Chapitre 73, Essai d’Artillerie
Les essais devaient avoir lieu à l’ouest de Border Town, près de la rivière Chishui.
En raison de la neige, le charriot ne put aller plus loin. L’ensemble du groupe avait déjà passé une demi-journée à le traîner jusqu’ au champ d’artillerie.
– « Qu’est-ce que c’est ? », demanda Carter, quelque peu habitué au fait que le prince trouve sans cesse de nouvelles inventions. « Un fusil en plus grand ? »
– « Presque », confirma Roland. Il ordonna à ses hommes d’enlever la couverture afin de pouvoir ajuster personnellement l’angle du canon. Il définit cet angle parallèlement au niveau du sol, pointant vers un tas de neige.
Le principe du canon était identique à celui d’un fusil, aussi Carter n’était pas loin de la vérité en le qualifiant de version « en plus grand » de ce dernier.
Le canon utilisé pour le test était capable de tirer des boulets de fer de 12 livres. Avant de pouvoir enflammer la mèche, il fallait charger la chambre avec la poudre à canon et la boule de fer. Comme référence pour le chariot, Roland s’était servi des vieux dessins de canons illustrant les livres d’histoire. Mais pour améliorer leur durabilité, il avait demandé aux charpentiers de remplacer de nombreuses pièces, habituellement fabriquées en bois, par leurs homologues en fer.
Le prince avait mis presque autant de temps pour fabriquer le chariot que pour le canon lui-même. Il avait fallu une semaine entière et trois charpentiers qualifiés pour le terminer, la partie qui avait nécessité le plus de temps étant les roues dont le diamètre mesurait approximativement la moitié d’une hauteur d’homme.
Tout d’abord, les charpentiers durent produire quatre barres carrées de même longueur. Ces barres furent ensuite chauffées au four jusqu’à ce qu’elles puissent être courbées. On enleva l’excédent à l’aide de couteaux. Pour finir, on revêtit de fer l’extérieur des roues.
Ce processus nécessita plus de quatre jours.
Aussi, aux yeux de Roland, ce canon limité fabriqué à la main avait une valeur toute particulière. Il avait pris des dispositions spéciales pour le transporter sur les lieux du test.
Le chevalier en chef Carter et Hache-de-Fer, Commandant de la Milice, étaient tous deux à ses côtés, comme toujours. La garde personnelle du prince accompagnée de vingt membres de la milice tenait lieu de sapeurs et gardiens. Pour ce qui est des sorcières, Rossignol et Foudre étaient de la partie. Grâce à Nana, les préjugés envers les sorcières avaient considérablement diminué, aussi, aux yeux de la milice, était-elle la plus importante des personnes présentes, exception faite du prince.
– « Selon le processus habituel, nous devons d’abord nettoyer le tube du canon. »
Alors qu’il avait pu imaginer les plans du canon, le schéma de cette opération particulière restait pour lui une page vierge. Il se repassa mentalement les différentes scènes de tir au canon qu’il avait vues dans les films dans l’espoir de trouver le bon processus, mais Dieu seul savait si ce serait efficace.
Pleine d’entrain, Foudre s’empara d’un chiffon et entreprit de nettoyer le museau du canon. Son contrat était différent de celui des autres sorcières : à partir du moment où elle était autorisée à essayer personnellement toutes les nouvelles inventions de Roland, elle serait toujours disposée à l’aider au mieux de ses capacités, sans autre rémunération.
Le prince étant contraint de faire des économies, il accepta rapidement ses conditions. S’il avait des projets secrets, Roland pourrait toujours les étudier discrètement. Dans sa tête, il y avait encore beaucoup d’idées qui n’attendaient qu’à être mises en œuvre. Pour le moment, il n’aurait qu’à lui lancer occasionnellement quelques pièces pour la distraire.
Foudre avait pu enlever un peu de saleté, mais selon le processus, elle devait le nettoyer une seconde fois. Elle prit une autre serpillère et recommença.
– « Est-ce que tout le monde l’a vu ? », Demanda Roland aux gardes et miliciens.
Le test d’artillerie était également un exercice. S’il parvenait à augmenter le taux de production, la milice devrait devenir une infanterie, abandonnant la pique pour l’arme à feu. Mais il faudrait plusieurs sessions de formation avant qu’ils ne sachent utiliser les deux types d’armes chaudes.
Lorsqu’il vit que tout le monde acquiesçait, le prince demanda à Foudre de poursuivre les préparatifs.
La jeune fille ouvrit le sac et en sortit une cartouche de papier de la taille d’une poche, remplie de poudre à canon, qu’elle bourra dans le museau avec un écouvillon. Elle utilisa ensuite celui-ci pour enfoncer un boulet de fer dans le tube du canon. Pour finir, elle tira une mèche de l’extrémité arrière du canon et l’inséra dans l’œillet pour l’introduire dans le papier en le perçant. La préparation du lancement était terminée.
Pour éviter tout accident, tout le monde dut reculer de quinze mètres. Foudre, qui se tenait près de la mèche, vit les premières étincelles pénétrer dans le canon en l’espace d’un clin d’œil.
Suivit un puissant grondement. De l’air jaillit du museau à une vitesse telle qu’il souleva même la neige qui recouvrait le sol.
Théoriquement, la portée effective d’un canon de douze kilos pouvait aller jusqu’à un kilomètre.
Même sans rayures, un boulet de canon aurait toujours une trajectoire en ligne droite.
Tout le monde put entendre le bruit que fit le projectile en frappant l’armure placée 100 mètres plus loin. Il n’avait guère perdu en vitesse. A chaque fois qu’il heurtait le sol, le boulet rebondissait, accompagné de projections de neige.
Lorsque la fumée fut dissipée, Roland, accompagné de Carter et Hache-de-Fer, se dirigea vers la cible pour l’examiner. La première chose qu’ils remarquèrent en arrivant fut que le devant de l’armure touchait le dos, avec au centre, un trou de taille d’une main. De toute évidence, la vitesse du boulet n’avait pas été réduite à zéro, puisqu’il avait dépassé 100 mètres. Même au sol, il avait continué à rouler, ce qui montrait le niveau de puissance incroyable qu’il renfermait.
– « Quelle effrayante capacité de pénétration! » Soupira Carter.
Il imaginait déjà ce qui se passerait lorsque l’ennemi se présenterait par groupes, attaqué par plusieurs boulets de canon qui terroriseraient tout le champ de bataille.
– « Par les Trois divinités! » pria Hache-de-Fer.
Selon lui, Roland devait être le messager de la Terre Mère.
Qui d’autre qu’un envoyé de Dieu pourrait apporter au monde un pouvoir aussi terrifiant ? Il avait étudié la chimie de la poudre à canon. Celle-ci était composée de produits communs qui ne nécessitaient qu’une préparation soigneuse.
La flamme était l’incarnation de la colère de la Mère Terre, ainsi que son arme la plus puissante. C’était du moins la croyance des gens du sud. Chaque fois qu’ils apercevaient cette flamme orange, produite par les éruptions volcaniques et qui semblait ne jamais devoir s’éteindre, ils ne pouvaient s’empêcher de prier.
Le résultat de cet essai fut comparable à ce que Roland attendait d’un canon classique de 12 livres. Les plus grands moments de gloire du canon avaient été la guerre civile américaine et l’époque de Napoléon.
Le prince modifia les quantités de poudre pour tester leur niveau de puissance. Même s’il savait que cela pouvait endommager le canon, ces essais étaient nécessaires.
Des tirs furent réalisés avec trois quantités différentes de poudre sans que le canon ne montre de signes de déformation. Visiblement, l’acier utilisé pour le fabriquer était d’excellente qualité.
Roland décida finalement que la quantité de poudre à utiliser serait de 1,2 fois la dose des essais. Puis, il se servit de ces tests pour sélectionner un tireur.
– « Votre Altesse, c’est vraiment une arme très puissante, mais elle est trop lourde. Si nous rencontrions une fondrière, nous ne pourrions aller plus loin. »
Carter, qui avait vu immédiatement les problèmes que pouvait poser cette nouvelle arme, fit remarquer :
– « Le canon doit être nettoyé après chaque tir avec un chiffon humide, et ensuite rechargé. En prenant en compte le fait qu’il faut transporter la poudre, les boulets et le canon lui-même, j’ai bien peur qu’il ne vous faille cinq ou six personnes pour un seul canon. »
– « En effet, mais ça en vaut la peine! Si nous parvenons à utiliser deux ou trois canons, le duc… euh, je veux dire les bêtes démoniaques, comme cette espèce de tortue géante, ne pourront plus traverser le mur. »
Roland toussa : il était moins une!
Il comptait résoudre le problème du poids du canon en l’expédiant par bateau. Avec l’aide de la machine à vapeur, il pourrait convertir un bateau traditionnel en bateau à vapeur, mais même avec le plus primitif des bateaux à rames, il aurait tout de même l’inconvénient d’un système mécanique complexe et volumineux.
Aussi, plutôt que de transformer le bateau, acheta-t-il un navire à voile de deux mâts.
Avec l’aide de Wendy, il pourrait même expédier les canons derrière les troupes du duc. De cette façon, il serait en mesure d’attaquer les ennemis des deux côtés, anéantissant ainsi les forces du duc avec facilité et efficacité.