La nouvelle annoncé par Phyllis enthousiasma toutes les sorcières du labyrinthe.
– « Comment des gens ordinaires pourraient-ils entrer en contact avec Dieu ? » Demanda Althéa, à la fois surprise et incrédule. « Vous faites sans doute erreur! »
– « Etes-vous certaine que le rayon de lumière orange venait de cette personne ? » Demanda Céline à brûle pourpoint. « Les sorcières de Graycastle ont-elles été témoin de ce phénomène ? »
Toutes se posaient exactement les mêmes questions.
– « Je l’ai vu de mes yeux », répondit Phyllis en appuyant chaque mot. « De plus, sa Clé est infiniment plus complexe que ce que Pasha exigeait, au point que la Pierre à Cinq Couleurs ne parvient même pas à contenir cette lumière aussi immense qu’une montagne. Au début, je n’y croyais pas moi non plus mais c’est pourtant la vérité. »
– « A-t-il un pouvoir magique ? » S’enquit Pasha, une dernière lueur d’espoir dans le cœur.
– « Quel dommage qu’il ne puisse pas activer l’Instrument de la Rétribution Divine. »
Toutes avaient été profondément surprises que Phyllis ait pu trouver en si peu de temps l’Élu qui possédait une Clé extrêmement sophistiquée. Cependant, elles étaient terriblement déçues d’apprendre que cet Elu ne possédait pas de pouvoir magique, ce qui venait bouleverser l’idée qu’elles s’en étaient faite.
Même s’il avait ma Clé, en l’absence de pouvoir magique, il ne pourrait pas se connecter au noyau, même avec l’aide de sorcières. À l’époque de Taquila, il avait été pleinement prouvé que les plus résistantes des personnes ordinaires ne pouvaient pas supporter plus de trente minutes la douleur générée par la magie. Ils n’étaient donc pas en mesure de maîtriser les points clés de son utilisation.
Persuadée que l’Élue serait parmi les Sorcières Senior, il aurait été plus facile de trouver des dizaines de candidates éligibles à l’époque où l’Union gouvernait les Plaines Fertiles. Cependant, ce qui l’inquiétait le plus, c’était que les nouvelles apportées par Phyllis avaient totalement détruit ses illusions.
Il y avait plus de dix sorcières de haut niveau dans la seule petite Cité Sans Hiver, ce qui faisait de l’Association des Sorcières l’équivalent de certaines organisations fondamentales de l’Union, comme la Société de Recherches ou encore l’Armée Sacrée. Pourtant, Phyllis n’était pas parvenue à découvrir l’Élue parmi elles.
Deux pensées s’opposaient dans son esprit. La première était qu’ayant trouvé les ruines trop tard, elles avaient manqué l’occasion d’éliminer plus facilement les Diables. L’autre était qu’en fait, n’ayant pas du tout accès à leurs cibles, c’était leur volonté unilatérale que d’exécuter le plan de l’Élue. Si ces Sorcières Aînées ne répondaient pas aux exigences, avaient-elles raison de s’entêter à suivre Dame Natalya et à s’opposer avec détermination au plan de la Reine de la Cité des Météores concernant l’Armée du Châtiment Divin ?
Terrifiée à cette idée, Pasha chassa ces pensées et demanda :
– « Vous dites que le Roi de ce peuple ordinaire souhaite coopérer avec nous ? »
– « En effet, il voudrait nous connaître et est prêt à combattre les Diables avec nous », répondit Phyllis, « mais je ne connaitrai en détail ses exigences qu’après avoir négocié. »
– « Pensez-vous qu’il soit en mesure de lutter contre les Diables ? »
– « Je n’en suis pas certaine… Ses armes sont incroyablement puissantes, mais malheureusement, je n’en sais pas suffisamment à ce sujet. » Après un moment d’hésitation, elle ajouta pour les réconforter : « Mais Ayesha n’a aucun doute à ce sujet. Si la Cité Sans Hiver disposait de deux ou trois ans, elle aurait de grandes chances de confiner les Diables à l’ouest de la Chaîne des Montagnes Infranchissables. »
– « Que pense-t-elle d’une relation entre nous et la Cité Sans Hiver ? » Demanda Althéa d’une voix grave.
– « Ayesha se considère toujours comme une sorcière de Taquila, mais elle a choisi de travailler pour Roland Wimbledon, le Roi du monde séculier », répondit Phyllis. Elle marqua une pause avant d’exprimer les pensées de la Sorcière Senior au sujet de la Nouvelle Union : « Elle est d’avis que désormais, le plus urgent est de vaincre les Diables et pense qu’il faudrait unir toutes les forces du continent pour affronter ensemble la troisième Bataille de la Divine Volonté. »
– « Travailler pour des gens ordinaires ? Aurait-t-elle perdu la tête ? » S’écria Althéa. « A-t-elle oublié ce qui nous a valu la défaite face aux Diables lors de la première Bataille de la Divine Volonté ? »
Une discussion s’éleva au sein de l’assistance. Pratiquement tous les membres de l’Union devaient connaitre cette période de l’histoire. Certes, il y avait sans doute quelques personnes extraordinaires parmi le commun des mortels mais dans l’ensemble, leur comportement n’était pas adéquat.
Ils avaient, par exemple, ouvert les portes de la ville pour se rendre et avaient tous été tués. L’armée des sorcières, ayant parcouru des milliers de kilomètres pour les secourir, avaient été rejetées hors des portes par le Seigneur qui avait ensuite assisté à leur massacre par les Diables. Souvent, les gens ordinaires s’échappaient du champ de bataille et il arrivait qu’une armée de vingt ou trente mille soldats soit inférieure à une équipe d’une centaine de sorcières. Dans certains endroits, les gens ordinaires allaient jusqu’à faire usage de la Pierre du Châtiment Divin contre les sorcières, ce qui avait envenimé la rupture entre les deux camps, contraignant les humains ordinaires à fuir le vaste Pays de l’Aube pour se réfugier dans les Plaines Fertiles.
Avec un tel comportement, ajouté à la nécessité de lutter pour se procurer des ressources, il était évident que les sorcières n’avaient plus d’autre solution que de prendre la place du régime des gens ordinaires.
Pasha regarda Althéa se tortiller, mécontente. Elle aussi était préoccupée. D’après ce qu’avait dit Phyllis, Roland Wimbledon, le Roi de Graycastle, devait-être quelqu’un d’extraordinaire, cependant, à lui seul, il ne pourrait pas changer le commun des mortels. Si d’autres rois venaient à commettre des erreurs stupides et rudimentaires, de quel côté se placerait-il ? Et si la guerre venait à perdurer vingt ou trente ans, la détermination et l’énergie qu’il affichait pour le moment persisterait-elle ?
Tous les gens ne seraient pas disposés à habiter un corps vide pour prolonger leur vie au détriment des sens. Quand bien même il accepterait, qu’en penserait sa progéniture dans quarante ou cinquante ans ? Seraient-ils disposés à hériter de cette vie ?
C’étaient là toutes des questions qui demandaient réflexion.
D’une manière générale, elles étaient prêtes à mettre le prix pour vaincre les Diables, Alice et Natalya étant toutes deux persuadées que tant qu’il subsisterait des humains et des sorcières, celles-ci finiraient par retrouver leur gloire. C’était ce qui différenciait depuis toujours les bénies de Dieu des gens ordinaires.
Mais si, même en payant le prix, elles venaient à être vaincues ? Elles n’auraient pas de seconde chance.
– « Commençons par discuter avec Roland », dit Céline en appuyant ses principaux tentacules sur Althéa, toujours indignée. « J’ai eu des relations avec Ayesha lorsque je faisais partie de la Société de Recherches. Certes, elle avait des sympathies pour les gens ordinaires mais elle réfléchissait à deux fois avant d’agir. Par ailleurs, n’oubliez pas que nous avions prévu d’entrer en contact avec les royaumes du monde séculier. Un Roi tel que lui qui ne fait aucune discrimination envers les sorcières et se prépare à la bataille de la Divine Volonté, n’est-ce pas pour nous un départ idéal ? »
– « Je suis bien d’accord. Seules, nous ne pourrons jamais vaincre les Diables. »
– « Les gens ordinaires pourraient également nous permettre d’étendre notre influence auprès de toutes les organisations de sorcières! »
– « De plus, comme il contribue à faire participer les sorcières, Phyllis est plus susceptible de trouver une autre Élue. »
– « Ces armes à poudre m’intriguent. Avec un tel équipement, viendrons-nous aussi facilement à bout des Diables que s’il s’agissait de bêtes démoniaques ? »
Les Sorcières du Châtiment Divin échangeaient leurs pensées.
« Céline a raison », soupira Pasha.
En effet, abstraction faite de l’idée d’une Nouvelle Union, puisqu’il leur faudrait collaborer avec les gens ordinaires, il n’y avait pas mieux placé pour discuter de la question qu’un Roi aussi ouvert d’esprit que Roland.
Elles ne pourraient décider de la marche à suivre qu’après avoir eu une conversation avec lui.
De son côté, Roland était sans doute du même avis.
Sur cette considération, elle regarda Phyllis et acquiesça :
– « Je vois. Si vous le voulez bien, discutons-en avec Sa Majesté Roland Wimbledon. »