Pour des raisons de commodité, on avait placé de chaque côté de la plateforme des présentoirs proposant des armes communes, telles les couteaux, les épées ou encore les fouets.

Par souci d’équité, les duellistes n’étaient pas autorisés à apporter leurs propres armes. En effet, un grand clan étant en mesure de forger de bien meilleures lames qu’un challenger pauvre, limité à un équipement plutôt grossier, le duel perdrait alors tout son sens.

Mais Thuram savait pertinemment qu’il existait des moyens de contourner les règles. Le clan de la Cravache de Fer avait bien vaincu Osha en échangeant secrètement les fouets fournis contre des versions des Eaux Noires.  Même si, par la suite, l’arbitre avait sévèrement puni l’homme chargé de superviser les armes, le résultat était là et nul n’aurait osé s’opposer à un grand clan au nom d’un clan déchu.

Cependant, personne n’aurait cru qu’Osha se relèverait un jour d’entre les morts aussi même les plus forts étaient à présents inquiets devant sa puissance impressionnante.

Thuram n’avait encore jamais vu le chef du clan du Feu Ravageur regarder un nouveau challenger avec un air si grave.

– « Chaque guerrier est-il limité à une seule arme ? » Demanda soudain Cendres.

– « Euh …il n’y a pas vraiment de règle », répondit Thuram en se ressaisissant. « Vous pouvez en prendre autant que vous le souhaitez. »

– « Très bien », dit-elle, « je suis prête. »

Elle attacha deux cimeterres à sa taille, empoigna un grand marteau et un bouclier de bois : « Ceci devrait me suffire pour tenir jusqu’à la fin du duel. »

Stupéfait, Thuram ravala sa salive. Même s’il connaissait depuis longtemps la puissance de cette Dame Divine aux cheveux noirs et aux yeux d’or, il avait le sentiment de l’avoir sous-estimée. Il fallait à la plupart des gens de nombreuses années d’entraînement avant de pouvoir utiliser ce marteau de guerre a deux mains et voilà que d’une seule main, elle le maniait avec la même facilité que s’il s’était agi d’une petite rapière. Elle devait être un véritable cauchemar pour tous ses ennemis et si elle avait déployé toutes ses forces durant le conflit à la taverne, tout aurait été démoli.

– « Moi aussi », dit Andrea, décontractée.

Elle avait opté pour un petit arc et pris seulement vingt-deux flèches dans son carquois.  

– « Montez sur la plate-forme », murmura Hache-De-Fer.

– « Une minute! » S’exclama Thuram, figé de surprise, en regardant les combattants de Graycastle. « Vous n’êtes que quatre ?! »

En effet, les cinquante soldats dispersés autour de la place, dos aux présentoirs, observaient attentivement la foule. De toute évidence, ils n’avaient pas l’intention de choisir leurs armes.  

– « Il n’existe aucune règle fixant le nombre minimal de participants, que je sache », répondit calmement Cendres. « Nous sommes bien assez de quatre. »  

En fait, le règlement stipulait que le nombre de guerrier pour chaque clan devrait être compris entre quinze et trente personnes, la limite supérieure ayant été définie en fonction de l’espace disponible sur la plateforme. Par ailleurs, le nombre de participants du clan challenger ne devant pas dépasser celui du clan défié, si l’adversaire envoyait quinze guerriers, Osha ne pourrait pas en envoyer davantage.  

Ces stipulations reposaient sur le cruel constat que quel que soit le vainqueur, les clans auraient à déplorer de lourdes pertes. Il arrivait fréquemment que plus de la moitié des participants soient grièvement ou mortellement blessés et parfois, il ne restait plus debout qu’un seul guerrier. Plus le nombre de participants était important, plus les pertes le seraient également, c’est pourquoi, à moins de savoir d’avance que le challenger ne serait pas en mesure d’en envoyer autant, ce qui lui permettrait d’avoir l’avantage du nombre, il était très rare que le clan défié envoie au combat trente guerriers.

Si les Briseurs d’Os avaient décidé de faire combattre vingt-deux hommes, ils avaient sans doute pris en compte le fait que même s’ils venaient à perdre le duel, cela n’aurait guère d’impact sur la puissance de leur clan.  Si jamais ils perdaient le contrôle d’Ironsand City au profit du challenger, ce ne serait pas la fin du monde car, dans la mesure où ils avaient dans leurs rangs de valeureux guerriers, ils pourraient toujours par la suite faire un retour en force.  

Pour Osha, le mieux à faire aurait été de sélectionner un nombre équivalent de participants. Petits et frêles, les guerriers de Graycastle ne semblaient pas taillés pour une telle bataille cependant, avec Cendres, ils avaient un énorme avantage, sa force innée, que n’affectaient pas les Pierres du Châtiment Divin, étant déterminante pour l’issue du duel.  

Mais à quatre seulement, c’était une toute autre histoire car si les Dames Divines étaient habiles à guider les gens et à leur permettre de survivre dans le désert sans merci, raison pour laquelle elles étaient et à juste titre vénérées par ce peuple, cela ne signifiait pas qu’elles soient aptes au combat. En outre, il était plus que probable que leurs adversaires portent des Pierres du Châtiment devant lesquelles, privées de leurs capacités, ces dames seraient encore plus faibles que les gens ordinaires.

Si Sandra, Lune d’Argent et Andrea venaient à perdre leurs pouvoirs, il ne resterait plus pour combattre que Hache-De-Fer et Cendres et aussi puissante soit-elle, elle n’avait jamais que deux bras et deux jambes. Il lui serait impossible de faire face aux coups d’une une vingtaine d’adversaires prêts à sacrifier leur vie pour assurer la victoire.

Étant donné que Hache-De-Fer avait déjà participé au Duel Sacré, Thuram pensait qu’il savait parfaitement tout cela. N’ayant pas été invité à prendre part au débat stratégique, il n’avait guère prêté beaucoup d’attention à leurs décisions, conformément au principe selon lequel “moins on pose de questions, plus on a de chances de vivre longtemps”. Cependant, jamais il n’aurait pensé que ce dernier se montrerait aussi négligent.

Atterré, il regarda les quatre combattants monter sur la plateforme l’air décontracté. Un frisson le prit tandis qu’une sueur froide perlait sur son front. Il eut le sentiment de se retrouver nu dans un désert glacé, les “arbres” de feu ne pouvant plus le protéger des vents cruels.

Désormais, il était membre du clan Osha!

« Si jamais ils échouent », pensa-t-il, « aurais-je encore une place dans la petite oasis ? Il est même probable que je sois contraint de quitter la Région de l’Extrême Sud! »

« Si j’avais su, je ne lui aurais pas envoyé les hommes du clan, ainsi, il n’aurait pas osé prendre ce genre de risque. »  

L’assistance elle aussi demeura stupéfaite car si le fait d’être inférieur en nombre à l’adversaire reflétait la confiance et le courage, quatre contre vingt-deux guerriers tribaux endurcis au combat n’était ni plus ni moins que du suicide.

Les sifflements se dissipèrent : tous écarquillèrent les yeux tandis que l’apathie sur leurs visages faisait place à l’étonnement et à la consternation.

– « Etes-vous bien certains de ne vouloir, pour le clan Osha, que quatre participants ? » Demanda le chef du clan du Feu Ravageur, intrigué par ce qu’il voyait.  

– « En effet » répondit Cendres avec un léger sourire. « Bon finissons-en. Au fait, les amis, avez-vous pensé à rédiger votre testament ? »  

Le public était abasourdi :

– « Qui est cette jeune femme ? »

– « Elle me semble plutôt fantasque! »

– « Assurément, même les Dames Divines ne seront pas en mesure de résister aux Flèches de Pierres du Châtiment Divin. »

– « Attendez! On dirait bien qu’elle est sérieuse … »

– « J’en ai bien l’impression. Elle semble avoir autant de sang sur ses mains que moi. »

– « En êtes-vous certain ? »

– « Je le sais par expérience. N’oubliez pas que je suis un guerrier. À sentir mon cœur battre, je peux vous dire qu’elle est terrifiante. »  

– « Mais ils ne sont que quatre! »

– « Nous n’allons pas tarder à le savoir. »

En quelques minutes, l’attitude des spectateurs avait changé du tout au tout, passant de l’indifférence à un enthousiasme chaleureux. Même si, pour eux, il s’agissait d’une mission suicide, le courage du parti Osha était louable et la Peuple des Sables n’hésitait jamais à témoigner du respect envers les gens vraiment valeureux.   

En entendant les rumeurs du public, Thuram ne sut que penser :

– « Croient-ils vraiment pouvoir l’emporter malgré l’important désavantage numérique ? »

Une foule de pensées confuses lui traversaient l’esprit lorsque l’arbitre fit retentir un gong accroché à un coin de la plateforme.

– « À présent, que le Duel Sacré opposant le clan Osha au clan des Briseurs d’Os commence! »