Rossignol n’avait jamais ressenti autant de remords et de culpabilité.

Elle qui était persuadée que tant qu’elle restait auprès de Roland, personne ne pourrait le blesser, était là, sans même un bleu sur le corps, dans la chambre du Château de Deepvalley tandis que lui était allongé sur le lit, inconscient.

Son corps ne présentait aucune réaction magique et ses organes internes étaient intacts. Par conséquent, Roland ne pouvait être sous la malédiction d’une Graine de Mort Paisible ou autre du même type ni avoir été atteint par une puissante capacité capable de détruire les organes. Ayesha elle-même, qui était pourtant bien renseignée, ne parvenait pas à identifier la capacité responsable de son état, encore moins à trouver le moyen d’y mettre fin.  

Les sorcières avaient tenté tous les moyens qu’elles connaissaient pour le réveiller, mais en vain. Roland ne répondait à aucun stimulus. S’il ne respirait pas, on aurait pu penser qu’il était mort.  

Rossignol comprenait enfin l’avertissement d’Ayesha : aucune protection n’est absolument sûre, surtout devant la capacité d’une sorcière.

Malheureusement, elle ne l’avait compris que trop tard.  

Soudain, des pas précipités résonnèrent dans le couloir. Foudre ouvrit la porte en coup de vent et s’écria :  

– « La Purifiée a repris conscience! »

Aussitôt, toutes les sorcières présentes dans la pièce s’animèrent.

– « Du calme », dit Wendy. « Nous ne gagnerions rien à aller la voir pour faire une enquête. Par ailleurs, nous ne savons pas exactement ce dont elle est capable… Par souci de sécurité, il est préférable que Mlles Rossignol et Ayesha se renseignent pour nous. »  

Toutes les sorcières, qui respectaient profondément Wendy, s’apaisèrent immédiatement en entendant sa voix calme.

Rossignol prit une profonde inspiration :

– « Je m’en occupe », dit-elle.

Ayant été une fugitive durant des années, Rossignol était pleinement consciente que son humeur négative ne changerait rien à la situation. Elle ne pouvait tout de même pas se dérober à ses responsabilités à cause d’une erreur de sa part, aussi importante fût-elle, surtout dans un moment pareil.

Elle devait absolument ramener Sa Majesté.

Ayesha soupira :

– « Allons-y. »  

En sortant de la pièce, Rossignol ne put s’empêcher de se retourner : Anna était assise, immobile sur le lit, les yeux rivés sur Roland, comme si plus rien d’autre n’existait.  

La jeune femme se sentit encore plus coupable.

Au première étage du château, on avait transformé une chambre de bonne en salle de détention spéciale. Des dizaines de Pierres du Châtiment Divin encastrées derrière les quatre murs formaient un trou noir, créant ainsi une cellule anti-capacité. Pour pouvoir utiliser son pouvoir, il fallait que la sorcière se place au centre de la pièce.

Rossignol savait pertinemment qui elle allait interroger.

La bataille terminée, la Première Armée avait trouvé trois Purifiées encore en vie dans une fosse de la troisième tranchée. L’une d’entre elles était sans force, une autre dans le coma et la troisième, quoique consciente, était toute tremblante. Selon cette dernière, dont le nom était Vanille, elles étaient cinq Purifiées cachées sous terre : Cléo, Isabella, Voile Noir, Marge et elle-même.

À en croire les renseignements fournis par Vanille, elle et Marge avaient pour unique tâche de repérer l’emplacement de Sa Majesté Roland et d’escorter discrètement les trois autres à travers le champ de bataille. Pour le reste, elles ne savaient pas grand-chose.

Cléo, Isabella et Voile Noir dépendaient directement du Pape et avaient le même statut qu’un Archevêque. Leurs capacités étant confidentielles au sein de la Sainte Église, peu de gens en connaissaient les détails. Voile Noir était morte, quant à Cléo, elle avait disparu. De ce fait, seule Isabella était en mesure de leur donner le moyen de rompre le sort.

Après examen, elles s’étaient aperçues que l’état d’Isabella était dû au fait qu’elle avait utilisé tout son pouvoir magique. La sorcière serait donc rétablie d’ici un ou deux jours. En outre, Ayesha avait trouvé dans sa main un sceau étrange qu’elle ne pouvait pas identifier étant donné que la Pierre Magique était totalement détruite.  

Contre toute attente, Isabella était resté cinq jours dans le coma, de ce fait, Rossignol s’inquiétait beaucoup.  Elle aurait voulu la réveiller de force, fut-ce avec un couteau, mais par égard pour Wendy, elle ne l’avait pas fait.  

– « Vous êtes certaine qu’elle est réveillée ? » Demanda Ayesha à Foudre.  

Celle-ci acquiesça :

– « Elle s’est réveillée toute seule. Comme c’était au tour de Cendres de la surveiller, Isabella s’est assise sur son lit et nous a dit que cette prison était inutile. »  

Le visage de Rossignol s’assombrit :

– « Serait-elle en train de nous défier ? »  

– « Nous allons bientôt le savoir », répondit calmement Ayesha.

Après avoir traversé trois rangs de gardes issus de la Première Armée, les deux sorcières entrèrent dans une petite pièce sans fenêtres. Au-dessus de leurs têtes était suspendue une torche de résine qui éclairait faiblement. À l’exception d’un lit de bois escamotable et d’une petite table, la pièce était vide.

Isabella était assise, immobile à la tête du lit. Ses cheveux bouclés, qui tombaient en cascade sur ses épaules, avaient des reflets d’un rouge doré à la flamme de la torche. Elle portait encore sa robe de Prêtre ensanglantée et la poussière séchée formait des taches jaunes sur son visage.

– « Il semblerait que Cléo ait totalement échoué », dit-elle avant même que Rossignol ne commence à l’interroger. « Finalement, elle n’est pas l’élue de Dieu. »

– « L’élue de Dieu ? » Répéta Rossignol avec un sourire froid.

– « Ne vous inquiétez pas, je vous dirai tout ce que je sais », dit Isabella, feignant d’ignorer le sarcasme. « Vous pourrez ensuite disposer de moi », ajoute-t-elle en soupirant.  

La sorcière disait la vérité. Rossignol en fut stupéfaite.

Mais il était un peu trop tard pour jouer la douceur.

– « Vous avez prétendu que cette prison ne peut pas vous retenir, n’est-ce pas ? Et pourtant, vous choisissez de vous soumettre ?

– « Je suis en mesure de désactiver les Pierres du Châtiment Divin. Vous pouvez mettre toutes les pierres que vous possédez autour de moi, elles seront sans effet », répondit lentement Isabella. « Étant donné que je ne peux ni traverser les murs ni m’échapper sous terre, c’est du gâchis que d’avoir préparé une pièce comme celle-ci spécialement pour moi »

– « Vous pouvez influencer la Pierre du Châtiment Divin ? » Demanda Ayesha, profondément surprise.  

– « Elles ressemblent, en effet, à des trous noirs sans fond… mais je peux leur faire perdre leur efficacité. »

Rossignol serra les poings :

– « C’est donc vous qui avez désactivé la pierre que portait Sa Majesté ? »  

– « À ce moment-là, je n’avais pas le choix. Cléo était complètement aveuglée, persuadée qu’entre elle et le Roi, il ne pouvait y avoir qu’un élu de Dieu. »

Ayesha posa sa main sur celle de Rossignol et demanda calmement :

– « Est-ce cette même Cléo qui a fait perdre conscience à Sa Majesté ? »

Isabella fronça les sourcils :

– « Il est inconscient ? Lors d’une Bataille des Âmes, le résultat, ici, est immédiat. Si Roland n’est pas immédiatement devenu Cléo, cela signifie qu’elle a échoué. S’il est encore inconscient, c’est sans doute parce qu’il ne peut pas assimiler l’énorme volume de souvenirs. »

Rossignol et Ayesha se regardèrent :

– « La Bataille des Âmes ? »  

– « Oui », répondit Isabella en baissant la voix. « C’est une bataille d’esprit et de volonté où le gagnant reçoit tout l’héritage du perdant. Depuis que Cléo est devenue sorcière, elle n’a encore jamais perdu une Bataille des Âmes. Elle a englouti d’innombrables personnes, des sorcières comme des mortels, et absorbé leurs souvenirs, leur savoir et leur longévité. Cléo a deux cents ans. » Isabella ferma tristement les yeux : « Jamais je n’aurais pensé qu’elle serait vaincue par un simple Prince. »