Chapitre 65, Signe de mauvais augure
Il y avait déjà eu plusieurs cas avant que la corne ne retentisse. A chaque fois, plusieurs dizaines de bêtes démoniaques avaient attaqué, la plupart du temps l’une après l’autre, mais la milice compétente avait pu les repousser.
Lorsque Roland entendit à nouveau le son de la corne, il ne paniqua pas. Il interrompit calmement l’entraînement et envoya Wendy et Foudre au château pour s’y reposer. Le prince ordonna également à Anna de protéger Nana qui allait devoir se rendre au centre médical pour attendre l’arrivée des soldats blessés. Accompagné de Rossignol, il se hâta de rejoindre le mur.
Contre toute attente, lorsque Foudre entendit les ordres de Roland, elle protesta :
– « Bien que je sois déjà une exploratrice expérimentée de la frontière occidentale du continent, je n’ai pas encore assisté à une attaque à grande échelle de bêtes démoniaques! Si je ne saisis pas cette chance, je ne suis plus digne d’être une exploratrice. Aussi je vous en supplie, Votre Altesse, permettez-moi de vous accompagner! »
Roland rejeta sans hésiter le plaidoyer de la jeune sorcière et pria Wendy de s’assurer que Foudre se comporterait bien. Ils ne pouvaient se permettre de perdre du temps lorsqu’une horde de bêtes démoniaques attaquait.
Il regarda Rossignol et lui demanda si elle était prête à partir. Elle acquiesça, prit la main de Roland et l’emmena dans le brouillard avec elle pour se rendre au mur. Sitôt qu’il avait appris que la jeune femme pouvait emporter avec elle tout objet ou personne avec lequel elle était en contact, Roland était immédiatement tombé accro à ce genre de voyage. Dans le brouillard, ils pouvaient traverser les obstacles et ignorer le terrain. Il suffisait d’une seule enjambée pour parcourir plusieurs mètres, aussi ce type de voyage était-il très agréable.
Lorsque tous deux arrivèrent au bas du mur, Roland trouva un coin où personne ne pouvait le voir et sortit seul du brouillard pour jeter un œil. En regardant la région déserte au loin, le prince ne vit qu’une vaste étendue blanche. Aucun signe de l’importante invasion de bêtes démoniaques à laquelle il s’attendait. Etait-ce une fausse alerte ? Il sentit la confusion de la milice, qui avait déjà pris ses positions défensives.
Le prince finit par trouver Hache-de-Fer, qui observait gravement l’horizon, les mains cramponnées sur la corne.
Arrivé à sa hauteur, il demanda aussitôt :
– « Avez-vous sonné l’alarme ? »
– « Oui, Votre Altesse, vous voyez… », répondit Hache-de-Fer. Sa voix était beaucoup plus sèche que d’habitude. « Ce type est venu. »
Ce type ? Roland regarda attentivement dans la même direction. Là, dans le lointain, il pouvait distinguer une faible tache noire, presque invisible même dans ce décor d’un blanc pur, et très difficile à repérer. Le règlement n’autorisait la patrouille à donner l’alarme que si l’on estimait qu’elle ne pourrait pas faire face au problème. En chasseur expérimenté, Hache-de-Fer devait avoir ses raisons.
– « C’est une espèce hybride », expliqua ce dernier, qui dut avaler sa salive retrouver son calme avant de poursuivre, « La dernière fois que j’ai vu cet oiseau, c’était il y a six ans. »
« Est-ce vraiment une espèce hybride ? »
Roland fronça les sourcils. Théoriquement, les bêtes malfaisantes attaquaient la Forteresse de Longsong jusqu’à ce qu’elles soient toutes mortes. N’ayant aucune intelligence, elles ne connaissaient pas la notion de retraite. La défense de la Forteresse n’avait jamais été brisée. Cette bête hybride aurait non seulement survécu, mais serait toujours en vie six ans après ? Pensant à ce que cela pouvait signifier, le prince eut un léger pressentiment.
Cependant, la bête démoniaque était si loin que Roland ne voyait qu’une vague tache noire tandis que Hache-de-Fer avait pu reconnaître clairement le type de bête dont il s’agissait. Sa vision devait être vraiment incroyable. Peut-être s’était-il trompé, pensait le prince avec espoir.
La bête démoniaque ne le fit pas attendre très longtemps, elle se rapprocha rapidement des murs, et tous purent remarquer son corps unique.
La créature n’avait pas de gros corps comme les bêtes hybrides précédentes. Il s’agissait à première vue de la version géante d’un chat. Cependant deux ailes recouvraient chaque côté de son dos lorsqu’elles n’étaient pas déployées.
Sa tête ressemblait à celle d’un lion, mais avec une paire d’yeux supplémentaire. Si ceux-ci n’étaient pas là pour la décoration, cela signifiait que la créature n’avait pas besoin de tourner la tête pour voir ce qui se passait derrière elle.
Carter et plusieurs chasseurs chargèrent leurs fusils, prêts à relever le défi.
Mais le Lion Hybride n’attaqua pas immédiatement. Il s’arrêta hors de portée de tir de l’arbalète, et observa attentivement.
Il était encore à portée effective de leurs fusils, mais la probabilité pour que les premières salves fassent mouche était pour ainsi dire nulle.
Soudain, l’animal sauta sur le côté gauche, ouvrit ses ailes et son corps immense s’éleva. Comme l’avait précédemment expliqué Hache-de-Fer, il pouvait voler ou planer sur une courte distance. Après avoir passé les barrières, la bête hybride vola rapidement vers l’extrémité ouest du mur, et attaqua la zone non gardée.
Le cœur de Roland s’affola. C’était comme un cauchemar devenu réalité. La créature observait son ennemi et jugeait de sa force, détectait ses points faibles et s’en servait pour attaquer, ce qui prouvait qu’elle possédait une intelligence supérieure.
C’était précisément ce qui, jusqu’ici, faisait défaut aux bêtes démoniaques. Il leur arrivait parfois d’attaquer leur proie par ses points faibles, mais ce n’était que la conséquence d’un instinct aiguisé par de nombreuses générations depuis des milliers d’années. Face à un adversaire inconnu, elles ne réfléchissent pas et n’attaqueraient certainement pas leur cible après une longue analyse.
Que signifiait avoir de l’intelligence ? L’humanité ne s’était-elle pas servie de son cerveau remarquable aux capacités exceptionnelles pour s’élever au sommet de la chaîne alimentaire ? Pour l’instant, Roland n’osait même pas y penser.
Il fit un signe de la main et ordonna à son Chevalier en Chef, Hache-de-Fer, et à sa bande de chasseurs de le suivre pour abattre la bête démoniaque.
Celle-ci se précipita vers la portion non défendue et sauta droit sur le mur, puis courut directement vers le quartier résidentiel, ignorant les chasseurs comme s’ils n’existaient pas.
– « La Bête! », hurla Roland. « La seconde équipe milicienne va au mur et le défend temporairement. La première équipe viendra avec moi! »
À ce stade, la nouvelle équipe n’avait pas eu assez de temps pour se former. Par ce mouvement, il aurait pu les éloigner de la bataille, mais si la bête démoniaque revenait, ils pourraient l’attaquer séparément.
Carter emmena les gardes et suivit le prince. C’était le groupe le plus fort, prêt à affronter l’ennemi à tout moment. Derrière eux suivait Hache-de-Fer, qui dirigeait l’équipe de chasseurs équipée d’armes à feu.
Arrivés dans les vieux quartiers, ils ne virent plus très loin car leur vue était gênée par les maisons. Avec les routes étroites et couvertes de neige, ils durent se montrer prudents et limiter leurs mouvements. S’ils voulaient avoir une chance de trouver des traces de la bête démoniaque, Roland craignait qu’il n’y ait pas d’autre solution que de répartir son équipe en petits groupes et de les envoyer dans les rues.
Il regrettait de ne pas avoir permis à Foudre de les suivre. S’il avait eu une sorcière qui puisse observer depuis les airs, il ne serait pas contraint de diviser son équipe et de les envoyer dans toutes les directions.
Après environ dix minutes de marche, ils entendirent soudain des habitants crier au bout d’une allée.
Immédiatement, l’équipe se dirigea dans la direction d’où provenaient ces cris. Comme la plupart des membres de la milice étaient des gens du vieux quartier, ils n’eurent aucun mal à se repérer à travers les nombreuses petites rues. C’était comme s’ils se promenaient dans leur cour. Lorsqu’il arriva sur les lieux, Roland vit un homme coupé en deux par des mâchoires acérées, ses organes répandus sur le sol. Mort, bien évidemment.
– « Mon Dieu … c’est Fourche-de-Fer, je le connais! », s’écria quelqu’un.
– « Mince, dans quelle direction est-elle partie ? » Demanda un autre.
– « Regardez! La bête est là-bas! »
Peu après, une ombre noire jaillit de la maison qui se trouvait sur leur droite. La créature traversa la cloison de bois de la hutte qui vola en éclats et attaqua de plein fouet la première ligne milicienne, à grands coup de pattes et de dents.
Hache-de-Fer fut le premier à réagir. Il voulut tirer sur la bête avec son fusil, mais les autres membres de la milice le gênaient. Cherchant une bonne occasion de tirer, il se fraya un chemin à travers la foule et se dirigea pas à pas vers la bête hybride. Confrontés à la même difficulté, d’autres chasseurs prirent leurs armes sous le bras et se mirent à escalader les toits et les corniches.
L’espèce hybride se fichait bien des hommes qui approchaient. Elle déploya ses ailes, se leva sur ses pattes arrières et se mit à secouer le soldat qu’elle tenait dans sa gueule, répandant du sang partout. Pris de panique, les gens reculèrent. Lorsque l’espèce hybride eut un peu d’espace, elle tenta de sauter, mais au même instant, un tir la toucha.
Des fleurs noires s’épanouirent sur la fourrure du monstre.
Plusieurs balles de plomb atteignirent la bête qui rugit de colère, se débarrassa de la proie qu’elle tenait toujours dans sa gueule et sauta dans la direction des chasseurs qui se trouvaient sur le toit. Lorsque la bête démoniaque apparut au-dessus de la foule, elle était droit dans le champ de vision de Hache-de-Fer, qui leva immédiatement son fusil, visa et pressa la gâchette.
Il était presque impossible de louper un tir à cette distance. La créature était si proche que la poudre à canon pénétra dans son nez. Sans perte de vitesse, la balle traversa ses yeux puis son cerveau.
Le corps de la bête démoniaque se raidit et retomba sur le sol.