Chapitre 64, Curiosité
Trois jours plus tard, dans le jardin du château.
– « Sœur Anna… »
Nana tira sur la robe d’Anna et l’appela par son nom pour attirer son attention.
– « Oui ? » demanda cette dernière en se retournant.
– « Que pensez-vous de Sœur Rossignol ? Ne trouvez-vous pas son comportement un peu étrange ? »
– « Étrange ? » Anna était confuse : « Vous voulez parler de la manière dont elle s’habille depuis peu ? »
Comme à son habitude, Rossignol se tenait aux côtés de Roland, mais à présent, elle ne portait plus sa robe habituelle au motif étrange. Elle était maintenant vêtue, tout comme Anna, de la curieuse tenue que son Altesse avait créée. Bien que cette dernière ne voulût pas l’admettre, ces nouveaux vêtements soulignaient la haute silhouette de Rossignol, mettant en valeur ses jambes bien galbées, sa taille mince, ainsi que ses longs cheveux bouclés. Avec son manteau et son chapeau pointu, tout le monde la regardait de la tête aux pieds.
– « Je ne parlais pas de ses vêtements », murmura Nana : « Ne trouvez-vous pas que le ton de sa voix et l’expression de son regard ont changé lorsqu’elle s’entretient avec Son Altesse ? »
– « Vous croyez ? »
Ne sachant que répondre, Nana renonça :
– « Très bien, sœur Anna, mais lorsqu’il sera trop tard, ne venez pas me dire que je ne vous ai pas prévenue. »
Incapable d’en débattre, Anna secoua la tête et ignora Nana. Son attention se reporta sur le physique des deux nouvelles sorcières.
Foudre fut la première à être examinée. Elle était sensiblement de la même taille que Nana, mais ses vêtements étaient vraiment insolites. En l’observant brièvement, Anna découvrit au moins douze poches cousues sur l’espèce de guenille qui lui tenait lieu de manteau.
Quant à l’autre sorcière, Wendy, au lieu de la tenue que Rossignol portait auparavant et qui dissimulait la totalité du corps, elle portait des vêtements féminins ordinaires et décontractés, ornés du fameux motif. Mais à la différence d’Anna, sa poitrine était… trop imposante.
– « Puisque vous avez toutes les deux accepté de signer le contrat, nous allons pouvoir commencer votre formation. »
Finalement très à l’aise, Roland prit en mains l’entraînement de ses deux nouvelles sorcières, et donna des instructions.
– « Foudre, vous passez la première. »
– « Yessss!* », s’écria l’interpellée en levant les bras, toute à sa joie d’avoir été choisie pour être la première à commencer.
À cet instant, seuls quelques flocons de neige tombaient encore et il n’y avait pas de vent.
Aussi, la jeune fille flottait-elle tranquillement dans l’air, attendant les ordres du prince.
Roland leva les yeux et lui cria :
– « Montrez-moi votre vitesse la plus rapide! »
– « Très bien, regardez-moi. »
Levant son pouce pour signifier que tout était ok, elle se mit en position de départ et vola rapidement autour du château.
Roland évalua à vue d’œil sa vitesse de vol et au vu du résultat, l’estima comprise entre 60 et 80 km/h. Ces chiffres reposaient sur sa propre expérience de la conduite dans son monde d’origine. Si l’on ne prenait en considération que le vol, cette vitesse ne pouvait être considérée comme rapide car elle était similaire à celle d’un pigeon ordinaire. Cependant, Roland avait entendu dire que la jeune sorcière était parvenue à porter Rossignol et Wendy durant leur voyage à destination de Border Town. Cet exploit était beaucoup plus impressionnant que sa vitesse.
Cela signifiait-il qu’elle serait capable de porter un poids de 100 kilos ? Roland voyait déjà Foudre porter une bombe de 100 kilos…
Cependant, l’essai suivant eut raison de sa douce illusion.
Lorsque le poids était supérieur à 50 kilos, la hauteur de vol de Foudre diminuait fortement. Des cent mètres d’altitude de son vol précédent, elle descendit soudain à dix mètres. Lorsque le poids transporté avoisinait les 100 kilos, sa hauteur se limitait à deux mètres.
Ceci pour dire que, s’il transformait Foudre en un bombardier incarné, même si elle ne portait que quelques kilos d’explosifs, la jeune fille serait à la portée des arbalètes et deviendrait une cible facile à abattre.
De nouvelles idées lui vinrent pour cette jeune sorcière : en tant qu’éclaireuse ou enquêtrice chargée de trouver le bon endroit pour un bombardement, elle ferait une excellente candidate. Peu de temps auparavant, Roland pensait se retrouver face à un mur avec ses plans, mais à présent, il entrevoyait à nouveau une lueur d’espoir.
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Pendant que le prince testait les capacités de vol de Foudre, Wendy se tenait tranquillement à ses côtés, analysant de près toutes les expressions de Roland.
Durant les quinze années d’errance qui avaient suivi son départ du monastère, elle avait vu beaucoup de gens différents. Que ce soient des roturiers, des agriculteurs, des artisans, des soldats ou des nobles, ils avaient tous la même réaction. Tant qu’ils ignoraient qu’elle était sorcière, ils lui montraient désir et amour, mais sitôt qu’ils l’apprenaient, ces manifestations se transformaient instantanément en peur et en haine. Chaque fois qu’elle était témoin de ce comportement méprisable, Wendy avait envie de vomir.
Elle était convaincue qu’elle devrait passer le reste de sa vie en compagnie d’autres sorcières et qu’aucun homme ne l’accepterait jamais. C’était aussi la raison pour laquelle la jeune femme avait refusé l’offre de Rossignol. Ce n’était pas de la méfiance, elle avait simplement peur d’avoir le cœur brisé à nouveau.
Cependant, Roland Wimbledon lui avait déjà fait changer d’avis.
Il les regardait de la même manière qu’il regarderait n’importe quelle personne normale. C’était comme s’il avait déjà vu des milliers de sorcières.
Lorsqu’elle avait rencontré le prince pour la première fois dans la chambre de Rossignol, Wendy s’était dit qu’il cachait extrêmement bien son aversion envers les sorcières. Elle était également convaincue que la présence de Rossignol à ses côtés expliquait qu’il ne manifeste aucun mépris. Cependant, au cours des jours suivants, elle découvrit que l’expression sur son visage était toujours la même.
Un membre de la famille royale avait-il le don de cacher ses véritables intentions bien mieux que la plupart des gens ?
La seconde raison qui lui avait fait changer d’opinion était le contrat.
Auparavant, Wendy pensait que ce ne serait qu’une formalité. Mais lorsqu’elle se mit à le lire, la sorcière s’aperçut qu’il comprenait bon nombre de clauses détaillées. Non seulement cet accord énumérait leurs responsabilités, mais il faisait également état de leurs droits.
C’était tout simplement inconcevable! Ce contrat positionnait toujours les sorcières dans l’armée du prince, mais ne les privait pas de leur liberté. Il était même plutôt généreux envers elles. Etait-ce vraiment un contrat ?
Par exemple, l’article 2.1 (C’était la première fois que Wendy voyait une telle structure) : la sorcière bénéficiait de congés payés, ce qui signifiait qu’elle gagnerait de l’argent même lorsqu’elle ne travaillait pas.
Ensuite, la sorcière se devait d’accomplir les projets expérimentaux selon les ordres de l’employeur, mais si une partie du projet était trop difficile à terminer, impossible à réaliser dans le temps imparti, générait un inconfort ou s’avérait trop dangereuse, la sorcière pouvait demander des changements ou refuser purement et simplement de participer au projet.
La clause suivante disait que l’employeur était tenu de prévoir et garantir la sécurité de la sorcière. Il prenait en charge l’hébergement, la nourriture et le salaire de celle-ci. Si ce dernier venait à manquer à l’une ou l’autre de ces obligations, la sorcière serait autorisée à suspendre unilatéralement le contrat.
Wendy trouvait ces articles un peu prolixes mais clairement écrits. Après avoir signé ce contrat, la sorcière ne deviendrait pas l’objet du Prince. Bien sûr, elle était tenue d’obéir à ses ordres, mais elle avait également des droits équivalents et pouvait toujours dire non. Devant un tel contrat, la jeune femme finit par être convaincue de la sincérité du prince.
Si cela n’avait été que pour l’apparence, il n’aurait pas pris la peine de rédiger un accord aussi détaillé.
En arrivant à cette conclusion, Wendy ne put s’empêcher de regarder Rossignol. Elle savait tout ce que cette dernière avait traversé, et elle savait aussi à quel point le dégoût des nobles était présent chez les autres sorcières. Pourtant, lorsque Rossignol parlait avec Roland, son ton et son comportement reflétaient tant d’émotions différentes…
« J’ai peur même qu’elle ne soit pas au courant de ces changements.
Il y a deux mois, elle quittait le camp de l’Association de Coopération des Sorcières en direction de Border Town. En Seulement deux petits mois, Rossignol a déjà commencé à faire totalement confiance à cet homme.
Elle préférait couper toutes relations avec l’Association de Coopération des Sorcières plutôt que de ne plus jamais revoir Border Town. Dans son cœur, il était très probable que sa vraie maison était aux côtés de Roland Wimbledon plutôt qu’à l’Association de Coopération des Sorcières.
C’est très triste ce qui est arrivé à notre respectée maîtresse Cara. Pourtant fondatrice de l’Association, elle a fini par oublier l’importance de chaque sœur survivante », se dit-elle.
Wendy savait qu’elle ne pourrait jamais y retourner. Puisque le destin l’avait amenée à cet endroit, pourquoi ne se fierait-elle pas au choix de Rossignol ? « De la même façon qu’elle a toujours cru en mes propres choix. »
– « Wendy ? »
– « Ah… »
Wendy sortit de ses rêveries, pour s’apercevoir que Foudre avait déjà terminé ses tests. A présent, tout le monde l’attendait.
Elle sortit du cabanon avec un sourire d’excuse.
« Puisque tu as pris ta décision, il faut y aller. Tu ne vas tout de même pas perdre face à la jeune génération, n’est-ce pas ? », se dit-elle.
Au même instant, le son de la corne leur parvint à nouveau de l’Ouest. Il résonna dans les montagnes, rompant la tranquillité de la ville.