez-vous ? Le Roi des gens ordinaires nous tendrait-il un piège ? »

– « Quand bien même ce serait le cas, elles s’y précipiteraient volontiers », répondit Pasha avec un petit rire amer.

Elle n’était toujours pas remise du choc éprouvé en écoutant le récit de Phyllis. Qui, parmi les survivantes de Taquila, pourrait refuser de se laisser tenter par un monde hautement développé où toutes les âmes pourraient retrouver une nouvelle vie ? Ce Roi leur avait également appris le moyen de vaincre les Diables, moyen qu’elles cherchaient depuis si longtemps. Après avoir souffert pendant des centaines d’années, voilà qu’un espoir se dessinait enfin! C’était si incroyable qu’elle en fut prise de vertige.

Il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas rêvé!

Même si Pasha espérait vraiment que tout ceci soit vrai, elle n’était pas encore totalement convaincue. Comment un homme ordinaire, qui ne possédait aucun pouvoir magique, pourrait-il être le sauveur qu’attendaient les sorcières de Taquila ? La vigilance et la méfiance d’Althéa n’avaient rien d’étonnant.

Pasha devait absolument envoyer quelqu’un vérifier les dires de Phyllis. Non pas qu’elle n’ait pas confiance en elle, car depuis qu’elles avaient rompu avec l’Union et étaient parties en exil, les survivantes se considéraient comme des sœurs. Cependant, elle craignait que Phyllis ait été trompée.  

Cela semblait si beau qu’elle se sentait en devoir de redoubler de prudence.

Cela étant, Pasha s’adressa mentalement à l’assistance :

– « Le roi Roland est-il vraiment disposé à laisser d’autres personnes entrer dans le Monde des Rêves ? »

– « C’est ce qu’il a dit. Mais ce ne sera pas tout de suite », expliqua Phyllis. « Tout comme dans le monde réel, cet univers a ses règles auxquelles nous devons nous conformer. Afin d’éviter tout changement inutile susceptible de résulter d’une éventuelle exposition, le premier groupe devra satisfaire à ses exigences pour pouvoir entrer dans ce monde. Elles seront alors des pionnières chargées de préparer la venue des autres. »  

En entendant cela, Pacha se sentit légèrement soulagée. S’il s’agissait d’un piège, il aurait laissé entrer davantage de personnes au lieu de laisser aux Pionnières une chance de s’en apercevoir et de prévenir les autres.

– « Quelles sont ces exigences ? »

– « Eh bien… » Commença Phyllis, un peu hésitante, « il voudrait des sorcières capables de se déplacer rapidement, dotées de capacités d’infiltration, de contrôle et d’attaque. »

– « Autrement dit des sorcières de combat! » Intervint Althéa. « N’avez-vous pas dit que ce monde était beaucoup plus puissant que les Diables ? Cela me semble assez contradictoire. »  

– « Il n’attend pas de nous que nous combattions le monde entier, mais… »

– « Mais quoi ? »

– « …que nous procédions à des pillages privés », répondit Phyllis, embarrassée. « Bien entendu, uniquement sur de mauvaises personnes qui le méritent. »

Un bref silence s’installa.

– « Une minute!  S’imagine-t-il que nous sommes des malfrats ? Nous sommes des personnes respectables… »

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase que déjà, les exclamations de l’assistance couvraient sa voix.

– « Ça semble intéressant! »

– « Je suppose que ces gens-là ne possèdent pas de Pierre du Châtiment Divin. Qui pourrait arrêter mon lancer continu de boules de feu ? »

– « Vous êtes trop bruyante! Ce dont Sa Majesté a besoin, c’est évidemment de personnes qui agissent silencieusement. Ma Dague d’Ombre sera parfaite. »

– « Vous ne pouvez tirer qu’à une distance de dix pas et n’avez guère de puissance d’attaque! »

– « Je peux couvrir mes coéquipières. Allons-y! »

Pasha tapota doucement le dos d’Althéa :

– « Ne faites pas attention », dit-elle, « voilà si longtemps qu’elles s’ennuient. »