Très inquiet, Linley évoluait au milieu de ce château en perpétuel changement.
« Aucun moyen de trouver la sortie si ce fichu endroit change constamment. Qui plus est, il y a ici des ennemis qui nous attaquent et tendent des embuscades. »
En effet, quelques minutes plus tôt, il avait vu le cadavre d’un Démon et compris que ce château n’était pas seulement un piège : il y avait là des gens embusqués.
Il aurait pu le déduire depuis longtemps mais préférait ne pas y penser.
Linley aurait dû comprendre cela depuis longtemps. Seulement, il n’osait pas y penser. « Bébé et moi sommes un peu mieux lotis, car je possède un artefact protecteur d’âme et Bébé des trésors que lui a remis le Seigneur Beyrut. Cela devrait le protéger mais Délia… J’ai été trop pressé! J’aurais dû attendre, avant de partir, qu’elle ait atteint le niveau Dieu Supérieur », pensait-il, en proie aux regrets.
« Si jamais Délia était tuée… »
À cette pensée, son inquiétude redoubla.
En vérité, Délia, qui se formait aux Lois Élémentaires du Vent, maîtrisait déjà six de ses Profonds Mystères et possédait un Golem du Dieu de la Mort. Même si elle avait moins de chances de rester en vie que Linley et Bébé, elle avait tout de même des capacités.
Mais cela n’empêchait pas Linley de s’inquiéter.
« Il faut que notre ennemi soit extraordinaire pour avoir créé cet étrange château. Ceci mis à part, Délia n’a pas encore atteint le niveau Dieu Supérieur », pensait-il, espérant qu’il allait finir par tomber sur son épouse.
Soudain, en atteignant une ouverture, il vit, du coin de l’œil, quelqu’un planer dans les airs et reconnut aussitôt l’homme aux cornes noires. Celui-ci regardait dans sa direction : de toute évidence, il l’avait aperçu.
C’est alors que le doux vent qui soufflait se matérialisa sous la forme de l’ancien en robe verte. Un léger sourire aux lèvres, il regarda Linley sans toutefois s’inquiéter et se dit : « Ce Dieu aussi est ici… »
Qu’avait-il à faire, lui, d’un Dieu qu’il pouvait tuer en un instant ?
Voyant l’homme apparaître, comme sorti de nulle part, l’ancien aux cornes noires blêmit :
– « Vous êtes ? »
– « Vous êtes vraiment audacieux. Que vous et votre frère ayez fui avec l’immense fortune du clan Boyd est une chose, mais… je n’aurais jamais pensé que vous reviendriez après tant d’années. Envisagez-vous de retourner sur le continent de Jade ? »
Le visage de l’homme aux cornes noires changea :
– « Lorsque, cette année-là, nous avons fui le continent de Jade, nous pensions que personne ne nous avait repérés. Si nous avons sollicité autant de Démons, c’est par prudence mais jamais je n’aurais cru tomber sur vous! »
L’homme en robe verte eut un rictus méprisant :
– « Vous croyez pouvoir vous accaparer la fortune du clan Boyd ? » L’ancien aux cornes noires éclata d’un rire bruyant : « Vous pouvez toujours rêver! Si mon frère et moi avons pris part à ce voyage, c’est que nous étions bien préparés. Vous pouvez toujours nous tuer, jamais vous ne récupérerez la fortune du clan Boyd! Jamais, vous entendez! »
L’homme en robe verte blêmit soudain.
S’il avait suivi Inigo, son élève, du continent de Jade au continent du Bourgeon Rouge en traversant la Mer de la Brume Étoilée, c’était uniquement pour la fortune du clan Boyd.
– « Je verrai bien lorsque je vous aurai tué », répondit-il. D’un geste de la main, il invoqua une longue épée qui avait l’apparence d’un fil d’argent. C’était une épée flexible, plus mince encore et plus légère que Sang Pourpre.
« Préparez-vous à mourir », prévint-il, confiant dans son statut.
Sitôt que l’ancien aux cornes noires avait aperçu le Château des Vents, il avait compris à quel point l’adversaire était puissant. Certes lui aussi était un Dieu Supérieur, mais il ne pouvait se comparer à l’homme qu’il avait devant lui.
– « Vous voulez ma mort ? Il va falloir en payer le prix », répondit l’homme en robe noire qui s’était préparé à mourir.
Il poussa un rugissement et fit apparaître, entre ses mains, une lourde épée noire. L’air tout autour se tordit et une lumière noire fusa dans toutes les directions.
Surpris à la vue de ces deux Dieux Supérieurs sur le point de se battre, Linley se dit :
« Je ferais mieux de fuir. Si je m’implique dans cette affaire, ç’en est fini de moi. »
Sans hésiter, il prit un autre couloir. Mais il avait beau se déplacer vite, au premier affrontement, il vit l’homme aux cornes noires voler vers lui.
Mais d’un geste, celui-ci se redressa. Il venait de perdre l’un de ses clones divins.
– « Vous voulez ma mort ? » Demanda-t-il, pleinement conscient désormais de l’ampleur de leur différence de puissance.
De plus, il ne lui restait plus qu’un clone. « Maître du clan, votre ancien serviteur ne vous a pas laissé tomber. Mais à l’avenir, je ne pourrai plus travailler pour le jeune maître. »
Sa longue lame, dotée d’une force à faire éclater la terre, prit l’apparence d’une ombre noire. L’espace se distordit et il ne resta plus qu’un léger flou.
– « Haha… Je serais curieux de savoir combien il vous reste de clones divins », dit l’homme en robe verte en riant.
À sa grande surprise, Linley vit alors passer un beau rayon de lumière argentée et partout où ceux-ci passaient se créait dans l’espace de minuscules fissures.
Il avait du mal à croire que l’espace du Royaume Infernal puisse se fissurer ainsi.
L’ancien aux cornes noires eut à peine le loisir de bloquer l’un des rayons avant que les autres ne traversent son corps, le découpant en morceaux qui retombèrent sur le sol avec l’anneau interspatial qu’il portait à la main gauche.
Une idée traversa alors l’esprit de Linley : il lui fallait absolument récupérer cet anneau, qui, il en était certain, renfermait une immense fortune, à en croire le fait que ce commanditaire avait pu s’offrir les services d’un Démon Six Étoiles. Mais allait-il y parvenir ?
Linley jeta un coup d’œil à l’homme en robe verte qui se tenait au loin et, sans hésiter, prit la fuite en se disant : « À quoi bon, si je meurs ? »
Il eut tôt fait de s’éloigner de plusieurs kilomètres, disparaissant à la vue de l’homme en robe verte. Mais comme le château était entièrement sous son contrôle, ce dernier ne tarda pas à le localiser.
– « Ce Dieu n’a pas laissé l’avidité obscurcir son jugement », gloussa-t-il.
Même si l’homme en robe verte n’avait pas vraiment l’intention de le tuer, lui, un Dieu, il n’aurait pas manqué d’intervenir si Linley avait tenté de voler l’anneau et contre lui, le Guerrier au Sang de Dragon n’avait aucune chance.
L’homme redescendit au sol, récupéra l’anneau et le lia avec son sang.
« Voyons un peu ce qu’il contient. »
Soudain, il blêmit : l’anneau ne contenait, en tout et pour tout, que trente milliards de Pierres d’Encre.
– « Si peu ? Comment est-ce possible alors que le clan a mis d’innombrables années à construire sa fortune ?! Cet anneau n’en contient même pas une infime part! »
Ce qui, aux yeux de Linley ou de Dieux Supérieurs ordinaires aurait pu paraître une fortune ne représentait pour lui qu’une petite somme, une goutte d’eau dans la mer comparée à l’immense fortune du clan Boyd. En ville, le moindre d’hôtel coûtait des dizaines de milliards de Pierres d’Encre!
« J’oubliais le vieux à cornes blanches », pensa froidement l’homme. « À coup sûr, c’est lui qui détient la fortune. » Ayant tenté de le localiser, il se dit : « Cela ne me dit rien qui vaille. Ce Démon se rapproche de lui. »
Le visage froid et dur, Learmonth, son épée à la main, traversait le château aussi calmement que s’il se promenait dans son jardin, ignorant les murs qui se dressaient devant lui et qu’il traversait sans peine.
Lorsque se présentait un obstacle, son épée émettait de la lumière et détruisait le mur en un instant. Tel un fantôme, il passait et immédiatement après, le mur se reconstruisait.
Learmonth regarda froidement sur le côté.
Telle un éclair, son épée fusa vers le mur de sable qui se dressait au loin. Il y eut une effusion de sang et un cadavre s’écroula hors du mur, les yeux encore écarquillés de surprise devant le fait que l’expert ait pu déceler sa présence.
Learmonth poursuivit son chemin. Nul ne pouvait l’empêcher de progresser.
– « Je sais très bien que vous m’entendez », dit-il tout en marchant. « Pourquoi ne vous montrez-vous pas ? Vous me croyez incapable de m’échapper de votre château spatial ? »
À nouveau, il donna un coup d’épée dans l’obstacle qui se dressait devant lui et passa de l’autre côté.
– « M. Learmonth, enfin! » S’exclama l’ancien aux cornes blanches en le regardant avec une surprise mêlée de joie.
L’expert esquissa un sourire.
– « Je n’étais pas loin derrière », pensa l’ancien en robe verte, caché dans une pièce à quelques centaines de mètres à peine de l’homme aux cornes blanches. « C’est lui, Learmonth ? Sa puissance d’attaque est vraiment terrifiante! Une telle puissance alors qu’il n’a même pas forcé ?! S’il venait à mettre le paquet… »
Son extraordinaire expérience lui disait, en effet, que Learmonth n’avait pas encore utilisé son attaque ultime.
Généralement, les experts dotés d’une telle puissance mettaient leur vie en jeu dans leurs attaques ultimes, grandes consommatrices d’énergie spirituelle et de pouvoir divin, c’est pourquoi ils n’y avaient recours qu’en cas d’extrême nécessité.
L’homme en vert prit aussitôt une décision :
« Maudit garçon! Je vais aller chercher des Dieux Supérieurs afin qu’ils s’occupent de l’homme aux cornes blanches pendant que je ferai diversion auprès de ce Learmonth. »
En effet, il savait pertinemment que jamais les Dieux Supérieurs ne pourraient le faire à sa place. Par contre, il suffisait que quelques-uns d’entre eux unissent leurs forces et attaquent furtivement l’homme en robe blanche pour en venir à bout.
Alors que les batailles se poursuivaient sans relâche dans le château de sable, les Dieux Supérieurs se faisaient de plus en plus nombreux.
– « J’espère que Nisse va bien », se dit avec inquiétude Salomon, debout dans les airs.
Soudain, deux silhouettes jaillirent du mur voisin et foncèrent droit sur lui avec une énergie qui fit frémir l’espace.
D’un geste de la main, Salomon émit alors des rayons de lumière noire. Les deux personnages laissèrent alors échapper des cris misérables : l’un d’eux fut précipité au sol et n’en bougea plus tandis que l’autre prenait la fuite et disparaissait dans les murs de sable jaune.
– « Vous voulez ma mort ? » Gloussa Salomon.
Les combats reprirent et l’un après l’autre, les Démons de niveau Dieu Supérieur s’effondrèrent.
– « Mis à part ce Démon, il y a aussi quatre Dieux Supérieurs pas facile à gérer. »
À entendre les rapports de ses subordonnés, Inigo fronça les sourcils. Il ignorait que les quatre Dieux Supérieurs dont il était question étaient les frères Edwards et Salomon!
Le nombre d’étoiles, en effet, n’était pas nécessairement représentatif de la force.
Un Démon qui venait à peine de passer les épreuves initiales obtenait le titre de Démon Une Étoile, mais cela ne signifiait pas que sa puissance soit limitée à une étoile.
Salomon en était le parfait exemple. En surface, il n’était qu’un Démon mais que dire de son véritable pouvoir ?
– « Laissez tomber ces Dieux Supérieurs, nous n’en tirerons rien », ordonna Inigo dont le véritable objectif était de se débarrasser des deux anciens. « Pour le moment, occupez-vous des Démons de niveau Dieu. Faites comme bon vous semble, inutile, dans l’immédiat, d’organiser une attaque groupée. »
Ce n’était pas nécessaire en effet, car tous étaient des Dieux Supérieurs. Ils n’auraient aucun mal à venir à bout de Dieux individuellement.
– « Compris, jeune maître! »
Sur ce, les Dieux Supérieurs disparurent dans le sable jaune.
Mais cet ordre mettait tous les Dieux présents dans le château en grave danger, y compris Linley, Bébé, Délia, Nisse…
Les mains, les jambes, le cou et la tête recouverts d’une membrane de terre jaunâtre, Linley avançait prudemment dans le sable. Il avait revêtu son Armure Anti Pulsation et on aurait dit un guerrier de métal.
C’est alors qu’une silhouette d’épée explosive descendit droit sur lui et il eut soudain l’impression d’être un minuscule navire en proie à des vagues en furie.