Elles se faufilèrent dans le bâtiment et se frayèrent un chemin jusqu’au second étage.
L’odeur de bois brûlé était toujours présente dans le couloir et le sol était jonché de livres et de feuilles de papier, visiblement abandonnés là par les étudiants paniqués.
Guidées par l’odeur, les sorcières identifièrent rapidement le lieu de l’accident : une salle de classe située au bout du couloir.
Sitôt entrée, Lily remarqua dans un coin de la pièce un mur carbonisé, traversé d’une fissure qui se prolongeait jusqu’à terre. Cependant, le feu ne s’était visiblement pas propagé très loin. La sorcière put le constater aux marques laissées sur le sol, révélatrices des variations dans l’intensité des flammes. Très sombre aux abords de la source de l’incendie et visiblement plus clair sur les bords extérieurs, le bois formait un motif en forme d’ondes. Lily sut aussitôt que ce feu n’était pas accidentel.
Cependant, les fissures qui serpentaient le long du mur l’inquiétaient terriblement. On aurait dit des coups de hache dont les bords étaient entièrement carbonisés. En approchant ses doigts, elle put même sentir une légère chaleur résiduelle.
– « À mon avis, c’est ici », dit Lune Mystérieuse en contournant le coin. « À vous de jouer, Assia! »
– « Entendu », répondit la jeune fille. « Mais prévenez-moi si quelqu’un vient. »
Sur ce, elle se plaça au centre de la pièce et invoqua son pouvoir magique.
Comme elles connaissaient le moment exact de l’accident et que celui-ci avait eu lieu depuis moins de vingt-quatre heures, Assia eut tôt fait de remonter à l’instant qui précédait l’évènement. Sous l’effet de son pouvoir magique, les murs endommagés retrouvèrent leur intégrité et l’ordre revint dans la pièce. De nombreux étudiants firent leur apparition, certains endormis sur leur pupitre tandis que d’autres bavardaient joyeusement. Comme aucun enseignant n’était présent sur l’estrade, elles en déduisirent que cela s’était produit durant la pause déjeuner.
Comme c’était la première fois qu’elles assistaient à un tel spectacle, Marge et Vanille faillirent pousser un cri d’exclamation mais aussitôt, elles se couvrirent la bouche pour ne pas perturber Assia. Terriblement troublées, elles firent un pas en arrière pour éviter un étudiant qui, s’avançant vers elles, les traversa tel un fantôme.
– « Ne vous inquiétez pas », expliqua Evelyne enthousiaste, « ce ne sont que des illusions. Assia, en effet, a le pouvoir de reconstituer des scènes qui se sont produites quelques temps auparavant. »
– « Quelle merveilleuse capacité! » S’exclama Amy, admirative.
Elle aussi expérimentait pour la première fois le pouvoir d’Assia, pourtant, elle n’éprouvait pas la moindre crainte.
– « Ce n’est rien comparé aux capacités de Sœur Rossignol », répondit Assia, embarrassée, en se touchant la tête.
– « Rossignol ? Vous voulez parler de la sœur blonde qui reste toujours auprès de Sa Majesté et que l’on ne voit que rarement ? »
– « Oui. C’est la plus puissante sorcière de toute la Région de l’Ouest. Peut-être même de tout le royaume! »
Les yeux d’Amy pétillaient :
– « Impressionnant », dit-elle.
– « Une minute! » Coupa soudain Lune Mystérieuse. « Regardez! »
Lily fronça les sourcils :
– « On dirait… »
– « Une tentative d’intimidation ? » Murmura Evelyne.
En effet, une demi-douzaine d’enfants de dix ans encerclaient deux filles dans un coin. Ils se disputaient violemment. L’une des deux élèves tendait la main pour tenter d’empêcher les assaillants d’atteindre la seconde, recroquevillée derrière elle, le regard terrifié.
Comme il n’y avait pas d’âge limite pour intégrer les classes primaires universelles, le plus âgé de ces brutes, qui devait bien avoir quinze ou seize ans, était bien plus grand et plus fort que les deux petites filles réunies. Cependant, la fille aux cheveux courts, qui ne semblait pas impressionnée par le nombre ou la taille de ses assaillants, résistait courageusement.
– En lisant sur leurs lèvres, les sorcières comprirent que la dispute avait pour sujet leurs origines. Elles perçurent en effet des insultes telles « Retournez dans la Région de l’Ouest » ou encore « Vous n’êtes que les chiennes du Roi rebelle! »
Très vite, ils en arrivèrent aux mains. Le plus grand frappa le premier dans l’intention de jeter la jeune fille au sol mais à peine lui avait-il saisi les épaules qu’il reçut un coup de pied dans les genoux. Déséquilibré, il s’écroula.
Le conflit prit alors de l’ampleur.
La jeune fille aux cheveux courts se faufila telle une loche hors du cercle, s’échappa de l’encerclement puis se dirigea vers un lourdaud et lui donna un coup de pied pour détourner l’attention sur elle.
Oubliant la seconde, qui était en larmes, ils se dirigèrent tous ensemble vers la première qui utilisait astucieusement les autres élèves de la classe pour se couvrir et esquiver les coups. Grâce à sa petite taille, elle frappa avec précision les genoux et les chevilles de ses assaillants qui se plièrent de douleur.
– « Ce petit démon est plutôt féroce », souligna Lune Mystérieuse, surprise.
– « Donnons-leur une bonne leçon! » Dit Amy en serrant les poings comme si cette scène était réelle.
Vanille, de son côté, était inquiète :
– « Mais… elle n’est pas assez forte! Elle ne gagnera rien à poursuivre les mêmes attaques, cela ne marchera qu’une fois. »
– « Vraiment ? Comment savez-vous cela ? » Demanda Lune Mystérieuse, surprise.
– « Pardon. Autrefois, je… »
– « C’est l’Église qui vous a enseigné cela, n’est-ce pas ? » Dit Evelyne, tentant de la réconforter. « C’est sans importance, car vous avez réussi l’examen. Sa Majesté sait très bien que vous ne ressemblez en rien à ces mauvaises Purifiées. »
Lily fronça les sourcils, mais ne souffla mot. Elle était tout à fait d’accord avec Vanille.
Troublés sur le moment, ces élèves se remettaient très vite debout et reprenaient leur poursuite en se protégeant les jambes, cette fois, afin qu’elle ait moins de chances de les atteindre.
Tandis qu’elle était occupée avec deux d’entre eux, le plus grand s’empara soudain d’une chaise dans l’intention de la frapper par derrière.
– « Attention! » S’écria Amy.
Mais avertir une personne qui faisait partie d’une reconstitution n’avait aucun sens dans la mesure où cette illusion ne restituait que ce qui s’était déjà produit.
L’un des pieds de la chaise heurta violemment la tête de la fille et la renversa. Mais dans sa chute, la jeune fille roula sur elle-même et parvint à se dégager des attaques des deux adversaires qui lui faisaient face. Elle s’accroupit sur le sol, dents serrées et mains sur la tête.
Elle avait le bout des doigts et le visage souillé de sang.
Intrigué par le fait qu’elle ait pu supporter le choc, le plus grand des enfants hésita un moment puis, jetant la chaise, il s’approcha d’elle.
Alors que tous croyaient que c’en était terminé pour elle, elle prit un visage angoissé et se mit à hurler.
Même si les sorcières n’entendaient aucun son, il ne leur était pas difficile, à voir son visage, d’imaginer quelle douleur avait été la sienne lorsqu’elle avait été frappée par la chaise, quand bien même elle n’avait rien exprimé sur le moment.
Soudain, un éclair jaillit de ses doigts, bientôt suivi d’un deuxième, d’un troisième… Ils se répandirent sur le sol, laissant derrière eux des traînées sinueuses d’un rouge orangé. À peine avaient-ils touché la fenêtre qu’ils prirent l’apparence d’une explosion lumineuse.
En une fraction de seconde, une forte détonation retentit : la vitre vola en éclats et un grand trou s’ouvrit dans le mur. Paniqués, tous les élèves s’enfuirent, laissant derrière eux la jeune fille auréolée de foudre.