Au centre de la salle principale se dressait l’instrument fantôme chargé de pouvoir magique dont le noyau émettait une lumière violette sombre et froide.

Une fois activé, l’instrument pouvait générer un rideau de lumière à des milliers de kilomètres mais malheureusement, cette capacité dont Dieu l’avait doté dépassait de loin la puissance des sorcières.

Pasha se retourna et vit que toutes les créatures globuleuses étaient descendues au sol. Près d’elles se trouvaient les Sorcières du Châtiment Divin, le visage grave. Les cadavres des hybrides démoniaques avaient délibérément été empilés des deux côtés et sous la lumière pourpre, leur sang d’un bleu pâle reflétait de petites taches fluorescentes.

Tout semblait lugubre, terrifiant. Ce spectacle, digne des enfers, aurait terrorisé n’importe quelle personne ordinaire.   

Pasha aurait préféré que les choses prennent un tout autre cours. Dès que la décomposition aurait commencé, les restes des bêtes démoniaques allaient devenir collants, dégoûtants et difficiles à nettoyer. Les Sorcières du Châtiment Divin ne pouvaient peut-être pas en sentir l’odeur mais ses tentacules à elle le lui permettaient.

En plus de quatre cents ans, celle salle étant devenue leur foyer, aucune ne souhaitait tout gâcher. Cependant, elle devait se préparer au pire, c’est-à-dire au fait que Phyllis soit réellement en danger et que ce soit quelqu’un d’autre qui ait brisé la pierre.

Si une telle catastrophe s’était réellement produite, il lui faudrait alors créer une atmosphère des plus horribles afin d’intimider, voire de menacer ceux qui étaient susceptible de présenter un danger pour elle.  

La Région occidentale de Graycastle, qui se trouvait près de l’entrée des Plaines Fertiles, était chaque année attaquée par de nombreuses bêtes démoniaques égarées. Ceux ou celles qui présentait un danger pour Phillis, qu’il s’agisse de sorcières ou de personnes ordinaires, en voyant ces cadavres accumulés, en déduiraient sans doute qu’il ne fallait pas les provoquer.

Pour pouvoir gagner du temps et secourir leur compagne, les sorcières de Taquila devaient absolument faire comprendre à l’ennemi qu’elles possédaient un grand pouvoir.

– « Activez l’instrument », dit Céline. « Nous devons absolument découvrir ce qui est arrivé à Phyllis. »

Pasha toucha aussitôt ses principaux tentacules et donna un ordre à l’instrument.

Tout le monde vit alors la lumière pourpre s’assombrir tandis qu’un rideau lumineux enveloppait la salle. De l’autre côté de l’instrument apparut une illusion dont la scène représentait la Pierre aux Cinq Couleurs brisée.

Pasha était à la fois stupéfaite et intriguée.

L’environnement représenté par l’illusion n’était ni un obscur cachot, ni un désert sauvage mais une grande salle spacieuse et claire au centre de laquelle se trouvait une longue table de bois recouverte d’une nappe blanche sur laquelle étaient posées des fleurs et des tasses de thé.

L’absence de signes de lutte indiquait que l’on avait délibérément choisi cet endroit pour détruire la Pierre Magique.  

Debout près d’une fenêtre, Phyllis bavardait avec une autre sorcière. Apercevant le rideau de lumière, elle se retourna, surprise et demanda :

– « Que s’est-il passé ? La salle aurait-elle été attaquée ? »  

Sur le moment, Pasha ne sut que répondre. Contrairement à ses hypothèses, Phyllis n’avait été ni attaquée, ni torturée et n’était même pas en danger. En fait, elle semblait avoir bien meilleur moral que lors de son départ. Pasha regarda attentivement et constata que la sorcière ne portait plus ce costume vulgaire et bon marché de servante mais un beau manteau fourré et dans ces somptueux vêtements, elle avait vraiment bonne mine.  

Aussi surprise que leur leader, toutes se regardèrent en silence. Si elles n’avaient pas perdu leur expression en prenant ces corps globuleux, cela eût été plutôt embarrassant.

– « Il y a peu, nous avons été attaquées par des bêtes démoniaques, mais le noyau magique et les reliques des Divinités sont indemnes. Ne vous inquiétez-pas, nous sommes toutes en vie », dit Pasha qui, étant la plus expérimentée, fut la première à reprendre ses esprits. « Cependant, nous n’avons pas eu le temps de déblayer les nombreux cadavres. »  

– « Vraiment ? » Demanda Phyllis, dubitative.  

– « Bien sûr! » Pasha s’éclaircit la voix et, de ses tentacules, fit signe aux Sorcières du Châtiment Divin : « Continuez à nettoyer les restes. Évacuez-les hors du labyrinthe avant que leurs fluides ne sèchent sur le sol. »

Les sorcières à l’air grave parurent extrêmement désappointées :

– « Comment allons-nous faire pour nous débarrasser de tous ces cadavres ? »

– « Il nous a fallu toute une journée pour les empiler! »

– « Je refuse de toucher à ces corps poisseux et dégoûtants! »

– « Vous avez raison! Certes, nous ne pouvons pas sentir leur odeur, mais c’est vraiment écœurant. »  

– « Cessez donc de vous plaindre. À moins que vous ne vouliez dormir avec ces corps ici ? »

– « Et si nous les jetions dans la lave ? Tout au plus se mettront-ils à fumer, comme si nous faisions un feu. »

– « Je n’y crois pas! Voulez-vous transformer ces ruines en cheminée ? »

La sorcière aux cheveux bleus qui se tenait aux côtés de Phyllis ne put s’empêcher de rire :   

– « J’imagine qu’elles vous croyaient en danger, d’où cette mise en scène destinée à nous intimider. »

Pasha, à qui sa voix était légèrement familière, la regarda attentivement.

Soudain, son nom lui revint à l’esprit.

– « Seriez-vous Ayesha ? »  

– « Comment ?! » S’écria Céline, surprise. « La plus jeune Sorcière Senior de l’histoire ? »

– « C’est impossible ! Elle est tombée avec Taquila, je me trompe ? »

– « Quand bien même elle aurait réussi à fuir la Ville Sainte, comment-pourrait-elle avoir conservé la même apparence qu’il y a quatre cents ans ? »

Il s’éleva des murmures parmi les personnes promues, temporairement prisonnières de leur corps globuleux et les Sorcières du Châtiment Divin. Toutes semblaient perplexes.  

– « C’est bien cette Sorcière Senior », répondit Phyllis. « Lorsque, dans la Tour de Recherches de la Forêt aux Secrets, elle s’est faite attaquer par des Diables, Ayesha s’est enfermée dans un cercueil composé de plusieurs couches de glace qui a eu raison de tous ses assaillants. Puis les membres de l’Association des Sorcières ont découvert les ruines de la tour et l’ont secourue. »  

C’était la vérité.

À ces mots, Pasha sentit l’excitation la gagner tandis qu’une pensée encourageante montait du plus profond de son être. Phyllis n’avait guère tardé à révéler son identité aux sorcières de Graycastle. En outre, elle avait retrouvé là-bas une autre survivante de Taquila, une Sorcière Senior de surcroît. Nul doute que Phyllis devait avoir une excellente raison de contacter le labyrinthe. Et si cette sorcière était l’élue qu’elle recherchait ?

Phyllis hésita, l’air embarrassé. Elle se tourna vers Ayesha et lui dit à voix basse :

– « Pourriez-vous nous laisser un moment ? Ce ne sera pas long. »

La Sorcière Senior acquiesça :

– « Lorsque vous aurez terminé, j’en informerai Sa Majesté », dit-elle avant de quitter la salle.

Phyllis prit une profonde inspiration et reporta son regard sur Pasha.

– « J’ai bien trouvé l’Élu revendiqué par la Pierre Magique, mais il n’a rien à voir avec ce que nous avions planifié. »  

– « Une minute! » S’écria Pasha, abasourdie. « Il ?? »

Elle n’eut pas le temps de lui poser des questions que déjà, Phyllis lui racontait son incroyable expérience.

Elle lui expliqua comment les sorcières pourraient collaborer étroitement avec les gens ordinaires, lui parla de cette puissante armée qui avait triomphé de l’Église, de ces puissantes armes à poudre…

Enfin, elle lui révéla le plus incroyable : l’Elu était une personne ordinaire!