À ces mots, les guerriers du clan des Briseurs d’Os dégainèrent leurs armes et, sans même sonder leurs adversaires, les encerclèrent par les deux flancs.

Le plan d’Osha était bien pensé, mais ils n’étaient que quatre et même en les encerclant, ils seraient confrontés à des assauts venant de toutes parts.

Ces guerriers, qui ne vivaient que pour les duels, ne redoutaient pas les combats à mort. En montant sur la plateforme, ils avaient déjà offert leur vie aux Trois Dieux car il ne s’agissait pas uniquement d’une lutte pour le pouvoir mais également d’un moyen de plaire aux divinités.

Soudain, la voix de Sandra Lune D’Argent s’éleva, éclipsant les explosions du feu souterrain et de la Rivière Styx.

C’était un chant triste et doux, éthéré, qui semblait venir d’un ciel lointain, imprégné d’émotions de deuil, de souffrance et de chagrin à tel point que ceux qui l’écoutaient ne pouvaient s’empêcher de fondre en larmes.

Les guerriers du clan des Briseurs d’Os s’arrêtèrent net :

– « Non …arrêtez ça! »

– « Que faites-vous ? »

– « Arrêtez! vous profanez ce lieu sacré! »

– « Hérétique! »

– « Je vais vous tuer! »

Les spectateurs changèrent radicalement d’attitude, certains pointant du doigt le clan les Briseurs d’Os tandis que d’autres, le visage caché dans leurs mains, pleuraient comme s’ils venaient d’assister à un évènement douloureux.

Thuram était sur le point de vivre quelque chose d’incroyable.

Le regard meurtrier, les guerriers du clan des Briseurs d’Os se tournèrent contre leur propre clan et, en un éclair, le sang frais et bouillant éclaboussa la foule tandis que les combattants s’entretuaient. Les têtes roulèrent les unes après les autres sur la plateforme, saisies à jamais dans une expression de consternation et d’incrédulité, au son d’une douloureuse mélodie qui semblait vouloir mémoriser et raconter cet horrible massacre.

Cela ne dura qu’un bref instant.

Il cligna des yeux et aussitôt, la scène à laquelle il venait d’assister disparut. Les vingt-deux guerriers continuaient d’avancer, mais cette fois beaucoup plus lentement.  

Leur apathie était inévitable, dans la mesure où les hommes de leur clan étaient censés être leur plus grande source de force, de soutien et de subsistance spirituelle. Tandis qu’ils vivaient et mouraient pour leur clan et sa quête de pouvoir, leur peuple les acclamait en héros. Mais à présent, c’était la pagaille : à entendre les cris et aux malédictions de leurs compatriotes, ils se demandaient ce qui avait bien pu se produire. De leur côté, les autres clans, qui jusqu’ici les soutenaient, leur lançaient maintenant des regards noirs comme s’ils venaient de commettre une faute impardonnable.

Ces guerriers, qui n’avaient jamais été déstabilisés par la puissance d’un ennemi, ne pouvaient ignorer les reproches de leur propre peuple.

Etait-ce là la capacité de la Princesse d’Osha ?

« Mais… comment est-ce possible ? »

Thuram avait déjà observé des capacités de contrôle mental, telles que celle de Kabala du clan de la Pierre de Sable, mais à sa connaissance, jamais ces capacités n’avaient pu être utilisées à plus de dix pas de distance!

Il toucha la Pierre du Châtiment Divin qu’il portait au cou et regarda sa nouvelle maîtresse. Sandra Lune D’Argent se trouvait à une distance nettement supérieure de la tribune. « Est-ce vraiment sa voix qui a poussé ceux qui ne portaient pas de pierre à pleurer si amèrement ? » Se demanda-t-il, persuadé que les guerriers du clan des Briseurs d’Os nourrissaient le même doute.

Or, dans un duel, la moindre hésitation pouvait s’avérer fatale.  

Tout se passa en une fraction de seconde.

Dès l’instant où ils ralentirent leurs pas, Andrea saisit l’opportunité pour lancer des flèches sur les quatre duellistes adverses les plus proches, sans même utiliser le petit arc qu’elle portait sur le dos.  

Soit parce qu’ils étaient perturbés par ce qui se passait hors de la plateforme, à moins qu’ils n’aient baissé leur garde en voyant que l’adversaire ne portait pas son arc à la main, ceux-ci ne réagirent pas et lorsqu’ils virent les flèches arriver sur eux aussi vite que si elles avaient été décrochées par un arc puissant, il était trop tard pour les éviter.

Chacune atteignit sa cible légèrement en dessous de la clavicule droite et alla se ficher dans leurs os, leur ôtant ainsi toute possibilité d’utiliser leurs armes en affaiblissant leur bras dominant.

Ces quatre guerriers privés de leur capacité de combat, cela généra une faille dans l’encerclement.  

Le chant mélancolique qui résonnait sur la plateforme devint soudain aigu et stimulant tandis que des battements de tambours retentissaient. On aurait dit qu’ils faisaient palpiter le cœur de chaque personne présente et les inspirait.   

Cendres avait pris l’apparence d’une ombre noire, preuve, une fois de plus, de sa puissance inexplicable. Bien qu’elle portât un lourd marteau dans la main droite et un bouclier pour se protéger dans la gauche, visibles aux yeux de tous, ses pas étaient si légers qu’elle semblait glisser. Nul ne put éviter ses coups. Le marteau à l’horizontale, elle se précipita dans toutes les directions et, en rien de temps, eut tôt fait de mettre six ou sept adversaires hors d’état de nuire.

Les guerriers du Clan des Briseurs d’Os, supérieurs en nombre, se trouvaient maintenant face à un dilemme.

S’ils persistaient à vouloir encercler le clan Osha par les deux flancs, ils auraient grand mal à éviter les flèches d’Andrea et devraient, en outre, trouver un moyen de contourner Cendres afin de combler le fossé de l’autre côté. Même s’ils brandissaient leurs boucliers, les flèches, qui semblaient avoir des yeux rivés sur eux, pourraient toujours leur perforer les jambes. Dans leur panique, il y avait peu de chances que leur Flèches de Pierre Magique ne constituent une menace pour leurs adversaires et Hache-De-Fer, qui jouait ici un rôle défensif, se précipiterait pour réduire en poussière les Pierres du Châtiment Divin tombées au sol, qui valaient chacune plusieurs dizaines de Royals d’or.  

Cependant, s’ils décidaient de renoncer à les encercler, leur avantage numérique deviendrait inutile.

– « Rassemblement! » S’écria d’une voix forte l’un des guerriers, sans doute conscient que leur stratégie initiale n’était plus viable, afin de réunir les douze hommes encore debout.

À ce stade du duel, et ce malgré les paroles arrogantes que Cendres avait proférées juste avant le combat, personne n’était encore mort. Cependant, si elle avait vraiment voulu les tuer, nul n’aurait pu résister à ses coups de marteau.

Chaque guerrier étant un atout précieux pour son clan, la façon de se battre de Cendres suscitait non seulement le respect des spectateurs mais également celui de ses adversaires.  Certes ils ne craignaient pas de se sacrifier pour le Duel Sacré, mais à condition que leur mort ait un sens. La Terre Mère, en effet, n’était pas une divinité sanguinaire. Bien qu’elle aimât le courage et la force, elle ne souhaiterait pas voir mourir inutilement.

Rengainant leurs armes, les combattants se rangèrent en ligne et tendirent leurs mains devant eux.

Leurs intentions étaient on ne peut plus claires.

Cendres se mit à rire, déposa son bouclier, se précipita vers ce mur humain, marteau en avant, et le heurta violemment.  

– « Oh! »

– « Ne reculez pas! »

– « Tenez bon! »

Des cris retentirent dans l’assistance, mais aucun nom de clan ne fut prononcé, comme si, à ce stade du duel, nul ne se souciait plus de savoir qui allait l’emporter, l’essentiel étant pour eux d’assister à un beau et courageux combat. Ceux qui pleuraient un instant plus tôt serraient désormais leurs poings et avaient les yeux rivés sur le centre de la plateforme. Curieusement, Thuram ne trouva rien d’étrange à tout ceci.

Les battements de tambour ne cessaient de s’intensifier, comme pour appeler le public au courage. Tous étaient à présent si enthousiastes qu’ils n’avaient plus le sentiment d’être de simples spectateurs. Ils se sentaient impliqués dans le duel.

Avant de s’engager dans une confrontation physique avec leurs adversaires, Cendres étira le haut de son corps en une longue ligne inclinée, les muscles de ses bras formant un arc, et plia les genoux, révélant ainsi une image parfaite de la puissance et de la beauté.

Ceci dit, il ne s’agissait pas d’un duel opposant une seule personne à tout un clan.

Hache-De-Fer, Andrea et Sandra se joignirent à la mêlée et ensemble, ils repoussèrent lentement leurs adversaires vers le bord de la plateforme, chacun de leurs pas salués par les acclamations du public.

Thuram ne put s’empêcher de se joindre à eux et d’agiter les bras.

Après une période de crescendo, la mélodie atteignit enfin son apogée et leurs pas se synchronisèrent avec les battements de tambour.

Avec un rugissement, le quatuor Osha poussa ses adversaires privés de toute énergie hors de la plateforme!

La musique s’arrêta brusquement.

Mais l’inspirante mélodie résonnerait encore longtemps dans toutes les oreilles…

– « Je déclare le clan Osha vainqueur! »