– « En outre », poursuivit Roland, « j’ai l’intention de construire un monument au sein de la Cité Sans Hiver. »
– « Un monument ? » Karl retrouva aussitôt son calme : « Vous voulez parler d’un bâtiment remarquable, comme une tour ? »
– « Vous pouvez aussi appeler cela un Monument emblématique. » Dit Roland.
Karl était sans aucun doute une figure de premier plan dans la Guilde des Maçon de la capitale, à en croire la rapidité à laquelle il avait réagi à cette terminologie pourtant nouvelle. Roland qui tout d’abord avait acquiescé, secoua la tête : « Mais je ne veux pas construire un monument inutile. »
Suite à la bataille contre l’Église, la Première Armée avait subi de lourdes pertes. Même si, d’après Hache-de-Fer, les troupes avaient toujours le moral, les familles endeuillées, quant à elles, avaient été considérablement éprouvées.
Afin de renforcer la confiance des sujets, en particulier ceux qui venaient de l’extérieur, il avait la surprenante idée de construire un Monument emblématique. Dans l’histoire, certains monuments avaient été édifiés dans l’unique but de satisfaire la convoitise des dirigeants, ceci sans aucun bénéfice pour les constructeurs. Quand bien même cela pouvait mettre en évidence le pouvoir de l’État, Roland ne construirait pas un monument coûteux et inutile.
– « Je prévois de construire un immeuble résidentiel sur la rive sud de la Rivière Écarlate, derrière le parc industriel. »
Karl ne répondit pas, certain que ce ne serait pas un immeuble ordinaire.
Roland approuva son silence :
– « Il devra avoir environ quinze étages, à raison de trois mètres cinquante chacun, soit une hauteur totale de plus de cinquante mètres. À titre de comparaison, il sera aussi haut que les quatre murs de la Cité du Roi. Est-ce là le plus gros projet auquel vous ayez participé ? »
– « Votre Majesté, vous voulez construire une autre Tour de Babel! »
– « Je ne considérerais pas cela comme tel : c’est simplement un immeuble ordinaire, mais très haut », répondit Roland en riant : « C’est exactement ce qu’il nous faut comme monument emblématique pour cette époque. »
Un immeuble de quinze étages surplomberait nécessairement le château. Il serait visible sitôt entré dans la Cité Sans Hiver. Non seulement il symboliserait la puissance de la ville mais compenserait du même coup la pénurie de logements. Les grands immeubles résidentiels offrant de plus grandes possibilités de logement que les pavillons, cela expliquait pourquoi par la suite, on en construisait de plus en plus.
– « Peut-on vraiment construire des bâtiments résidentiels si élevés ? » Demanda Karl, quelque peu sceptique.
– « Nous sommes encore loin des limites qu’il est possible d’atteindre avec le béton. » Roland réfléchit un instant : « Je vous aiderai personnellement. »
Même si tout changement professionnel signifiait la plupart du temps acquérir des connaissances différentes dans un tout autre domaine, la mécanique et les principes structurels restaient universels. Avant de proposer cette idée, le jeune Roi avait pris en considération différents facteurs : si la taille de la construction pouvait sembler alarmante, ce n’était pas le cas en réalité. La Pyramide de Khéops, construite en 2000 av. J.-C. et haute de plus de 140 mètres et ne reposait que sur un empilement de pierres. La Chine possédait également des pagodes de bois de plus de 130 mètres de haut. À partir du moment où les fondations étaient suffisamment solides, la hauteur ne serait pas un problème.
À condition que la stabilité ne soit pas affectée, les générations futures minimisaient le volume des piliers et des murs afin de réduire le coût des matériaux. La Cité Sans Hiver ayant déjà un surplus de production de ciment, c’était une excellente idée que de l’utiliser pour construire un immeuble en béton.
Il serait également conseillé d’utiliser un podium à plusieurs étages ainsi qu’une structure imposante. Même si la surface au sol était plus importante, cela améliorerait grandement la stabilité structurelle et réduirait les difficultés de construction.
Si ce n’était pas suffisant, il serait possible de construire davantage de piliers et de renforcer la structure avec des barres d’acier. Cette construction ne présenterait aucun risque d’effondrement, tout reposant, une fois de plus, sur la solidité des fondations.
Venait enfin le coulage du béton. Roland, qui avait déjà tout envisagé, avait décidé d’avoir recours à Maggie et Colibri. Elles transporteraient des boîtes de fer et déverseraient le ciment depuis les airs, ce qui serait presque aussi efficace que d’utiliser des pompes.
Karl en avait déjà fait l’expérience lors de la construction de la Résidence des Sorcières, dont la structure de béton était exactement la même. Il s’agissait simplement d’édifier un plus grand bâtiment et de remplacer les supports de bambou et les câbles de fer par de l’acier renforcé. Avec le soutien technique de l’Association des Sorcières, il avait de bonnes chances de réussir ce projet.
– « L’épreuve est terminée, posez-tous vos crayons », annonça Sophia en frappant sur la table.
– « Ouf… » Fit Evelyne en poussant un profond soupir.
Le second semestre à Border Town… ou plutôt à la Cité Sans Hiver était terminé et cette année, elle avait réussi à rattraper tout le monde et à participer à l’examen final.
Son crayon à mine de charbon de bois à la main, elle regarda autour d’elle. Anna était toujours invisible. Selon Wendy, elle évoluait dans un univers mystérieux et si des gens ordinaires venaient à lire ses livres, ils seraient pris de vertiges et s’endormiraient, un peu comme une sorcière lorsqu’elle a épuisé tout son pouvoir magique.
Elle croisa le regard de Chandelle qui leva le pouce pour lui faire comprendre qu’elle s’en était très bien sortie.
Assise à l’arrière, Rossignol avait, une nouvelle fois, l’air abattue. Depuis l’abandon des épreuves de lecture et d’écriture, ses notes avaient chuté de façon drastique, ce qui laissait Evelyne plutôt perplexe. Pour autant qu’elle sache, Rossignol venait d’un milieu noble et avait été instruite bien avant les autres. En principe, elle aurait dû avoir d’autant plus de facilités d’apprentissage. Peut-être le fait de devoir gérer toute la journée des missions confiées par Sa Majesté en raison de son importante capacité affectait-il ses études ?
Après tout, Rossignol se battait même aux côtés de Dame Cendres en tant que sorcière de combat. À l’Île Dormante, Evelyne se serait contentée de l’admirer de loin.
Quant aux autres, elles si certaines semblaient heureuses, d’autres en revanche étaient tristes. Ayesha, Lucia et Lily, par exemple, avaient toujours obtenu de bonnes notes, et ce avec une grande facilité. On aurait dit que l’apprentissage était une seconde nature chez elles, en particulier Ayesha qui n’était pas loin d’Anna et de Tilly. Comme elle aussi était une sorcière de combat, Evelyne l’enviait terriblement.
À en croire l’expression du visage des autres, il était facile de prédire que, sauf incident, Honey, Colibri et Echo arriveraient bonnes dernières à cet examen.
Bien sûr, cela n’incluait pas les nouveaux membres de l’association : Assia et Page-Blanche qui, n’ayant pas le niveau requis, étaient directement formées par Sophia.
Mais Evelyne s’intéressait davantage à Maggie. Elle regarda la candide jeune fille et ne put s’empêcher de rire.
Il n’y avait pas de questions à choix multiples dans le test!
Evelyne avait encore sur le cœur l’examen final précédent : Elle qui pensait avoir quasiment atteint son but ne s’attendait pas à être battue d’un point par Maggie.
Elle était allée trouver Sophia pour s’assurer qu’il n’y avait pas eu erreur dans les résultats et avait fini par découvrir que Maggie s’en était très bien sortie concernant les questions à choix multiples alors qu’elle-même avait lamentablement échoué.
L’année suivant Evelyne avait passé le plus clair de son temps à étudier.
Comme elle était en mesure d’utiliser rapidement ses capacités, il lui suffisait de se rendre à la cave à vins deux ou trois fois par semaine et en moins de dix minutes, elle avait lancé tout son pouvoir magique. L’ouverture du bar, par la suite, n’avait en rien affecté ses performances.
La sorcière ne jouait jamais non plus avec le trio de poker. Lorsqu’elle travaillait au bar et avait un peu de temps libre, elle ouvrait son cahier d’exercices pour revoir ce qu’elle avait appris la nuit précédente. Même sa collection de parfums préférée ne pouvait affecter ses études. Elle ne se rendait au marché de proximité avec Chandelle que lorsqu’une nouvelle fragrance venait de sortir.
La jeune femme voulait absolument atteindre le but qu’elle s’était fixé.
Et cette fois, elle allait sans doute l’emporter!