Dès son réveil, Rubaka Bloodwhip apprit que le propriétaire de la petite oasis du nord-ouest avait changé.
« Vraiment ? » Se demanda-t-il, les sourcils froncés.
Certes, il avait bien vu les lueurs des flammes, mais jamais il n’aurait pensé que le clan des Hurleurs disparaitrait en l’espace d’une nuit. Il se demanda quel clan nouvellement établi pourrait posséder un tel pouvoir mais aucun ne lui vint à l’esprit.
Rubaka tapota sa concubine couchée à côté de lui pour lui demander de sortir. Après que celle-ci, enveloppée dans une couverture, se fût retirée, il se tourna vers ses hommes :
– « Expliquez-moi ça en détails », dit-il.
– « Bien Chef. À en croire ceux qui sont parvenus à fuir, il semblerait que cet incendie n’ait pas été causé par un Challenger tapi là, mais par le feu du ciel envoyé par Dieu. »
– « Balivernes! » Répondit Rubaka en expectorant un crachat. « Ces lâches accusent les Trois Dieux au moindre problème. Je vais finir par les pendre au-dessus de la porte d’Ironsand City! »
Hésitant, l’homme répondit :
– « Mais… j’ai envoyé ce matin des hommes à la petite oasis et ce qu’ils y ont vu semblait corroborer leurs dires. Le sol était criblé de trous aussi noirs que de la poix, jonché de cadavres et de débris de matériaux. Cela n’avait rien d’un banal incendie criminel. »
– « Des débris ? »
– « Oui. On aurait dit que les hommes, comme le camp, avaient été piétinés par un gigantesque ver des sables ou par un scorpion géant sortant d’un terrier » répondit l’homme en pesant chaque mot. « La plupart des gens qui étaient restés sur place ont péri misérablement. Ceux qui étaient sortis prendre du bon temps ont tenté de riposter, mais ils ont été vaincus avant d’avoir pu entrevoir leurs adversaires. »
– « Si je comprends bien, ces imbéciles sont tombés dans une embuscade et ont fui pour sauver leur peau sans même approcher l’ennemi ? Et maintenant ? N’ont-ils toujours aucune idée de qui s’est emparé de la petite oasis ? »
Rubaka commençait à se demander s’il n’avait pas été trop généreux envers les Chiens de Garde. Il avait fait de gros efforts pour les persuader de travailler pour lui, cependant, leur performance était très décevante. La vie stable, la viande et l’hydromel les auraient-ils enivrés et rendus plus lascifs qu’il ne le souhaitait ?
« Mes hommes se renseignent. Nous devrions bientôt recevoir des informations », répondit le membre du clan. Il hésita un moment avant d’ajouter : « Certains réfugiés m’ont dit qu’ils avaient aperçu beaucoup de gens du Nord. »
« Du Nord… » Rubaka commençait à prendre cette affaire très au sérieux.
Sans même s’habiller, il se dirigea vers la fenêtre et regarda en direction du nord-ouest. Les incendies étant depuis longtemps éteints, il ne vit que quelques brins de fumée noire s’élever au loin dans le ciel.
Bien que le clan des Hurleurs lui tint lien de Chien de Garde grâce aux efforts conjoints des clans de la Cravache de Fer et des Briseurs d’Os, il se souciait peu de leur survie. Une fois installé à Ironsand City, Rubaka avait compris que le système des concurrents était davantage une mesure de protection établie par les six clans qu’un test de qualification.
Comparés aux batailles générées par les clans qui aspiraient à s’approprier la petite oasis, qui étaient de véritables guerres, les Duels Sacrés n’étaient que de petits combats. Il était fréquent que deux clans se noient mutuellement dans le sang, dans la mesure où tout clan qui désirait renforcer sa puissance bavait devant l’oasis comme devant un gros morceau de viande, ceci même s’il n’envisageait pas de mettre les pieds à Ironsand City. Quel que soit le vainqueur, la victoire était généralement payée très cher et les deux camps mettaient énormément de temps à se rétablir.
Période durant laquelle il était facile aux grands clans de convaincre les plus petits de jouer pour eux les Chiens de Garde, que ce soit par la corruption ou la contrainte. Ceux-ci se laissaient facilement convaincre dans la mesure où ils pensaient que ce compromis n’était que temporaire et que, tôt ou tard, ils provoqueraient le grand clan en duel. Pour finir, aucun d’entre eux n’était jamais parvenu à sonner la cloche sacrée d’Ironsand City car entre temps, d’autres Challengers faisaient leur apparition et balayaient les précédents Chiens de Garde.
Ainsi, les grands clans conservaient une position relativement sûre et n’étaient pas affectés par la guerre.
Le clan de la Cravache de Fer ayant acquis la quatrième place, il était peu probable que les Challengers, même s’ils cherchaient à lancer immédiatement un duel, ne les choisissent pour adversaires. De ce fait, le changement de propriétaire de l’oasis ne l’inquiétait pas outre mesure.
Mais l’arrivée de gens du Nord était venue tout changer.
La Reine de Clearwater, pour ne citer qu’elle, avait semé une grande confusion à Ironsand City. Pour tout dire, bon nombre de gens, qui aspiraient aux terres toujours verdoyantes du Nord, auraient fait n’importe quoi pour pouvoir y vivre, dussent-ils devenir esclaves ou mercenaires. Le départ de deux challengers potentiels ayant un jour laissé la petite oasis inhabitée, de nombreuses personnes désireuses de dominer ce pays en avaient profité pour lancer des Duels Sacrés. C’est donc le chaos créé par ce désordre temporaire qui avait permis au clan de Rubaka de se classer quatrième par ordre d’importance.
« À quel jeu jouent-ils cette fois ? » Se demanda-t-il ?
– « Gardez un œil sur ces gens et faites-moi savoir ce qui s’est exactement passé », dit Rubaka en se tournant vers son clan. « De quelle ville ces habitants du Nord sont-ils originaires ? Combien sont-ils ? Comment sont-ils armés ? Que veulent-ils? Je veux tout savoir! »
– « Bien, chef! »
Peut-être était-il temps pour lui d’en discuter avec les autres grands clans, dans la mesure où il était de mise dans la Région de l’Extrême Sud de ne pas laisser les étrangers se mêler de leurs affaires.
Mais l’après-midi même, Rubaka Bloodwhip apprit une nouvelle incroyable.
– « Qu’avez-vous dit ? Le clan Osha ? »
– « C’est en tout cas ce qu’ils affirment », répondit l’homme. « Les bannières de l’oasis ont toutes été remplacées par d’autres portant les armoiries du clan Osha. J’ai également vu la Princesse d’Osha, autrefois vendue comme esclave. Aujourd’hui, c’est une Dame Divine et beaucoup sont ceux qui répondent à son appel! »
« Co… Comment est-ce possible ? » Se demanda Rubaka.
Il connaissait un peu les royaumes du Nord et savait qu’à Graycastle, une Dame Divine était considérée comme une envoyée du mal, dont le statut était de loin inférieur à celui d’une esclave dans la Région de l’Extrême Sud. Alors que dire d’une Dame Divine esclave! Comment avait-elle pu gagner le soutien des gens du Nord et revenir dans sa région d’origine pour prendre sa revanche ?
Tout cela était à la fois absurde et un peu inquiétant.
Si les Mojins avaient été contraints jusqu’à ce jour de limiter leurs activités au désert, ce n’était pas par choix mais parce qu’ils n’étaient pas en mesure d’affronter le Royaume de Graycastle.
Si jamais les gens du Nord envisageaient de déclarer la guerre à Ironsand City, tous les clans s’uniraient pour répliquer. Cependant, s’ils avaient l’intention de l’éliminer, ceux-ci viendraient-ils en aide au clan de la Cravache de Fer ?
La réponse était évidente.
« Bon sang! » Maugréa intérieurement Rubaka en brisant le verre de vin sur le sol pour ensuite le piétiner.
« Si vous espérez venger la mort de votre père par un Duel Sacré, venez! Je vous attends! » se dit-il, furieux. « Les Nordistes sont peut-être supérieurs en nombre et ont peut-être d’excellentes armes, mais lorsqu’il est question de duel, les Mojins sont les plus valeureux des guerriers. Vous allez apprendre ce qu’est le goût du désespoir! »
C’est alors qu’un autre de ses hommes fit irruption dans la pièce :
– « Chef, le clan Osha nous envoie un cadeau. »
– « Comment ? » S’écria Rubaka, les tempes battantes. « Un cadeau ? »
– « Oui. Il est là, dans la cour. »
– « Accompagnez-moi », répondit-il en serrant les dents.
Dehors se trouvaient une énorme boîte de la hauteur d’un homme et moitié moins large, constituée de planches de bois clouées à chaque extrémité. D’apparence, elle n’avait rien d’exceptionnel.
– « Où sont les porteurs ? » Demanda Rubaka.
– « Partis », répondit l’homme.
– « Combien étaient-ils ? »
– « Eh bien… un seul. »
– « Un seul ?! »
Les sourcils froncés, il donna un coup de pied dans la boîte qui tomba sur le sol et roula avec une série de bruits sourds. De toute évidence, il y avait quelque chose à l’intérieur, même si le conteneur semblait si léger qu’on aurait pu croire qu’il était vide.
Persuadé que cela ne pouvait être qu’un bluff, Rubaka se demanda s’il allait trouver dedans des membres coupés ou des crânes humains.
– « Emportez-le au Château de Pierre », ordonna-t-il froidement. « Et voyons à quel jeu jouent ces gens. »