« Bon sang! » Pensa Joël.

Il ne savait pas ce qui s’était passé à l’extérieur, mais ce n’était certainement pas quelque chose de bon.

« À l’exception des marchandises illégales, les Marchands Noirs, qui sont de puissants hommes d’affaires locaux, ne sont-ils pas supposés organiser des ventes aux enchères régulières ? » Se demanda-t-il, maudissant Otto intérieurement. « D’abord le prix avait été mal estimé et voilà qu’à présent, quelqu’un en a après moi. Si j’avais su que cela se passerait ainsi, j’aurais refusé. »

Joël regarda autour de lui dans l’espoir de trouver quelque chose pour se défendre, mais il n’y avait pas d’armes dans la pièce à l’exception de quelques outils destinés à torturer l’esclave.

C’est alors que quelqu’un poussa la porte et entra à pas feutrés.

Joël s’agenouilla aussitôt sur le sol :

– « Je vous en prie, épargnez-moi et je vous donnerai tout ce que vous voulez… »

Cependant, la personne se précipita vers lui.

Ceci étant, il baissa la tête et se pencha sur le côté, espérant ainsi éviter l’attaque.

Au même moment, Amy s’écria :

– « Non, Annie! »

Le vent froid qui balayait ses joues s’arrêta brusquement. Joël pencha la tête et s’aperçut qu’il s’agissait d’un bâton, qui, apparemment, venait de la chaise.

S’il avait été frappé avec cet objet, il aurait aussitôt été assommé.

Une grosse main le tira par les épaules, le souleva et le plaqua sur le lit.

– « Vous a-t-il fait du mal ? » Demanda la voix un peu rauque dont il était difficile de dire si elle appartenait à un homme ou à une femme.

– « Il a dit …qu’il était là pour m’aider à sortir d’ici. »

– « Vous avez encore été bernée, Amy », dit-elle en secouant la tête avant de tordre les bras de Joël et de les attacher dans son dos d’une main experte. « Dépenser quatre mille Royals d’or pour sauver une sorcière inconnue ? Ce n’est pas une petite somme! Votre père lui-même aurait besoin de toute une vie pour l’économiser. »

– « Aïe …Vous croyez ? »

Pour connaître le prix auquel Joël l’avait rachetée, il devait forcément s’agir de la personne qui avait lutté contre lui aux enchères. Cependant, comment avait-elle pu le reconnaître et les suivre jusqu’à la chambre n ° 76 ? À l’exception de la salle d’exposition, toute la grotte était sombre.

Joël savait que sa vie était menacée. Il allait devoir tenter de la persuader, étant donné que ni son vieil ami, ni ce maudit Otto n’étaient là pour lui venir en aide. 

– « Je ne lui ai pas menti! Je suis en effet l’Ambassadeur de Graycastle et suis ici pour sauver cette sorcière par ordre du Roi! »

– « L’Ambassadeur de …Graycastle ? »

En sentant la main qui le tenait trembler légèrement, Joël devina que son approche avait fonctionné.  

– « Oui. Avez-vous entendu parler de Roland Wimbledon, quatrième fils du roi Wimbledon III et Roi de Graycastle ? Il est extrêmement bon pour les sorcières. Persuadé qu’elles ne sont en rien différentes des personnes ordinaires, il est allé jusqu’à combattre l’Église afin que celles-ci puissent vivre librement sur ses terres! Je vous jure que c’est la stricte vérité! »

S’il était possible qu’Annie ne sache pas qui était Roland, à la Cité de Lumière, nul n’ignorait que l’Église avait été vaincue par le Royaume de Graycastle à la Crête du Vent Glacé. Il le savait car c’était Hill Fawkes lui-même qui, avec ses assistants, avait diffusé l’information. L’Église ayant toujours été leur ennemi juré, quiconque étant en mesure de la vaincre, pour quelque raison que ce soit, s’attirerait sans aucun doute la clémence et le respect des sorcières.

Comme il s’y attendait, la main appuyée sur son dos se détendit. Il sentit qu’on le retournait, le relevait, et il se retrouva face à son agresseur.  

Annie …ainsi qu’Amy l’avait appelée, était sans aucun doute une femme, extrêmement charmante de surcroît, mais même sous sa cape, elle semblait avoir une carrure impressionnante. Ses sourcils froncés pointaient légèrement vers le haut et ses yeux étroits reflétaient la vitalité. Elle portait une queue de cheval relevée qui dégageait son front. Pour peu qu’elle ait eu la voix un peu plus profonde, Joël aurait cru qu’il s’agissait d’un homme mais en la voyant ainsi, il se sentit légèrement embarrassé.

– « Dans ce cas, pourquoi n’avez-vous pas retiré les fers d’Amy ? »  

« Toujours cette question… » Pensa Joël, qui fut contraint de réitérer ses explications :

– « Pour sa sécurité. Si jamais elle ne me croyait pas et s’échappait, ce serait très dangereux pour elle. »

– « Où comptez-vous l’emmener ? » Demanda Annie, qui, visiblement, n’était pas aussi influençable qu’Amy et doutait encore des paroles de l’Ambassadeur. « Vous allez la remettre au Roi de Graycastle? »

– « Bien sûr… En fait non », répondit-il, se reprenant à mi-chemin. « Mon vieil ami ne traite pas les sorcières comme des esclaves. Bon nombre d’entre elles vivent sur ses terres et elles ont même créé une organisation spécialisée dans la défense des droits des sorcières… »

– « Assez! » Coupa Annie, visiblement furieuse.  

Aussitôt, Joël se tut. Toutes ces informations, il les avait apprises au fil de ses conversations avec Hill. Il savait aussi que Sa Majesté, avec l’aide des sorcières, avait empêché l’Église de propager davantage la peste démoniaque à la Cité du Roi.  

C’était évidemment une bonne chose, mais étrangement, Annie ne semblait guère s’en réjouir.

– « Vous me faites penser à l’Association du Croc Sanguinaire », dit froidement la jeune femme. « Eux aussi faisaient leur publicité comme vous venez de le faire. »  

– « Du croc… quoi ? » Sursauta Joël, qui avait un mauvais pressentiment.  

– « Une sorcière ne peut croire qu’une autre sorcière. Jamais elle ne doit faire confiance à un noble. »

Elle inspecta la pièce et ne tarda pas à découvrir la clé accrochée au mur.

– « Une minute! Vous comptez l’emmener ? Mais nous sommes sous terre! N’avez-vous pas vu les gardes devant la grotte lorsque vous êtes entrée ? Comment allez-vous faire pour ressortir ? »  

– « Ne vous inquiétez pas pour ça, je sais ce que je fais » répondit Annie. Aussitôt, elle détacha Amy, après quoi elle attrapa l’une des chevilles de Joël et l’enserra dans l’anneau de fer.  

– « Vous ne voulez vraiment pas y réfléchir ? » Demanda l’Ambassadeur, qui, voyant qu’Annie n’avait pas l’intention de le tuer, prenait davantage d’assurance. Il tenta une dernière fois de la convaincre tandis que, docile, il se laissait enchaîner. « Il serait préférable que je la fasse sortir et que je vous la remette dès que nous aurons quitté la cour. Ainsi, nous n’éveillerons pas les soupçons. »

– « Votre proposition est alléchante, mais qui me dit que je ne serai pas accueillie par des épées et des Pierres du Châtiment Divin ? » Répondit Annie, impassible. « Un jour, j’ai commis une grosse erreur pour avoir été trop naïve. Plus jamais cela ne se reproduira. »

Après avoir enchaîné la cheville de Joël, la sorcière alla chercher N°76, lui attacha les deux mains derrière le dos et lui mit également les fers à une cheville.

– « Pourquoi ne l’avez-vous pas tuée ? » Demanda-t-il en apercevant des taches de sang sur la tête de son guide encore inconsciente.

De toute évidence, elle avait été malmenée, cependant, à en juger par sa poitrine qui se soulevait légèrement, elle était encore en vie.

– « J’aurai tout le temps de vous tuer tous les deux après avoir sauvé Amy », répondit Annie dont les paroles firent tressaillir Joël. « Mais pas tout de suite. Certes nous devons sans doute remercier le Roi de Graycastle pour avoir vaincu l’Église, mais cela ne signifie pas que je vais le croire sur parole. »  

– « Je ferai part de vos propos à Sa Majesté. Par ailleurs, si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à venir me trouver à l’ambassade. »

« Bien sûr », pensait-il « Il vaudrait mieux qu’elle ne vienne pas, cela nous éviterait pas mal de soucis supplémentaires. J’ai fait de mon mieux, aussi mon vieil ami ne pourra rien me reprocher. Si elles ne veulent pas aller à Graycastle, je ne peux tout de même pas les y contraindre. »  

Annie se retourna et le fixa longuement avant d’entraîner Amy hors de la pièce.