Il fallut pas mal de temps à Wendy pour se remettre du choc.
« Voici donc votre capacité ? »
– « Elle ne vous entend pas », expliqua Annie. « Une fois transformée en arme, Epée Brisée est totalement coupée du monde extérieur. Il faut que vous la teniez pour qu’elle puisse reprendre ses esprits par votre intermédiaire. »
« J’ignorais que cela fonctionnait de cette façon » pensa Wendy.
Après un moment d’hésitation, elle souleva l’épée par la garde et en l’espace d’une seconde, sentit une autre présence dans sa tête. La lame se comportait comme si elle ne faisait plus qu’un avec elle. Simultanément, Wendy eut le sentiment que sa vue et son ouïe s’étaient considérablement améliorées. Elle se sentait pleine d’énergie et de force.
« Wow, c’est … »
« La coexistence », dit soudain la voix d’Épée Brisée dans sa tête. « Lorsque vous me tenez, vous bénéficiez de mes sens et de mes forces. Hélas », ajoute-t-elle, un soupçon de regret dans la voix, « depuis que je suis enfant, j’ai toujours été faible aussi je ne peux vous communiquer que quelque chose de très limité. Même si je fusionne avec vous, je ne vous serai guère d’une grande aide. »
Wendy comprit alors que la puissance qu’elle ressentait provenait de la capacité d’Épée Brisée.
Elle leva l’arme et l’étudia attentivement :
La poignée était chaude et douce. On aurait dit un objet vivant. Quant à la lame, elle avait une forme assez étrange. Longue comme le bras, elle n’était pas plus large qu’un doigt, plate à son extrémité et arrondie près de la garde. On aurait davantage dit une grosse aiguille qu’une épée. En regardant de plus près, elle aperçut des rayures serrées sur la lame, semblable à des fils très fins qui rappelèrent à Wendy les cheveux d’argent très particuliers d’Épée Brisée.
« Combien de temps pouvez-vous conserver cette forme ? » Demanda-t-elle.
« Si je ne me modifie pas constamment, je peux rester une épée aussi longtemps que vous le souhaitez. »
Apparemment, la capacité de cette sorcière fonctionnait de la même manière que celle de Maggie, seule la transformation consommait une grande quantité de pouvoir magique.
« Maggie ? Faites-vous allusion à ce pigeon géant ? »
Un peu gênée, Wendy réalisa soudain que lorsqu’elles étaient liées, Épée Brisée pouvait lire dans ses pensées. Or il y avait des choses qu’elle préférait que personne ne sache.
« Vous semblez un peu troublée… Qu’est-ce que c’est ? Une bande de tissu ? »
« Ce n’est rien. »
Wendy reposa immédiatement l’épée sur le sol, regarda Annie et s’éclaircit la voix :
– « N’importe qui peut-il se connecter à Epée Brisée ? »
– « Techniquement oui, », répondit Annie, « à partir du moment où elle accepte cette personne, ceci même s’il s’agit d’un être humain ordinaire. Mais dans ce cas, elle ne sera dans ses mains qu’une arme extrêmement puissante et mortelle. Seules les sorcières sont en mesure de faire la démonstration de son véritable pouvoir. »
– « Les sorcières ? »
– « En effet. » Annie, qui, de toute évidence, percevait ce à quoi Wendy pensait, répondit placidement : « Le fait qu’Epée Brisée soit liée à vous ne signifie pas qu’elle puisse lire dans votre esprit. Elle ne peut pas deviner ce à quoi vous pensez si vous ne vous concentrez pas dessus. »
– « Je vois », dit Wendy qui, ayant retrouvé son calme, saisit à nouveau la poignée de l’épée.
« Aurais-je dit quelque chose qui vous ait contrariée ? » Lui demanda mentalement la sorcière, de l’anxiété dans la voix. « Je suis désolée, je ferai attention et ne vous poserai plus de questions. »
« Ce n’est rien… » Soudain, une question traversa l’esprit de Wendy : « Que se passerait-il si je vous déposais sur le sol sans vous en avertir ? »
« Il ferait nuit noire. J’aurais l’impression de flotter dans les airs et n’entendrais ni ne ressentirais plus rien. »
« Ce doit être terrible d’être privée de tous ses sens », pensa Wendy, s’efforçant de paraître aussi amicale que possible. « C’est moi qui vous dois des excuses … Ne vous inquiétez pas, je ne vous abandonnerai plus au hasard. »
Epée Brisée, qui semblait stupéfaite, demeura un long moment silencieuse :
« Entendu », répondit-elle d’une voix douce.
« Bien. Annie vient de dire que seules les sorcières pouvaient faire la démonstration de votre véritable pouvoir ? »
« C’est exact. Lorsque je me bats comme une arme normale, si jamais la personne qui me tient donne trop de coups, je risque fort de me blesser. Par contre, en la remplissant de pouvoir magique, une sorcière peut aiguiser ma lame ou encore élargir sa portée d’attaque. Je peux ainsi pourfendre un ennemi sans même avoir à le toucher. »
Wendy suivit les instruction d’Epée Brisée et appliqua son pouvoir magique à la lame. Aussitôt, l’acier argenté fut obscurci par une mince couche de lumière blanche, mobile comme un brouillard laiteux. Simultanément, elle senti son pouvoir magique diminuer rapidement. De toute évidence, elle ne pourrait pas persister très longtemps.
Poussée par Épée Brisée, Wendy lança la longue lame contre une branche d’olivier. Aussitôt, un flux d’air jaillit de la pointe et coupa la branche en deux.
« C’est du vent ? » Demanda la responsable de l’Association des Sorcières, surprise.
« Le pouvoir magique que vous transférez dans l’épée reflète plus ou moins votre force. J’ignorais que vous étiez une sorcière de combat », dit Epée Brisée, quelque peu estomaquée. « Lorsque c’est Annie qui tient la lame, la portée de son pouvoir n’excède pas sa longueur. »
« Je vois », dit Wendy en pensant à Anna et à son Feu Noir.
Que se passerait-il si cette dernière communiquait à l’épée l’impulsion de tout son pouvoir ? Sans doute y aurait-il une explosion à secouer la terre, aussi intense que celle provoquée par le Sceau de la Divine Volonté qui convoquait la foudre. Néanmoins, Anna, qui était la sorcière la plus importante de l’association et la bien-aimée de Sa Majesté, ne participerait sans doute pas personnellement à la guerre.
Quant aux autres sorcières de combat… Wendy réfléchit un moment sans parvenir à trouver celle qui conviendrait. Elle traça donc un cercle à côté du nom d’Epée Brisée, laissant au Roi le soin de déterminer laquelle parmi toutes les sorcières lui correspondrait le mieux.
Roland venait de poser sa plume pour s’étirer lorsqu’il entendit trois sifflements aigus en provenance du quai qui résonnèrent dans tout le chantier naval.
Un long et deux courts : c’était le signal ordonnant à l’armée de se préparer au départ.
Les préparatifs de la guerre terminés, il avait fallu au corps expéditionnaire de la Première Armée toute la matinée pour embarquer. Au coup de sifflet, le navire de ciment qui transportait le premier groupe de soldats quitta officiellement la Cité Sans Hiver pour la Crête du Dragon Déchu.
Par la suite partiraient d’autres bateaux transportant des fournitures et des munitions. En effet, la bataille pour l’annexion de la Région de l’Extrême Sud ne commencerait que lorsqu’anciens combattants et nouvelles recrues seraient tous réunis à la Crête du Dragon Déchu.
Mais au moins, il avait fait le premier pas.
Roland jeta un coup d’œil à son bureau couvert de plans relatifs au moteur à combustion interne. Seconde source d’énergie, celui-ci, qui avait fini par totalement remplacer les machines à vapeur, avait joué un rôle irremplaçable dans le développement industriel et, jusqu’à un certain point, changé le cours de l’histoire.
Du simple compresseur à piston au dernier jet en passant par la turbine à combustion, plus complexe, tous étaient propulsés par des moteurs à combustion interne.
Roland était certain d’une chose : à un moment donné, ceux-ci avaient dominé l’ensemble du secteur, et ce jusqu’à ce que les moteurs électriques viennent les supplanter.
Il ne faisait aucun doute que l’une des plus importantes machines de l’histoire apporterait, dans un avenir proche, de grands bénéfices à la Cité Sans Hiver. Pour ce faire, le projet pétrolier concernant les Eaux Noires de la Région de l’Extrême Sud était crucial. Si par chance ils parvenaient à en extraire du fuel, le développement industriel qui s’ensuivrait serait une évidence. Dans le cas contraire, malheureusement, il serait contraint de recourir à l’alcool comme substitut et même avec des technologies avancées, l’expansion industrielle serait considérablement limitée.
Il en était là de ses réflexions lorsqu’Ayesha frappa à la porte.
– « Votre Majesté », dit-elle en entrant. « Nous avons des nouvelles des sorcières de Taquila. »