Roland se réveilla et bondit de son lit. Tout excité, il enfila son manteau et se précipita dans son bureau. Là, il prit plusieurs pages vierges pour commencer à noter les parties manquantes du tableau périodique des éléments et de la “Chimie Élémentaire” qu’il avait mémorisées.  

Il avait également déduit quelques règles des deux précédents voyages dans le Monde des Rêves. Premièrement, le temps ne s’écoulait pas au même rythme, ce qui s’expliquait facilement dans la mesure où il suffit d’une sieste pour faire un long rêve très réaliste. Roland pensait que cela pouvait être causé par l’accroissement de la rapidité de réponse du cerveau. Dans un rêve en effet, les entrées sensorielles provenant directement de la mémoire, le cerveau n’avait donc pas à traiter et enregistrer les données transmises par les cinq sens.  

Par exemple, lors de son dernier voyage, il avait quitté le Monde des Rêves à 15h00 en tombant d’un escabeau dans sa chambre avant que Cléo ne rentre de l’école. Il avait donc passé huit heures dans ce monde. Cependant, à son réveil, il n’était encore que minuit et la lune était haute dans le ciel.

Par ailleurs, son cerveau était tellement excité dans ces rêves réalistes que le fait de voyager dans ce monde ne le reposait pas. C’était un problème délicat dans la mesure où, d’une manière ou d’une autre, Roland était toujours occupé. Le jour, il gérait les affaires de l’état et la nuit, il devait gagner de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille virtuelle. Aussi fut-il surpris de constater qu’il était lui-même devenu un ouvrier modèle de la Cité Sans Hiver… et le plus travailleur.

Jusqu’à présent, il n’avait pas encore essayé de dormir dans le Monde des Rêves. En raison des différences de temps, il se disait ce serait sans doute plus efficace.

Enfin, ce Monde des Rêves était très différent des rêves ordinaires.

Il était clair, stable et avait ses propres règles. Sans doute était-ce Cléo qui avait créé ce nouveau monde qu’il connaissait à peine.  

En y réfléchissant, Roland se demandait :

« Y a-t-il des frontières ? Combien de fragments mélange-t-il ? Combien d’informations cachées ou oubliées vais-je y trouver ?

Impatient, il attendit l’aube et, après avoir déjeuné, convoqua tous les hauts fonctionnaires de l’Hôtel de Ville dans la salle de réception du château.

Il lui fallait vérifier les progrès de leurs travaux depuis plus d’un mois et, plus important encore, il voulait définir les stratégies concernant la prochaine étape de développement en vue du défi à venir.

Maintenant que l’Église n’était plus une menace majeure, il allait devoir investir tout son temps dans la préparation de la Bataille de la Divine Volonté afin d’être prêt lorsque les Diables attaqueraient.

Roland regardait aussi les autres royaumes.

Barov s’essuya le front :

– « Hum… Vous voulez dire que nous n’allons pas seulement recruter des gens en provenance de chaque région du Royaume de Graycastle mais également de ceux de l’Éternel Hiver et de Wolfheart ? Votre Majesté, c’est un très gros projet. »

– « Tout le continent ne va pas tarder à apprendre que l’Église a subi une grave défaite. Suite à cela, Hermès aura bien du mal de garder le contrôle sur les royaumes de l’Éternel Hiver et de Wolfheart. Lorsqu’ils verront ces signes de faiblesse, les nobles que les guerres ont menés à l’Église ne tarderont pas à lui tourner le dos », expliqua Roland d’une voix grave. « Cela sera pour nous une excellente occasion d’amener les gens à Graycastle, que ce soit par la force ou en les attirant avec de l’argent. »  

En effet, le nationalisme n’existant pas à cette époque, les gens ne se souciaient pas vraiment de savoir pour qui ils travaillaient, à partir du moment où ils pouvaient garder leur famille avec eux.

« Au printemps prochain, le port de la Cité Sans Hiver sera mis en service. Nous n’aurons alors plus qu’à formuler un plan de recrutement, louer des bateaux aux marchands des Fjords et trouver des endroits pour accueillir les nouveaux arrivants. Je suis conscient du fait que cela va coûter beaucoup d’argent à l’Hôtel de Ville mais quoi qu’il en soit, nous devons le faire. Vous êtes tous parfaitement conscients que l’Église n’était pas notre ultime défi », poursuivit Roland.  

L’Hôtel de Ville ayant déjà une vaste expérience dans ce domaine, le jeune Roi était confiant : ce plan ambitieux pourrait faire augmenter la population en un temps record.

Juste avant cela, ils avaient déjà envoyé des émissaires dans les Régions du Sud et de l’Est pour recruter du monde.  

Les fonctionnaires avaient également établi un ensemble de règles issues de leur expérience en matière de relogement.

L’Hôtel de Ville de la Cité Sans Hiver était devenu une administration fiable et mature.

Cependant, comme ces gens ne connaissait rien au transport maritime, Roland avait l’intention de demander à la Chambre de commerce de Tonnerre et Margaret de les aider.

« À propos :  afin d’alléger votre charge de travail, je vais engager officiellement Mlle Edith Kant en tant qu’adjointe à l’Hôtel de Ville. » Roland marqua une courte pause avant de poursuivre : « Je ne trouve rien à redire à ses performances au cours de la bataille de la Crête du Vent Glacé ni à son travail de conseillère au sein de l’Etat-Major. A mon avis, son aide vous sera d’une grande utilité. »  

– « Merci, Votre Majesté, mais je peux le faire tout seul… » Dit Barov, visiblement inquiet.

– « Ma décision est prise », coupa Roland. « Ce sera comme je l’ai dit. »

Il se tourna vers Sophia :

– « L’éducation est également au centre des objectifs de développement : comment s’est déroulée la formation des enseignants du secondaire ?

La sorcière secoua la tête :

– « À l’heure actuelle, seul Ferlin a réussi le test d’évaluation, Votre Majesté. J’ai bien peur que cette méthode ne fonctionne pas. »

– « Je vois », répondit Roland qui n’était guère surpris. Comme, à la Cité Sans Hiver, la plupart des enseignants de niveau primaire étaient des chevaliers, il leur suffisait d’utiliser le matériel didactique rédigé par Sophia et ils n’avaient aucun mal à apprendre aux élèves à lire et à écrire.

Cependant, lorsque le Ministère de l’Education avait voulu améliorer la qualité des enseignants, il s’était heurté à un problème. Si les chevaliers savaient lire et écrire, c’est uniquement parce qu’ils étaient instruits. Cependant, le fait d’être alphabétisé ne signifiait pas nécessairement qu’ils étaient doués pour les études.

Pour devenir enseignants de niveau secondaire, ils devaient être compétents dans des disciplines telles que les mathématiques, la physique et la chimie qui n’étaient pas faciles à étudier.

Roland réfléchit un moment :

– « Dans ce cas, nous choisirons les enseignants du secondaire parmi les étudiants. Dans le but d’encourager les plus brillants à poursuivre leurs études, il va nous falloir inclure un programme de bourses dans le budget de l’année prochaine. »

– « Une bourse ? Voulez-vous dire un système de récompense comme celui que nous avons adopté à la Forteresse de Longsong ? » Demanda Sophia.

– « Pas du tout », répondit Roland. « Le système de récompense auquel vous faites référence a été conçu pour inciter davantage de gens à s’instruire tandis qu’un programme de bourses ne récompense que les meilleurs étudiants. Son but est de les inciter à poursuivre leurs études en les rémunérant autant qu’un travailleur moyen. »

Généralement, lorsqu’un étudiant avait obtenu son diplôme de formation générale, il s’efforçait de trouver au plus vite un emploi pour subvenir aux besoins de sa famille au lieu de poursuivre ses études. Afin d’être certain que les personnes qui s’avéraient douées pour les études soient mieux formées, il allait devoir créer ce système de bourse en vue de subventionner ces personnes.

« Premièrement, vous allez définir un score élevé pour sélectionner les vingt à trente étudiants qui bénéficieront d’une bourse. Puis vous et Ferlin les formerez : ils apprendront sans doute beaucoup plus vite que les chevaliers.  Cette formation terminée, toute personne qui aura réussi l’évaluation sera qualifiée pour devenir enseignant de niveau secondaire avec un salaire de base de cinquante Royals d’argent. Quant à ceux qui auront échoué, ils pourront postuler pour d’autres emplois. »

Lorsque le premier groupe d’enseignants de niveau secondaire aurait été formé, il prévoyait d’assouplir les conditions du programme de bourses d’études et de promouvoir un niveau plus élevé de connaissances et d’instruction au sein du peuple.