Le fait que Roland soit mort cinq fois l’avait amené à réaliser que la plus grande différence entre eux deux résidait dans leur propre personne. Les armes puissantes pourraient facilement se retourner contre lui et le bunker deviendrait la cible du Sceau de la Volonté Divine. De plus, selon toute probabilité, Cléo connaissait la recette de la poudre, si jamais elle était désespérée au point de périr avec lui ou si le toit s’effondrait littéralement, il n’en menait pas large, n’ayant plus beaucoup de vies devant lui.

S’il ne parvenait pas à contrôler la Purifiée, il perdrait à coup sûr cette bataille.  

« Que faire à présent ? » Se demandait Roland.

Une cage ? Une mine directionnelle ? Une grille électrique ? Une clôture laser ?

Roland rejetait une à une toutes les suggestions de son esprit, aucune n’étant vraiment en mesure de confiner Cléo. Si elle mourait, elle pouvait aussi bien réapparaître au même endroit que n’importe où sur le toit, rien n’étant défini. De toute évidence, son énergie avait touché le fond et le fait de créer constamment des consommables ne faisait que gaspiller ce qui lui restait de possibilités de ressusciter. Au prochain échec, il mourrait peut-être réellement.

« Je dois la priver de sa mobilité », pensa-t-il.  « Et garder le toit intact. Il faut aussi que je parvienne à lui faire perdre des centaines de vies en un seul coup. Est-ce seulement possible ? »

Roland prit une profonde inspiration :

– « Durant ces 200 ans, combien de fois avez-vous mené une bataille comme celle-ci ? »

– « Plus de mille, mais seuls quelques-uns de mes adversaires m’ont vraiment impressionnée », répondit Cléo. « Bien qu’ils eussent une volonté plus forte que la vôtre, ils finissaient toujours vaincus à force de mourir sans cesse. Seules quelques personnes choisissaient de continuer à endurer cette torture en dépit de l’issue désespérée. » Elle s’interrompit un instant : « Avez-vous l’intention de poursuivre dans la même voie ? »  

– « Il est clair que je n’ai pas beaucoup d’espoir, cependant, avant que tout se termine, je veux simplement satisfaire ma curiosité. Sur ces mille batailles, vous n’en avez jamais perdu une seule ? »

– « Si j’avais déjà perdu, je ne serais pas devant vous aujourd’hui. »

– « Comment cela se fait-il ? » Roland s’assit lentement pour préserver le peu d’énergie qui lui restait : « Personne n’a-t-il jamais pensé à créer de la lave ou un profond océan pour vous vaincre avant que vous n’atteigniez une telle puissance ? »

– « Cette idée n’est guère novatrice, mais malheureusement, personne ne peut le faire », répondit Cléo en s’avançant vers lui. « Le simple fait de changer de place consomme autant d’énergie que la mort. Il est illusoire de penser que nous pouvons changer le monde, Dieu seul peut le faire. »

– « Il n’y a pas de dieu dans mon monde », répondit-il lamentablement.

– « Alors, avez-vous décidé d’abandonner ? » Demanda la sorcière. Elle se pencha et lui releva le menton : « Dans ce cas, soumettez-vous et suivez-moi. »

– « Désolé », répondit Roland en souriant. Il la saisit par les épaules et la repoussa doucement : « Je voudrais réessayer. »

Cléo se releva. Elle s’apprêtait à sortir son arme lorsqu’elle s’aperçut que la distance qui la séparait du jeune homme ne cessait d’augmenter.

Son expression changea aussitôt lorsqu’elle réalisa qu’elle était incapable de se rapprocher de lui. Elle avait beau courir à pleine vitesse, elle glissait en arrière. La sorcière baissa les yeux : elle n’avait pas remarqué que le sol sous ses pieds était devenu aussi lisse qu’un miroir.

Même si le sol était incroyablement lisse, elle n’avançait pas, ce qui, selon elle, n’avait aucun sens. Quoi qu’elle puisse tenter, son corps demeurait relativement immobile, comme cloué au sol.

– « Il semblerait que vous ayez perdu votre incroyable mobilité », dit Roland. « Même un monstre comme vous saurait faire un pas en avant sans le soutien de la friction. »

– « Qu’avez-vous fait ? » Cléo se pencha, tenta de ralentir et de changer de direction en utilisant ses bras et ses jambes. Mais en vain.

– « J’ai quelque peu modifié le champ de bataille », répondit le Roi de Graycastle en s’asseyant plus confortablement. « De toute évidence, on n’utilise guère d’énergie pour transformer l’environnement si les changements ne sont pas trop importants Avez-vous déjà entendu parler de la loi de l’inertie ? »

– « L’inertie… ? »

– « Lorsqu’un objet n’est pas soumis à des forces externes, il reste immobile ou se déplace de façon linéaire. On l’appelle également la première loi de Newton. »

Tandis qu’il parlait, Roland toucha la rampe du toit et le sol changea du tout au tout, laissant apparaitre une armature en acier qui se mit à monter vers le ciel, suivi de la tôle qui enveloppait les structures noires. Bientôt, un monument reflétant une lumière froide et brillante apparut derrière le jeune homme. Chaque couche formant cette construction était uniformément divisée en dix unités rectangulaires qui lui donnaient l’apparence d’un Rubik’s cube allongé. Un tube d’acier noir sortait du centre de chacune de ces faces en direction de Cléo qui glissait toujours à une vitesse constante.

– « À mon tour maintenant. »

Cléo s’aperçut aussitôt que quelque chose n’allait pas. Elle leva sa longue épée et à nouveau, la lumière dorée apparut.

Mais cette fois, Roland fut plus rapide.

Les cent tubes d’acier se mirent à rugir simultanément. En un instant, la poudre brûlante porta la température de l’air a plus de mille degrés et sa rapide expansion généré par la haute pression poussa les obus hors des tubes en direction de la Purifiée à une vitesse de mille neuf cents mètres par seconde. Un bruit assourdissant retentit et le campus s’éclaira brusquement comme si le soleil venait de se lever du toit.

Une myriade d’étoile pour une centaine de canons!

Le ciel nocturne était tout éclairé de lucioles massivement rassemblées qui dessinaient une trace éblouissante et retombaient une à une en un mouvement croisé. Ces lucioles faisaient un bruit strident comme si elles annonçaient au monde leur arrivée.

Puis elles s’écrasèrent sur le sol.  

C’est alors que leur luminosité devint des dizaines de milliers de fois plus brillante tandis que leurs corps se transformaient en débris qui éclaboussaient tout autour… Un bruit d’explosion retentit, suivi d’une lumière éblouissante qui se combinait avec les échos d’un sifflement dans le ciel. Cependant, Roland n’entendit pas la sonate formée par le métal entrelacé et la poudre à canon, ses tympans ayant été affectés par le son aigu de la première flamme issue du monument noir. Un canon gigantesque rugissait en dessous de lui et l’air brûlant lui blessait les joues, cependant, il était ravi.

Vu du sommet du monument carré, le monde, à présent, était tout à fait différent.

Le toit entier, tel un échiquier, était divisé en parties égales et dans chaque bloc, des canons tiraient. Telle une feuille prise dans une tempête, Cléo était projeté de haut en bas par les courants d’air provoqués par les explosions. Sous le couvert de ces tirs, il était impossible de survivre. Les lucioles mortelles la suivaient et la dévoraient aussitôt qu’elle renaissait. Ne pouvant pas changer de direction étant donné l’absence de friction sur le sol, elle ne pouvait pas les éviter. Démunie, elle regardait la multitude de points lumineux suivis de leur longue traînée de feu atterrir devant elle.

– « C’est impossible! » Cria la sorcière, stupéfaite. « Vous ne pouvez pas créer à partir de rien quelque chose qui n’existe pas! Et cela n’existe pas! »

En dépit des tirs, le sol était propre comme un sous neuf, sans aucune trace d’égratignure : on aurait dit que ces lucioles qui volaient dans le ciel ne l’atteignaient pas.

– « C’est plus lisse qu’un miroir et plus fort que l’acier! Une telle chose ne saurait exister! » Hurlait la Purifiée, telle une hystérique.

Bien que Roland ne l’entendît pas, il pouvait deviner ce qu’elle ressentait. S’il n’avait pas le pouvoir de se changer en Superman, ce qu’il était capable de créer était tout à fait l’œuvre d’un surhomme.

Il avait modifié la structure atomique du sol.

Tels des soldats parfaitement alignés, les atomes étaient étroitement liés les uns aux autres par une puissante interaction : il en résultait une surface totalement lisse et d’une solidité incroyable face à laquelle le tétraèdre de carbone était aussi malléable que l’eau.

Cléo, qui ne pouvait ni fuir ni se cacher, était totalement prise au piège et propulsée de haut en bas par les coups de feu. Cela n’avait rien à voir avec la volonté mais résultait d’une grande disparité au niveau des connaissances.

Elle tenta à plusieurs reprises d’activer le Sceau de la Divine Volonté cependant, le tir continu ne lui laissait aucun répit. Peu à peu, elle perdit contenance.

– « Je vous en prie, laissez-moi partir! »

Sa voix résonnait dans le cœur de Roland.

Un instant plus tard, il entendit la supplication de Garcia : « Oseriez-vous tuer votre sœur ? »

Puis ce fut le reproche du Roi Wimbledon III : « Arrêtez, espèce de monstre! Vous assassinez un membre de votre famille! »

Mais Roland était imperturbable.

« Il est temps que tout cela se termine », répondit-il mentalement. « Je vaincrai les Diables en votre nom. Reposez en paix! »

– « Non, jamais je ne vous laisserai partir! »

Cléo poussa un cri et une lumière bleue éblouissante illumina le ciel nocturne.

Puis tout cet univers vola en éclats.