À mesure que le crépuscule s’assombrissait et que les ténèbres envahissaient les nuages, il devint difficile pour les deux camps de poursuivre les combats.

À l’évidence, les cibles devenant indiscernables, la précision de tir des mitrailleuses chutait considérablement, bien que leur nombre investies dans cette opération soit nettement inférieur à celui de la Crête du Vent Glacé, elles étaient cependant suffisantes pour empêcher les cavaliers de mener à bien leur attaque. Au moment où l’ennemi se débarrassait de ses torches, une douzaine d’entre eux franchissait la barrière de tirs croisés et se précipitait en hurlant vers l’artillerie, devenant ainsi des cibles pour Danny.   

D’autre part, les ennemis aurait été incapables de dire où se trouvait la menace. Ils ne voyaient pas leurs camarades tomber sous le feu et ignoraient quelle était l’arme cachée entre les deux dunes de sable.

Privés de torches, les cavaliers qui galopaient à l’arrière ne pouvaient pas deviner ce qui était vraiment arrivé à leurs compagnons à l’avant. Ils entendaient seulement le rugissement des canons non loin d’eux et apercevaient de chaque côté des lueurs vacillantes. À leurs yeux, ces canons et leur bruit de tonnerre étaient bien plus dangereux que ces dunes désertes.  

De ce fait, les Chiens de Garde continuaient de charger par vagues, tels une marée écumante, persuadés que c’était le meilleur moyen d’affaiblir la volonté de leurs ennemis ainsi que leur moral.

Vitesse étant synonyme de puissance, ni esclave ni mercenaire ne serait en mesure de résister longtemps à leurs assauts incessants. Ils étaient convaincus qu’une fois franchie la ligne de défense, aussi imprenable puisse-t-elle être, ce serait la panique dans le camp ennemi.  

C’était pour Danny la parfaite occasion de passer à l’attaque.  

En un rien de temps, il abattit une vingtaine d’adversaires.

Pourtant, il avait remarqué un phénomène étrange : à plusieurs reprises, tandis qu’il visait sa cible, une balle venue de nulle part l’atteignait avant lui.

On aurait dit que quelqu’un lui faisait concurrence. De plus, ce qui enthousiasmait particulièrement Dany était que ce tireur d’élite tapi dans l’ombre semblait être un excellent chasseur.

Tous les ennemis tombaient du même côté.

Si son concurrent, comme lui, faisait face à l’adversaire, ceux-ci, frappés au torse, seraient tombés en arrière et s’il touchait sa monture, le cavalier serait projeté en avant. Il n’aurait pu dire pourquoi exactement, mais il était plus que probable que si ses cibles tombaient toujours sur le côté, cela signifiait que le tireur se trouvait non loin de l’une des dunes de sable et visait le torse de l’ennemi plutôt que sa monture.

« Qu’est-ce que cela signifie ? » Se demanda-t-il.

En effet, non seulement ce chasseur était en mesure de cibler un cavalier chevronné en dépit du mauvais éclairage mais également prévoir la direction que celui-ci allait prendre avant de tirer. Étant donné l’imprévisibilité des vents dans le désert, le fait que ce tireur parvienne à conserver une précision aussi étonnante était révélateur : cet homme était un expert.  

« Y aurait-il au sein de l’armée un aussi excellent tireur d’élite ? Serait-ce un membre de l’équipe de précision ? Ou un soldat du bataillon de fusiliers qui, comme moi, aurait été choisi par Sa Majesté et doté d’un nouveau fusil à verrou ? »   

Excité, il accéléra le rythme, ne voulant pas perdre la face devant son rival.

Surtout que Matt le regardait.

– « Il n’en reste plus qu’un sur votre droite, à deux cent cinquante mètres de la ligne de défense. »

– « Il est pour moi, cette fois. »

Dans la seconde moitié de la nuit, les roulements de tonnerre s’apaisèrent mais contre toute attente, Thuram n’entendit pas les acclamations des guerriers qui rentraient.

Certes, les Chiens de Garde avaient été pris de court mais à en croire le nombre de torches, près de deux mille guerriers avaient été appelés à prendre part au combat. Qu’ils aient gagné ou perdu, il aurait déjà dû apprendre quelque chose. Or, depuis que les cris et hurlements s’étaient tus, la nuit était plongée dans un silence de mort. On aurait dit que les deux mille hommes avaient été engloutis intégralement par un monstre géant.

Conformément aux instructions de Hache-De-Fer, Thuram envoya tous les membres du clan venus leur prêter main forte éteindre un à un tous les feux de l’oasis.  

Il ne savait pas s’il devait se réjouir ou se lamenter.

Ces Chiens de Garde n’ayant jamais cessé d’opprimer les membres de son clan, Thuram avait toujours espéré qu’il leur arrive un jour quelque malheur, comme par exemple essuyer la colère du principal clan de la ville où se faire battre misérablement par un Challenger qui se serait soudain dressé. Quoiqu’il puisse leur arriver, il y prendrait grand plaisir.

Cependant, il n’aurait jamais imaginé que ce nouveau Challenger puisse être Hache-De-Fer qui, de plus, semblait vouloir l’impliquer dans ce combat tumultueux visant à sélectionner le clan le plus puissant.

Peut-être devrait-il le convaincre de s’emparer d’abord du lieu sanglant avant d’envisager de passer à l’étape suivante. La Dame Divine aux yeux d’or qui l’accompagnait était certes puissante, cependant, celle du Clan des Flammes Ravageuses n’était pas facile non plus. Et comme ce clan était le plus puissant de tous, ils étaient en droit de décider des règles du duel. S’ils optaient pour l’affrontement à mains nues un contre un, il n’était pas certain que la Dame Divine de Hache-De-Fer puisse l’emporter.

Même si le Duel Sacré était considéré comme la compétition la plus ouverte et la plus équitable, il s’agissait en réalité d’une lutte entre les deux clans, chacun pouvant tendre des pièges à l’autre avant le duel voire monter un mauvais coup contre son adversaire sur le ring.   Posséder d’habiles guerriers n’était donc pas une garantie de victoire, pour preuve l’exil du Clan Osha.

Cependant, ce qui le déconcertait le plus était la raison pour laquelle le Roi de Graycastle s’intéressait soudain au désert, qui, aux yeux des gens du Nord, représentait la barbarie et la primitivité.

Ils avaient du reste interdit au Peuple des Sables de mettre les pieds dans leurs royaumes et refusaient de se mêler des conflits entre clans. Il n’y avait que quelques marchands pour faire des allées et venues entre le désert et les royaumes. Généralement, ils vendaient exclusivement des esclaves.

De plus, qu’entendait Hache-de-Fer par “ordre et oasis” ? Selon la rumeur, seul l’émissaire des Trois Dieux pouvait générer une oasis dans le désert et mettre fin aux tempêtes. Selon des dires, la Région de l’Extrême Sud aurait été autrefois une terre luxuriante, couverte d’herbe et arbres verts entre lesquels serpentaient des ruisseaux chantants. Ce n’est que suite à la mort de l’émissaire que cette terre était devenue le pays dévasté que l’on connait aujourd’hui. Il fallait donc attendre que les Trois Dieux daignent envoyer un nouvel émissaire pour qu’elle retrouve sa prospérité. Mais ce n’était qu’une légende auréolée de mystère, personne n’étant jamais parvenu à la réaliser. Si cela avait été le cas, le Peuple des Sables ne serait pas contraint de lutter toute l’année durant pour se procurer de l’eau et de la nourriture.  

Tandis qu’il attendait, angoissé, l’aube parut enfin et le ciel, à l’Est, se marbra de lumière comme s’il avait été zébré par une épée.  

Thuram entendit alors dans le lointain un étrange son de corne, clair, net et répétitif.

Peu de temps après, une armée très particulière fit son apparition à la frontière de l’oasis.

Les soldats s’approchèrent par lignes du lieu sanglant et avec une puissance imparable, se lancèrent dans une bataille acharnée contre les Chiens de Garde. Aussitôt, ce qui restait du clan se dispersa sans prêter la moindre attention à leurs compagnons blessés qui gémissaient. Les soldats pénétrèrent alors dans l’oasis, prirent d’assaut les tours de guet et encerclèrent la taverne.

Lorsqu’une femme aux cheveux gris-bleus et à la peau sombre entra dans la pièce, Thuram comprit qu’il n’avait plus le choix.

Certes, il ne l’avait pas vue depuis sept ou huit ans, mais elle ressemblait beaucoup à sa mère.

Thuram s’agenouilla devant Sandra Lune D’Argent, son front touchant le sol froid, et dit d’une voix rauque :

– « Devant les Trois Dieux, je fais serment, Madame, de vous servir, ainsi que mes hommes. Désormais, vous êtes le chef du nouveau clan Osha. »