« Une civilisation souterraine ? »

Roland ne put s’empêcher de penser aux méandres de la mine du Versant Nord et aux nombreuses grottes situées sous la Chaîne des Montagnes Infranchissables. De mémoire, il ne connaissait aucun mouvement géologique capable de générer des reliefs aussi particuliers. Au départ, il avait pensé que ceux-ci avaient été créés par une sorte de bête démoniaque hybride mutante. Mais suite à ce que Pasha venait de dire, était-ils possible qu’il s’agisse de traces laissées par cette fameuse civilisation souterraine ? 

– « À cette époque, soit les gens ne le savaient pas, soit ils n’avaient pas l’intention de communiquer avec eux. Nous étions si différents que nous avons même pensé qu’il pouvait s’agir d’un nouveau type de Diables, ce qui explique les importantes déviations dans les documents historiques. Ce n’est que lors de la phase finale de la seconde bataille de la Divine Volonté que nous avons fait une découverte capitale » expliqua Pasha d’une voix basse et profonde. « À ce moment-là, des trois Villes Saintes, il ne restait plus que Taquila. Pour l’Union, c’était une question de vie ou de mort. »

– « Qu’entendez-vous par découverte capitale ? »

– « Avec l’aide de la lithographie restante, la Société de Recherches a trouvé le moyen de stocker les âmes et de le vérifier sur un support original vierge. C’est ce qui a poussé les trois Chefs à se lancer dans la recherche de la transformation de l’Armée du Châtiment Divin. »

– « Je n’en ai jamais rien su… » dit Ayesha, étonnée.

– « Le Transfert des Âmes était le secret absolu de l’Union. Sa classification était même supérieure de deux niveaux à celle du projet de l’Armée du Châtiment Divin, qui pourtant utilisait les sorcières comme rats de laboratoires. Seuls les Trois Chefs et quelques supérieures étaient au courant », répondit Pasha. « Personnellement, je n’ai fait cette étonnante découverte qu’avec la chute de Taquila. »

– « Faut-il comprendre que Natalya, au départ, soutenait le projet de l’Armée du Châtiment Divin ? » Demanda Roland, les sourcils froncés.  « Qu’est-ce qu’un support original ? »

– « Elle n’avait pas le choix », répondit Pasha. « Quant à votre question, il s’agit de notre apparence actuelle », dit-elle en relâchant ses tentacules et en s’approchant du rideau de lumière. « Mon étrange et affreuse enveloppe est la preuve que cette civilisation souterraine a bel et bien existé. C’est aussi la seule pierre tombale que celle-ci ait laissée. C’est une longue histoire, aussi, Votre Majesté, permettez-moi de prendre le temps de vous la raconter. »  

Roland acquiesça, se servit un verre de Boisson du Chaos, s’adossa à son siège et se mit à l’écoute de la conscience de la sorcière.  

– « Selon les indices laissés par la lithographie, cette civilisation en voie de disparition aurait laissé une ville dans la Chaîne des Montagnes infranchissables. La Société de Recherches a fait de longues investigations, mais en vain. Jusqu’au jour où elle se dit que puisque cette civilisation vivait sous terre, il était possible qu’il s’agisse d’une ville souterraine. »

« Les sorcières ont donc étendu leur secteur de recherches et ont fini par découvrir une ville magnifique d’une surface d’environ la moitié de celle de Taquila, construite sur quatre niveaux. Aussi complexes qu’un labyrinthe, chacun de ceux-ci renfermait d’innombrables méandres et cavités au point que sans l’aide d’une sorcière en mesure de détecter les directions, n’importe qui se serait perdu et n’aurait plus jamais retrouvé la sortie.

C’est pour cette raison que la Société de Recherches lui a donné pour nom “les Vestiges du Labyrinthe”. »

« Malheureusement, les Diables ont envahi Taquila avant même qu’elles n’aient pu l’explorer en détails. Nous avons toutes dû nous enfuir et c’est à grand prix que nous avons finalement rejoint ce labyrinthe. Nous avions prévu de rapporter le support original sur le Plateau d’Hermès et de fonder une nouvelle Cité Sainte afin de restaurer l’ordre sur la côte Est du continent.

Aucune d’entre nous n’aurait pu prévoir ce qui nous attendait. »

Sur ce, Pasha marqua une pause et les écailles qui recouvraient son corps s’assombrirent. Roland n’avait pas besoin de voir son expression pour deviner le chagrin qui l’habitait.  

Au bout d’un long silence, la sorcière reprit la transmission :

« La Société de Recherche a mis un certain temps, mais elle a fini par trouver les vestiges du labyrinthe. Outre le support original, le niveau inférieur recelait d’incroyables secrets, dont le noyau magique, le support central et des documents concernant cette civilisation disparue, qui pour nous étaient les plus importants. Il nous est alors venu à l’esprit que dès la première Bataille de la Divine Volonté, ce peuple souterrain avait préparé cette ville a notre intention et entendait nous y conduire. »  

– « Pour quelle raison », Demanda Tilly.

La voix d’une autre sorcière, beaucoup plus froide que celle de Pasha, résonna dans leur esprit :

– « Pour se venger. Ils espéraient que nous serions en mesure d’éradiquer les Diables, vengeant ainsi l’extinction de leur clan. »  

– « Ce n’était que pure spéculation de la part de Dame Natalya. Cela n’a jamais figuré sur les documents », répliqua Pasha en agitant ses tentacules comme pour signifier qu’elle n’était pas d’accord. « Peut-être voulaient-ils simplement que leur civilisation soit transmise. Quoi qu’il en soit, la Société de Recherches a récupéré de nombreux matériaux d’investigation au sujet de la Volonté Divine et du pouvoir magique. Afin de nous permettre d’en comprendre les détails, la plupart de ces conclusions avaient été exprimées sous forme de lithographies. »

« En fait, ce sont les documents portant sur le noyau magique qui ont été la racine même des différents entre la Reine de la Cité de la Course du Soleil et celle de la Cité des Météores. En effet, l’un des messages les plus importants illustré sur les lithographies disait que “le pouvoir magique offre des possibilités infinies et pour le maîtriser, il est indispensable de rechercher la Volonté de Dieu”. »

Roland eut le sentiment que l’on en arrivait au point crucial :

– « Qu’est-ce que le noyau magique ? » Demanda-t-il. « A-t-il un rapport avec l’Instrument de la Rétribution Divine ? »   

– « Le noyau, si vous voulez, est une sorte de Cyclone Magique artificiel qui ne se limite pas au corps d’une sorcière mais peut à tout moment modifier sa forme. Cet étrange dispositif a bien failli bouleverser tout le système de connaissances de l’Union. » Pasha désigna le rideau de lumière de l’un de ses tentacules et expliqua : « L’instrument fantôme, par exemple, que nous utilisons pour communiquer, est un petit noyau magique à échelle réduite. Si nécessaire, il peut être converti en un autre outil. Quant à l’Instrument de la Rétribution Divine, c’est le plus grand noyau magique trouvé dans ces vestiges. »

– « Je vois… » Dit Roland, réalisant aussitôt la supériorité de cet instrument. Comparé aux capacités des sorcières, intrinsèquement immuables, ce noyau magique était l’équivalent d’un terminal universel. Sa portée effective dépassant de loin la limite des cinq mètres, il était infiniment plus puissant que les sorcières, que ce soit au regard de la production qu’à des fins militaires.  

– « Pour le moment, nous n’utilisons le pouvoir magique que de façon basique. Mais à l’image du rapport existant entre l’Éveil originel et le Grand Éveil, la lithographie prédisait qu’un jour, lorsque nous aurions approfondi et développé ce pouvoir, nous finirions par devenir les égales de Dieu », reprit Pasha, un peu perdue, comme si elle ne comprenait pas vraiment ce qu’elle disait.  

Roland, lui, avait saisi le sens de ses paroles :  

– « Mais vous avez manqué de temps. »

– « C’est vrai. Au départ, nous ignorions combien de temps cela prendrait pour que ce jour arrive. Peut-être un siècle ? Un millénaire ?  Plusieurs membres de la Société de Recherches ont perdu la vie en tentant d’approcher le noyau magique. De toute évidence, les sorcières ne pouvaient pas toucher à ces étranges instruments. Nous aurions voulu résoudre le problème mais comme nous ne savions pas comment nous y prendre, nos recherches n’ont mené à rien.  La lithographie ne nous avait apporté que des informations très limitées et pour poursuivre nos recherches, il nous fallait suivre ces instructions. Il a fallu suffisamment de personnes intégrées au support central pour que nous comprenions enfin leur langage et puissions approfondir notre lecture des archives et documents. »

« Mais il ne restait plus suffisamment de temps car il nous avait fallu trois ans pour le comprendre. De nombreuses personnes ordinaires qui nous avaient rejointes quelques temps auparavant ont tenté de faire fi de notre contrôle et nous ne savions pas combien il faudrait intégrer de sorcières à ce noyau.  À ce moment-là, nos ressources ne nous permettaient pas de soutenir plus d’une voie de recherches. Encore un peu et le grand projet de l’Union pour restaurer l’ordre n’aurait plus de fondements.

« Mais surtout, le projet de Dame Alice concernant l’Armée du Châtiment Divin était totalement inconciliable avec le concept consigné dans les documents de cette civilisation souterraine. En effet, en abandonnant son corps pour devenir un Guerrier du Châtiment Divin, une sorcière perdrait non seulement tout chance d’évolution mais aussi… » Elle marqua une pause : « elle s’éloignerait à jamais de la Volonté de Dieu. »