– « Quelle est cette lumière ? » Demanda Phyllis, surprise.
« Je l’ignore. C’est peut-être un moyen de renvoyer le pouvoir magique dans ce monde » répondit Roland en tapotant ses mains pleines de poussière. « Il faut quitter au plus vite cet endroit car si jamais quelqu’un nous aperçoit, nous pourrions avoir des ennuis. »
– « Mais ce type n’était-il pas un ennemi ? »
– « Bien sûr que si, mais à cette époque, les gens n’ont pas le droit de tuer, qu’il s’agisse de cet homme ou de tout autre meurtrier infâme. C’est un organisme spécial composé de personnes dont c’est le métier qui se charge d’arrêter et de punir ce genre d’individus », expliqua Roland.
Il avait appris par Garcia que seuls les martialistes titulaires d’un permis de chasse délivré par l’association étaient autorisés à les tuer, de même que toute personne suspectée d’être un Déchu ou encore tout Éveillé susceptible d’être animé de mauvaises intentions.
Si ce secret était rendu public, il susciterait inévitablement un tollé général.
– « Quelle étrange époque », commenta Phyllis.
En sortant du KFC, ils constatèrent que la panique s’était calmée. En effet, tous les gens encore bloqués à l’intérieur du McDonald’s avaient éprouvé un profond soulagement en voyant le Déchu partir brusquement.
C’est alors que Roland aperçut Cléo qui se précipitait vers lui en se frayant un chemin à travers la foule.
Elle avait l’air inquiète. Son bandeau avait glissé et ses longs cheveux blancs ébouriffés lui tombaient sur les épaules. Certaines personnes tentèrent de l’arrêter mais la jeune fille joua de son adresse pour leur échapper et parvint à le rejoindre. Aussitôt, un joyeux sourire éclaira son visage anxieux.
Mais quelques instants plus tard, ce sourire disparut :
– « Pourquoi avez-vous mis tant de temps à sortir, mon oncle ? » S’écria-t-elle, furieuse. « Même une tortue court plus vite que vous! »
Elle avait les joues rouges et le souffle court en raison de l’effort qu’elle venait de faire. En la voyant, Roland ne put s’empêcher de lui caresser la tête :
– « Je suis vraiment désolé si je vous ai causé de l’inquiétude », dit-il.
Les dents serrées, Cléo le regarda :
– « Vous ? Non! C’est pour sœur Phyllis que je m’inquiétais. C’est sa première visite dans cette ville : qu’arriverait-il si elle se perdait dans la foule ? »
Ceci dit, l’adolescente accepta volontiers la caresse.
Roland fit de grands efforts pour tenter de lui expliquer ce qui les avait retardés. En apprenant qu’ils avaient été touchés par l’attaque du Déchu et avaient bien failli ne pas en réchapper, Cléo retrouva son calme.
Fort heureusement, le reste de la journée se passa dans la joie et sans incidents. Roland les emmena acheter des vêtements après quoi ils dînèrent dans une restaurant où l’on servait de la fondue chinoise. C’était une recette très particulière, riche en saveurs et en ingrédients et surtout, très peu coûteuse à condition de commander beaucoup de pommes de terre, de nouilles de riz et de tranches de racine de lotus, toutes très rassasiantes.
Phyllis se montra aussi gourmande qu’au KFC. Ses baguettes allaient bon train tandis qu’elle avalait goulûment les aliments épicés et savoureux. Etait-ce dû à l’émotion ou à la saveur brûlante des épices, quoi qu’il en soit, elle avait à nouveau les yeux larmoyants. À la fin du repas, à la grande stupéfaction de tous, elle but à même le pot la soupe rougeâtre et huileuse.
Il était 21 heures lorsqu’ils rentrèrent à leur immeuble. Ils montèrent au huitième étage pour se diriger vers l’appartement lorsqu’ils tombèrent inopinément sur Garcia.
Celle-ci leur faisait face, le visage glacé, impressionnante.
« M’attendrait-elle ici depuis que j’ai raccroché ? » Se demanda Roland.
Il tressaillit et, embarrassé, tenta de s’expliquer :
– « Comme vous pouvez le constater… J’étais sorti en compagnie de ma parente… »
– « Pouvons-nous parler à présent ? » Coupa-t-elle d’un ton acerbe qui fit froncer les sourcils à Phyllis.
– « Je vous en prie, surveillez-vous! » Dit la sorcière. « Dans ce monde, il est le mai… »
Roland s’empressa de l’interrompre :
– « Rentrez », dit-il. « Tout va bien, j’ai juste à discuter avec cette personne. Je ne serai pas long. »
Depuis qu’il avait raccroché en inventant une misérable excuse, il se disait avec inquiétude que fière comme elle était, Garcia, comme bon nombre de personnes dans ces conditions, serait sans doute furieuse et ne voudrait plus le revoir. Mais contre toute attente, la championne l’attendait devant sa porte. L’association devait vraiment être à court de personnel!
Il la suivit donc au 0827. Avant même de l’inviter à s’asseoir, elle se retourna et le regarda fixement, comme si elle cherchait à lire dans ses pensées :
– « Avez-vous réfléchi ? Où est-ce une excuse pour ne pas vous joindre à l’association ? »
Roland haussa les épaules et alla s’asseoir sur le canapé :
– « Auriez-vous quelque chose à boire ? De l’eau fraîche fera l’affaire. »
Il crut voir des veines bleues palpiter sur ses tempes.
Garcia prit une profonde inspiration, serra les dents et répondit :
– « Je vais vous en chercher. »
– « Je vous en remercie. »
Après avoir bu une gorgée, il demanda doucement :
– « J’ai une question. Dernièrement, j’ai vu un nombre croissant de reportages sur les Déchus et j’en ai personnellement croisé un dans la rue qui venait de s’éveiller. L’association serait-elle en difficulté ? »
– « Vous seriez-vous trouvé à proximité du Parc de Verte Vallée aujourd’hui ? » Demanda-t-elle, les sourcils froncés.
– « Vous êtes au courant ?! »
– « Oui. Quelqu’un a appelé la police, bien que ce soit le travail de l’association. Celle-ci a prévenu tous les martialistes qui se trouvaient à proximité, dont moi. »
– « Ce monstre… »
– « Lorsque nous sommes arrivés sur place, son Noyau avait disparu. Quelqu’un nous a devancés », dit-elle d’un ton grave.
Roland fit celui qui ne savait rien :
– « Vous savez qui ? »
– « Je suis désolée, je ne suis pas autorisée à vous le dire », répondit Garcia en secouant la tête. « En fait, je n’aurais même pas dû vous parler de cet incident. C’est le secret de l’association. Quant à ce que vous m’avez demandé tout à l’heure, en effet, nous avons des problèmes. L’Intrusion du monde extérieur s’accélérant, le nôtre sera bientôt confronté à une crise. »
– « L’Intrusion ? Encore ? » S’exclama Roland, prenant note du fait que c’était décidément le mot clé. « À quel genre de crise pensez-vous ? »
– « Nul ne le sait. Notre monde sera peut-être détruit, à moins que nous ne perdions l’esprit et devenions des monstres. C’est pourquoi l’association a besoin de gens pour se lever et combattre l’Intrusion. Ce sera une crise à l’échelle mondiale, qui n’aura rien à voir avec le sexe, la nationalité ou la race. Ceux qui sont éveillés aux Forces de la Nature ont le devoir d’assumer cette responsabilité! » Souligna-t-elle en haussant le ton. « Nous martialistes, savons que nous pouvons être tués dans la lutte contre l’Intrusion du monde extérieur, mais c’est notre devoir! Cela peut paraître effrayant, aussi je comprendrais que vous hésitiez. Mais réfléchissez-y. Car si nous, nous refusons de nous battre, qui d’autre protègera notre monde ? »
Surpris par sa franchise, Roland garda le silence. Explicitement, elle reconnaissait qu’ils étaient en sous-effectif et que le fait de se joindre à eux était une énorme responsabilité et nécessiterait sans doute des sacrifices. Jamais il n’aurait pensé que quelqu’un agisse ainsi lors de négociations. Si elle voulait convaincre davantage de personnes, Garcia aurait dû s’efforcer de dissimuler les difficultés de l’association plutôt que de se montrer aussi directe sur les risques encourus à y adhérer.
Ceci étant, il comprit pourquoi certains parmi les Éveillés préféreraient se battre seuls plutôt que de rejoindre cette organisation.
Son éloquent discours portant sur l’héroïsme ne pouvait guère avoir d’effet sur les gens de cette époque qui, généralement, plaçaient leurs intérêts personnels au-dessus de ceux de l’humanité.
Lui qui, au départ, n’avait décidé de devenir membre que pour la rémunération et la notoriété réalisa soudain que les choses n’étaient pas si simples. Étant l’un des créateurs de ce monde, le moment était venu pour lui de découvrir ce qui avait pu provoquer la mutation de la Force de la nature et la vérité concernant l’Intrusion du monde extérieur avec l’aide de l’Association Martialiste.
En effet, il avait la nette impression que ces phénomènes étaient liés à la Lune Sanglante.