Tout cela était-il… un rêve ?
Roland cligna des yeux tandis qu’il marchait pas à pas vers la clôture pour regarder le panorama de l’école.
Le vaste terrain de jeu était désert. Sous le coucher de soleil orangé, le but solitaire reflétait son ombre allongée sur le sol alors qu’au loin se dressaient la bibliothèque et le dortoir qu’il connaissait bien, dont les fenêtres lumineuses semblaient avoir été peintes avec un rayon d’or.
Roland connaissait bien cet endroit pour y avoir étudié durant près de sept ans. De toute évidence, il se tenait sur le toit de l’un des bâtiments destinés à l’enseignement. Lorsqu’il avait du temps libre, c’était toujours là qu’il venait.
Le jeune homme y avait beaucoup de souvenirs, comme par exemple la porte de fer derrière lui qui, sous l’effet du vent chaud, s’ouvrait et se fermait constamment.
Lors de son arrivée dans cette école, cette antiquité était déjà en lambeaux et lorsqu’on la poussait légèrement, elle faisait un bruit continu comme si elle était à bout de souffle. Par contre, il suffisait de l’ouvrir et de la refermer pour qu’elle soit silencieuse. Roland avait toujours l’impression qu’elle allait s’effondrer à tout moment, cependant et même après l’obtention de son diplôme, elle était toujours là, immobile sur le toit.
« Mais si c’est un rêve, comment se fait-il que je ressemble au Prince ? » Pensa-t-il
Roland baissa la tête et regarda ses mains fines, puis toucha ses cheveux gris qui lui tombaient sur les épaules. Apparemment, ceux-ci n’avaient ni la même taille, ni la même forme que lorsqu’il était étudiant.
« Que s’est-il passé ? » Se demanda-t-il.
Le jeune homme fronça les sourcils. Au bout d’un moment, ses derniers souvenirs lui revinrent en mémoire : Rossignol le repoussait. Il y avait eu un éclair et la dernière chose dont il se rappelait était son visage paniqué et désespéré.
Soudain, une voix féminine discrète et intangible résonna près de lui :
– « Mais enfin… qui êtes-vous ? »
Effrayé, Roland se retourna brusquement et aperçut une femme aux longs cheveux blancs et aux yeux semblables à deux rubis qui s’avançait vers lui. Elle portait une longue robe rouge et blanche qui tombait jusqu’au sol avec, tout en bas, un motif brodé d’or qui, de toute évidence, n’était pas d’époque. À la couronne d’or qu’elle portait sur la tête, il était facile de deviner qui elle était.
– « Vous êtes une Purifiée de l’Église ? »
– « Oui, et également le quinzième Pape de la Cité Sainte », répondit-elle. « Je me nomme Cléo, mais vous, vous n’êtes certainement pas Roland Wimbledon. »
Roland fronça les sourcils :
– « C’est donc vous qui avez créé cet endroit ? »
Tout prenait enfin un sens. Le flash lumineux qu’il avait aperçu étant sans doute la capacité de Cléo dont Rossignol avait voulu le protéger. Quant au décor qu’il avait devant lui, c’était certainement une illusion, quelque chose comme un espace virtuel.
En ouvrant les yeux, le jeune homme avait cru être de retour dans le monde moderne.
Même si Roland savait qu’il y avait de grandes chances pour que l’actuelle Église fût issue de l’Union, il ne lui était jamais venu à l’esprit que le Pape puisse être une Purifiée. Le fait que des sorcières soient en mesure de transformer leurs semblables en monstres humains était ahurissant.
– « Non, c’est vous qui l’avez créé », répondit Cléo d’un ton enthousiaste en s’avançant lentement vers lui. « Il est profondément caché dans votre mémoire mais apparaît fréquemment dans votre vie quotidienne. Je serais curieuse de savoir où nous nous trouvons car nous savons tous deux que jamais le Prince Roland n’aurait vécu dans un endroit pareil. »
– « Pourquoi devrais-je vous répondre ? » Demanda le jeune homme en se dirigeant vers l’autre côté de la clôture afin de garder ses distances.
Que faire pour se débarrasser de l’illusion ? De nombreuses idées se bousculaient dans son esprit. Sauter ? Généralement, lorsque l’on faisait un cauchemar et que l’on sautait d’une hauteur, le réveil était immédiat.
Cléo sourit et répondit doucement :
– « Il est évident que vous ne me direz rien. Mais dans peu de temps, je saurai qui vous êtes, d’où vous venez et pourquoi vous êtes devenu le Prince Roland. »
Pouvait-elle deviner ?
– « Vous voulez dire que vous avez l’intention de lire dans ma mémoire ? » Demanda Roland d’un ton glacial : « Ne faites pas la maligne. »
Soudain, Cléo s’arrêta de marcher :
– « Je vais vous dire une chose : j’ai pour habitude d’expliquer à tous les gens piégés dans l’illusion les effets, les règles et l’impact de mes capacités. Mais à vous, je ne dirai rien. »
– « Comment ? »
Roland avait à peine posé la question que déjà, Cléo était devant lui. Il ressentit une douleur soudaine et réalisa qu’il n’entendait plus rien.
Il se mit à trembler et, baissant la tête, s’aperçut qu’un couteau était planté dans sa poitrine. Le jeune Roi voulut crier, mais c’était impossible. Sa poitrine était complètement détruite et l’ouverture et la fermeture de sa cage thoracique n’envoyaient plus un souffle d’air dans sa gorge.
Telle un courant électrique, une forte douleur se répandit dans tout son corps. Roland aurait préféré mourir immédiatement que de souffrir une seconde de plus.
– « Je déteste tout ce qui prête à confusion. »
À l’autre bout du couteau se trouvait le visage calme de Cléo dont la moitié du corps étaient trempée du sang de Roland.
En raison de l’hypoxie et de la syncope auto-protectrice de son cerveau, il perdit aussitôt connaissance.
Mais l’instant d’après, Roland se retrouva à nouveau près de la clôture, le corps intact. Quant à Cléo, elle se tenait toujours à bonne distance de lui : on aurait dit qu’elle n’avait pas quitté sa place.
Le jeune homme prit une profonde inspiration :
« Que s’est-il passé ? Etait-ce encore une illusion ? »
Il porta les mains à sa poitrine : sa respiration était haletante et l’endroit où, tout à l’heure, il avait été blessé lui faisait encore mal. Il baissa les yeux et vit la trace d’une mare de sang sur le sol.
« Bon sang! C’était donc vrai! » Pensa Roland.
Surpris, il regarda le couteau que Cléo tenait à la main, certain qu’auparavant, celui-ci n’existait pas.
« Aurait-elle le pouvoir de créer quelque chose à partir de rien ? »
Au même moment, la sorcière se précipita à nouveau vers lui à une vitesse telle que Roland pouvait difficilement l’apercevoir.
Instinctivement, il se retourna pour tenter d’esquiver mais il avait à peine fait un pas qu’il sentit une douleur cuisante dans son abdomen.
À nouveau, Roland expérimenta la mort car Cléo brandit son long couteau pour le couper en deux. Cette fois, la douleur dura plus longtemps, il s’écroula dans son propre sang et ses entrailles et se mit à crier si misérablement que même sa propre voix le terrifiait.
Après sa seconde résurrection, Roland réalisa quelque chose.
« Ni le fait de sauter dans le vide ni même la souffrance ne peuvent briser ce cauchemar. On dirait une arène cyclique.
Bon sang! Comment y échapper ? Et si je battais cette sorcière aux cheveux blancs ? »
« Si Cléo peut créer des armes à partir de rien, qu’en est-il de moi ? »
Roland serra les dents et tenta de se concentrer : « Si seulement j’avais eu un bouclier, je serais en mesure de l’affronter. »
Il y eut un éclair de lumière bleue et un bouclier anti-émeute transparent apparut dans la main de Roland. Il avait réussi à parer son assaut mais le bouclier portait une profonde entaille laissée par le couteau. Pire encore, Roland avait été littéralement catapulté sous l’effet du puissant impact.
« C’est donc ainsi que cela fonctionne », pensa-t-il.
Il fit une roulade sur le côté, lâche le bouclier et invoqua un fusil automatique mais le temps qu’il le lève pour tirer, Cléo avait disparu.
« Que se passe-t-il ? » pensa Roland.
– « Je suis ici », dit la voix de la sorcière.
Il y eut un éclair de lumière blanche et ses bras tombèrent sur le sol ainsi que le fusil.