Après deux jours passés dans le Monde des Rêves, Roland retrouva le toit gris ardoise de son château.
Il tendit les mains, plia les doigts, les étira et ce à plusieurs reprises. À l’exception de l’étrange courant de chaleur, il éprouvait les mêmes sensations que dans son rêve. Heureusement qu’il pouvait se servir de la chute pour quitter cet univers, sans quoi il ne pourrait jamais distinguer la fantaisie de la réalité.
« Est-il possible que le cerveau puisse simuler un monde aussi réaliste ? »
Roland était confus.
Ce groupe d’étoiles, surtout, qui ressemblait à s’y méprendre à un Cyclone Magique, l’intriguait. Il n’avait jamais vu le véritable aspect de la magie, mais si la Force de la Nature reposait sur le pouvoir magique, le Monde des Rêves aurait dû être flou.
Il y avait aussi cet homme excentrique au visage brûlé et le fait que le courant de chaleur entrait en résonnance avec le “groupe d’étoiles” …Soudain, il se mit à douter de ses précédentes hypothèses.
Quelque chose lui disait qu’il était impossible que son petit cerveau puisse contenir un univers aussi vaste et complexe.
Mais alors, si le Monde des Rêves ne provenait pas de son subconscient, où se situait-il ?
Roland eut beau réfléchir, aucune réponse satisfaisante ne lui vint à l’esprit.
Il secoua la tête et décida, pour le moment, de mettre tout cela de côté.
Comme il n’y comprenait rien mieux valait, dans l’immédiat, se concentrer sur l’essentiel.
Lors de sa visite à la bibliothèque en compagnie de Cléo, il avait acquis bon nombre de connaissances en matière de conception qui allaient grandement lui être utile. Il lui suffisait de parcourir un livre pour pouvoir reproduire son contenu avec précision.
Dans l’un d’entre eux, il avait également trouvé le dosage ainsi que les propriétés de certains alliages, ce qui allait faire gagner un précieux temps à Anna et Lucia.
Dans de telles circonstances, il allait être beaucoup plus facile pour lui de créer des machines-outils de troisième génération qu’il utiliserait pour forger des pièces demandant une plus grande précision.
Bien entendu, Roland allait devoir former les premiers opérateurs.
Les gens affluaient continuellement de toutes parts du royaume vers la Région de l’Ouest. Certains avaient réussi le test d’éducation universelle et trouvé un emploi, ce qui encourageait le jeune Roi.
C’était un processus graduel, mais il avait ouvert la voie. Lorsque, l’année suivante, Graycastle aurait été unifié, la Cité Sans Hiver serait sans doute au seuil de l’ère industrielle qui,
une fois franchi, apporterait d’importantes transformations sur tout le territoire.
Dans le courant de l’après-midi, Karl Van Bate vint l’informer que la Route 67 était terminée, sa construction ayant nécessité moins de temps que celle de la Route Principale du Royaume. Non seulement elle était moins longue, mais les ouvriers avaient acquis davantage d’expérience en matière de construction.
Comme promis auparavant, le lot de travailleurs mis au point par le Ministère de la construction était affilié à la zone frontalière.
– « Votre Majesté, si vous n’envisagez pas de construire d’autres routes, je prévois d’affecter tous les ouvriers sur de nouveaux chantiers résidentiels », dit Karl. « Je sais très bien que cela va occasionner des dépenses supplémentaires au niveau des salaires, mais la Cité Sans Hiver a urgemment besoin de logements. »
Roland le savait parfaitement, la moitié des cinq mille ouvriers engagés pour la construction étant occupés à construire de nouveaux quartiers résidentiels afin d’accueillir l’importante population que l’Hôtel de Ville avait convaincue de venir habiter à la Cité Sans Hiver. En à peine une année, la ville avait déjà été agrandie trois fois, ceci sans compter les nouvelles terres agricoles acquises au sud de la Rivière Écarlate
« La construction des routes peut attendre », répondit le Roi. Il étala sur le bureau la carte du District Frontalier et pointa du doigt la Montagne du Versant Nord : « J’envisage de construire un chemin de fer reliant directement la mine à la jetée de manière à pouvoir charger le charbon en provenance de l’ouest. »
– « Il y a déjà une route… » Soudain, Karl s’interrompit et demanda : « Un chemin de fer avez-vous dit ? »
– « Oui, on appelle également cela une voie ferrée », acquiesça Roland. « Cela s’apparente au système de transport orbital de la mine, à la différence près qu’une voie ferrée est faite d’acier. »
– « Je vois », répondit Karl après quelques secondes de réflexion. « Mais je ne pense pas que la construction d’un chemin de fer nécessite beaucoup d’ouvriers. »
« En effet », pensa Roland. « Si toutefois vous construisez une chaussée étroite en dur. »
Il se contenta de sourire. En toute franchise, il se doutait bien que Karl n’avait pas compris un traître mot de ce qu’il venait de lui dire. À la mine, il suffisait de cordes, de machines à vapeur et de chevaux pour transporter le charbon. Mais ce à quoi il pensait était bien supérieur au simple transport de combustible.
Il voulait des trains.
Depuis son invention, le train avait considérablement amélioré le transport terrestre, c’est pourquoi Roland envisageait de faire un essai en construisant un chemin de fer sur une courte distance.
S’il n’était pas difficile de comprendre les principes des trains à vapeur, un système ferroviaire en revanche constituait un projet gigantesque et complexe. Roland ne savait pas exactement combien d’années de tests et d’améliorations il avait fallu avant de mettre le train et toutes ses installations annexes en circulation, il se doutait bien que ce serait un projet à long terme.
« Heureusement que j’ai accès à ces connaissances dans le Monde des Rêves », pensait-il, obsédé qu’il était par ces trains gigantesques, symboles de l’industrialisation.
Même chargés à bloc, les trains parcouraient régulièrement les forêts et les montagnes en soufflant une fumée blanche. Les bielles noires entraînent de nombreuses roues, produisant un son rythmé et les vastes espaces semblaient réduits à une distance acceptable. Tout au long de l’histoire des trains, et ce quels que soient les changements apportés à la force motrice, leur nature n’avait jamais changé.
Outre les installations matérielles, il fallait former des cheminots pour conduire le train, chacun ayant sa tâche à accomplir. Son fonctionnement était donc beaucoup plus complexe que celui de simples machines à vapeur ou de machines-outils.
En ce sens, en construisant un chemin de fer entre la Montagne du Versant Nord et la jetée, Roland n’envisageait pas seulement d’en faire un essai technologique, mais également une base d’entraînement pour former la première génération de cheminots.
– « Prenez deux cents personnes et envoyez-les paver la plate-forme séparant la Forêt aux Secrets des seconds remparts », décida Roland.
– « Mais, Votre Majesté, le chemin de fer risque de subir les attaques des bêtes démoniaques », souligna le Ministre de la Construction, inquiet.
– « Elles ne s’intéressent pas à l’acier », répondit Roland d’un air détaché. « Par ailleurs, le chemin de fer ne sera pas terminé avant les Mois des Démons et l’an prochain, nous ne nous cacherons plus derrière ce petit mur de terre. N’avez-vous pas remarqué que le District Frontalier était de plus en plus bondé ? »
– « Vous voulez dire… »
Roland désigna la vaste zone au nord-ouest de la Chaîne des Montagnes Infranchissables et expliqua :
– « Nous allons étendre le District Frontalier jusqu’aux Terres Barbares où les ressources ne sont pas moindres qu’à Graycastle. Ce n’est pas ce mince mur de terre qui va nous protéger des Diables. »
Si la Bataille de la Divine Volonté venait à éclater et que les Diables construisent le troisième Obélisque à Taquila, leur avant-poste se rapprocherait du pied de la Chaîne des Montagnes Infranchissables. Il ne suffirait donc pas d’établir des lignes défensives dans les brèches de la Région de l’Ouest. Si l’Association de Coopération des Sorcières avait pu parvenir jusqu’aux Terres Barbares en suivant un chemin montagneux, cela signifiait que les Diables eux-aussi pourraient entrer sur les terres du Royaume de Graycastle.
Quand bien même ils ne prendraient pas ce chemin, ses troupes auraient du mal à faire face à un groupe de Bêtes Démoniaques Volantes survolant chaque jour les montagnes pour venir les harceler.
– « Pour que Graycastle soit en sécurité, il faudrait que la Chaîne des Montagnes Infranchissables devienne notre nouveau rempart. »
En installant des Canons de Forteresse sur chaque sommet montagneux, Roland pourrait couvrir toute la Cité Sans Hiver.
Comme il n’y avait pas de rivières dans cette zone reliant les terres intérieures, il ne pouvait compter que sur un chemin de fer pour transporter rapidement les ressources nécessaires, entre autres le charbon.
– « Le plan de défense du futur est un vaste projet, cependant je suis persuadé que vous êtes capable de le mettre en œuvre. »
N’importe quel maçon serait fasciné à l’idée d’intégrer la Chaîne des Montagnes Infranchissables au territoire de Graycastle car celui qui serait en mesure d’édifier pareille cité verrait son nom à jamais porté dans l’histoire.
– « Comptez sur moi, Votre Majesté », répondit Karl avec enthousiasme.