La nuit n’était pas le meilleur moment pour se battre.
Durant les Mois des Démons, on ne voyait plus ni le soleil, ni la lune. Une faible lumière éclairait le désert, révélant à peine la courbe des dunes tandis que d’autres secteurs étaient totalement sombres. L’usage des torches devenaient indispensables pour attaquer ou se défendre.
Lorsqu’il aperçut des étincelles ci et là du côté de l’oasis, Danny essuya soigneusement son chargeur, l’inséra dans son fusil et releva le verrou.
– « Attention, l’ennemi arrive! »
– « J’ai vu! »
Il avait imité la voix de Matt avant de reprendre la sienne pour la réponse. C’était une façon pour lui de penser que son protecteur était toujours à ses côtés, même s’il n’était plus membre de l’équipe de tireurs d’élite.
Peu de temps après qu’il ait été libéré et renvoyé au bataillon de fusiliers, Brian était venu le voir et lui avait apporté le fusil flambant neuf qu’il tenait à la main.
Même si ce nouveau silex ressemblait fort au fusil à verrou qu’utilisaient les tireurs d’élite, il le soupesa et devina aussitôt qu’il s’agissait d’un chef-d’œuvre.
C’était comme pour les épées : elles se ressemblaient cependant certaines avaient été forgées simplement pour l’entraînement tandis que d’autres, des armes splendides, possédaient une lame capable de transpercer les chairs aussi facilement que si elles tranchaient du fromage.
Le canon métallique était brillant, aussi lisse que la peau d’une jeune fille et les parties intermédiaires avaient été polies comme s’il s’agissait d’un travail d’art. L’arme était parfaitement moulée, sans aucune aspérité.
Mais le plus surprenant aux yeux de Danny, c’était la lunette monoculaire qui se trouvait au sommet. Sur la lentille avaient été gravées deux fines lignes en forme de croix dont l’intersection était parfaitement alignée avec la cible du tir.
Danny ne savait pas comment c’était possible, mais celle-ci, jusqu’ici minuscule, lointaine et floue devenait soudain claire et bien plus visible lorsqu’il regardait dans la lunette, comme si le champ de tir se trouvait soudain élargi. Les premiers essais confirmèrent sa théorie : cette nouvelle arme était beaucoup plus précise qu’un fusil à verrou ordinaire et lorsqu’il n’y avait pas ou peu de vent, il pouvait frapper à la tête avec une précision de quatre-vingt-dix pourcents une cible humanoïde située à cinq cents mètres.
En apprenant que Sa Majesté avait conçu cette arme tout spécialement pour lui, Danny avait failli fondre en larmes. En dépit de son inconduite, non seulement le Roi continuait de croire en lui mais lui avait même accordé la liberté de pouvoir choisir ses positions de tir. Face à une telle bienveillance, le soldat ne pouvait que lui offrir sa vie.
Brian lui ayant demandé s’il souhaitait choisir un protecteur, Danny refusa aussitôt.
Il avait déjà un protecteur : son fusil.
…Et Matt.
Comme son commandant l’avait prédit, les lueurs de feu se firent de plus en plus nombreuses au point de couvrir tout le désert telles des étoiles filantes. En effet, avant chaque combat, les supérieurs hiérarchiques avaient généralement pour habitude de révéler à chaque équipe le but et la cible de l’opération afin que les soldats sachent à quel moment le combat serait terminé.
L’unité d’artillerie, par exemple, allumait des feux sur son rempart et tirait toutes les sept minutes environ pour inciter les ennemis à lancer des contre-attaques, affaiblissant ainsi les forces du clan des Chiens de Garde afin de préparer la grande offensive prévue à l’aube. On éclairait les créneaux pour attirer l’attention de l’ennemi tout en contrôlant la cadence de tir dans la mesure où un bombardement soutenu aurait pour effet de disperser aussitôt les adversaires en mouvement.
Mais Danny savait pertinemment que le bataillon d’artillerie n’était pas en mesure de contrôler sa cadence de tir. Arrogants et incompétents, ces soldats n’avaient aucune idée des ressources mises à leur disposition et n’auraient sans doute jamais pu transporter leur équipement dans le désert s’ils n’avaient été aidés par cette sorcière nommée Colibri.
Les fusiliers, en revanchent, étaient bien plus productifs, chacun d’eux ayant la charge de transporter armes et munitions.
Sur un total d’une douzaine de chariots, plus de la moitié transportaient des obus de canon et des munitions pour les mitrailleuses, une boîte ne pouvant contenir que deux obusiers. S’ils se battaient de la même manière que lors de la démonstration, deux Canons de Forteresse suffiraient à consommer en une heure toutes les munitions qu’ils avaient apportées et ils seraient très vite à court.
Même si Danny avait trouvé cette démonstration magnifique, il ne pouvait s’empêcher de penser à tout l’or que coutait chaque tir. Malheureusement, trop ignorants et prétentieux pour comprendre que toutes les dépenses engagées étaient à la charge du trésor de Sa Majesté, les soldats du bataillon d’artillerie considéraient cette puissance remarquable comme la leur. Si un jour Sa Majesté cessait de les soutenir financièrement, ces soldats ne seraient vraiment plus rien comparés au bataillon des armes à feu!
Par conséquent, s’ils contrôlaient leur cadence de tir, c’était bien davantage pour conserver des minutions en cas d’urgence que pour éviter la dispersion de l’ennemi. Les recrues, en effet, ne ravitailleraient sans doute pas l’oasis avant une ou deux semaines.
Lorsqu’à l’avant du front les lumières entrèrent dans l’embuscade de la Première Armée, Danny leva son télescope.
– « Vent du Nord … relativement fort. Cible à environ sept cents mètres. »
– « Merci! »
– « Je vous en prie. »
Le doigt sur la gâchette, le soldat se faisait son petit monologue.
Considérant que la précision était grandement affectée la nuit, il décida de ne pas se placer trop loin du créneau et de tirer face au terrain de manière à ne pas perdre de vue ses ennemis si ceux-ci venaient à foncer droit devant sur leurs chevaux.
En effet, le barbare Peuple des Sables était plutôt doué dans l’art du combat à cheval. Tandis qu’ils chargeaient, les lueurs, jusque-là dispersées, se regroupèrent pour former une ligne droite tandis que le bruit des sabots martelant le sol en chœur s’amplifiait. Jetant leurs torches, les guerriers tirèrent leurs épées et comme celles-ci ne reflétaient pas la lumière, Danny n’eût plus pour tout repère visuel que le rempart sur lequel les canons rugissaient par intermittence.
C’est alors qu’une multitude de lueurs scintillantes apparurent sur les deux dunes flanquées dans l’ombre.
Le son des mitrailleuses se mêla à celui, tambourinant, des sabots des chevaux, marquant officiellement le début des combats. En l’absence de canons de campagne, ces armes lourdes étaient celles qui avaient la plus longue portée de tir. Les balles fusaient, balayant les guerriers en pleine charge. Le tonnerre retentit dans le désert et Danny entendit des gens hurler et jurer tandis que le mouvement des ombres, dans l’obscurité, semblait s’accélérer.
Le soldat n’y prêta pas attention. Il gardait les yeux rivés sur les ennemis les plus proches.
« Cinq cent mètres. Je vous tiens! » Pensa-t-il.
Par une nuit sans lune, alors qu’il pouvait à peine discerner les silhouettes des ennemis en train de charger, il n’était pas facile pour lui de localiser sa cible. Cependant, ce combat n’étant pas un exercice, il n’était pas nécessaire pour lui de viser la tête. Il lui suffisait de tirer dans n’importe quelle partie du corps pour abattre aussi bien la monture que le cavalier.
Danny appuya sur la gâchette. Le canon du fusil trembla légèrement et il se sentit grisé par l’odeur de la fumée.
Il ne vit pas la balle frapper ni le sang fuser : l’ennemi vacilla et tomba de cheval, mort.
« C’est mon terrain de chasse », pensa le soldat. « Je reste ici. »
– « Matt, vous avez-vu ça ? »
– « Ne vous déconcentrez pas, votre prochaine cible arrive. »
– « Laissez-le moi, je m’en occupe. »