– « Expliquez notre objectif à Roland Wimbledon. Dites-lui la vérité au sujet des Batailles de la Divine Volonté que nous avons menées durant quatre cents ans et confiez-lui le secret de l’Église… je veux dire le secret de l’Union des Sorcières », répondit sans détour Isabella.  

Depuis que Cléo était devenue Pape, toutes les Purifiées qui appartenaient au Temple Central Secret pouvaient venir dans cette bibliothèque s’enquérir de la vérité au sujet des Batailles de la Divine Volonté.

– « Et s’il ne nous croit pas ? »

– « Il nous croira! Conduisez-le à la Salle des Illusions de l’Église du Reflet et il aura la preuve de tout ce que nous avançons. »  

– « À moins qu’il ne s’imagine que c’est un truc de sorcières. Etes-vous certaine que lorsqu’il connaîtra la vérité, il consacrera tout son temps à combattre les Diables ? » Demanda calmement Cléo.

Surprise, Isabella ne trouva rien à répondre.

« Toute deux connaissons parfaitement ces nobles. Tout ce qui les intéresse est d’étendre leurs domaines, augmenter leurs richesses et profiter de la vie. Peut-être pousseront ils leurs gens à combattre les Diables lorsqu’ils verront la Sanglante mais comment pouvez-vous être certaine que ce dandy de Prince se battra jusqu’à la mort alors que tout semble indiquer que la cause est perdue d’avance ? »

Cléo prit la main d’Isabella et l’entraîna vers la table ronde :

« Isabella, n’oubliez pas que cet homme est un simple mortel, fragile, faible et éphémère. Avec le temps, sa volonté disparaîtra. Quand bien même il nous croirait et accepterait de se battre jusqu’à la mort aux côtés de l’Union contre les Diables, nous n’avons aucune certitude que son peuple et ses successeurs le suivront. Seront-ils prêts à abandonner leur confort et à mettre en commun toutes les ressources du royaume pour mener une guerre interminable et brutale ? Seule l’Église est en mesure de le faire car la foi de nos croyant en Dieu et en nous est puissante. »  

– « Nous devrions au moins tenter d’envoyer un messager pour lui parler. »

Cléo secoua la tête :

– « En aucun cas les négociations ne sauraient résoudre un problème comme celui-ci. Le fait d’”avaler” Roland pourrait certes entraîner de grands dommages pour Hermès mais si nous cédons devant un Seigneur laïque, la foi du peuple en l’Église sera ébranlée et la Cité Sainte détruite. Roland ne nous épargnera pas, ni nous ni l’Armée du Châtiment Divin car il entend stabiliser sa propre organisation de sorcières. En termes de résultats, ces deux solutions ne sont guère différentes aussi pourquoi voulez-vous mettre tous vos espoirs dans un mortel ?

Isabella hésita.

Elle voyait parfaitement où Cléo voulait en venir : le fait d’affronter Roland ne mènerait sans doute qu’à un scénario où tout le monde est perdant et se rendre à lui ne l’empêcherait sans doute pas de chercher à venger ses sorcières. Si jamais cela se produisait, l’Église paierait un lourd tribut et de toute évidence, les choses reviendraient à leur point de départ.

« Si la connaissance des armes n’est pas réservée à un mortel, jamais un mortel ne pourra avoir un corps semblable à celui d’une sorcière », poursuivit Cléo. « En gagnant la Bataille des Âmes, je peux obtenir à la fois le savoir et la longévité de mes adversaires. Je pourrai ainsi rester énergique et déterminée toute ma vie et serai en mesure d’empêcher que nos efforts soient anéantis par les générations futures, quelle que soit la durée de la Bataille de la Divine Volonté. Au cours des deux cent dernières années, j’ai vu trop de gens talentueux se faire consumer par le temps. Ils avaient beau être braves et brillants lorsqu’ils étaient jeunes, tous ont fini en poussière. Rien que pour cela, je suis bien au-dessus de lui. »

– « Mais… »

– « De plus, Isabella, je suis l’élue des dieux. Quel que soit mon adversaire, jamais je n’ai perdu une bataille. Les milliers d’âmes que j’ai absorbées pourraient en témoigner », dit Cléo en soulignant un fait que nul ne pouvait contredire.

Isabella poussa un long soupir :

Elle était vraiment convaincue.

– « Dans ce cas », demanda-t-elle, « quel est votre plan ? Si nous ne parvenons pas à l’approcher suffisamment, je ne serai pas en mesure d’éliminer l’effet de la Pierre du Châtiment Divin. »

– « N’oublie pas les Sceaux de haut niveau que nous ont laissé l’Union », répondit Cléo avec un petit rire.

– « Personne ne peut utiliser la Volonté Divine… et “l’Infini” est un Sceau à usage unique. Êtes-vous certaine de vouloir l’utiliser dans ce but ? » Demanda Isabella en fronçant les sourcils.

– « En ce qui concerne Roland, les rôles seront inversés. Ce n’est pas le gâcher que de l’utiliser sur des gens ordinaires ou des Diables, à partir du moment où cela nous permet de remporter la victoire », répondit Cléo sur un ton résolu.

– « je vais épuiser tout mon pouvoir magique. C’est plutôt désagréable comme sensation », dit Isabella en serrant les lèvres.

Cléo hocha la tête :

– « Et vous perdrez connaissance, mais cela ne vous fera pas de mal. Une fois que j’aurai approché Roland Wimbledon, la guerre sera très vite terminée. »

– « Si jamais vous échouez, il en sera fait de nous. »

– « Je ne perds jamais. Lorsque vous vous réveillerez, vous serez allongée dans votre chambre à la cathédrale. »

Sur ce, Cléo servit à Isabella une tasse de thé rouge et la réconforta : « Je sais très bien que vous êtes encore hésitante mais n’oubliez pas que c’est moi qui vous ai formée, choisie pour devenir une Purifiée au service de Sa Sainteté O’Brien et qui vous ai enseigné le combat. Vous connaissez ma force et ma détermination : je suis mieux placée que quiconque pour vaincre les Diables et d’une manière générale, pour guider les êtres humains dans la prochaine Bataille de la Divine Volonté. »

« Espérons-le », dit Isabella en prenant une gorgée de thé, « mais selon les livres, “Infini” n’est pas vraiment illimité et lorsque vous prenez la forme d’une âme, le pouvoir magique n’est efficace que durant un court laps de temps. Si jamais vous échouez, vous n’aurez pas de seconde chance. »  

– « Aussi, la première chose à faire est donc de le trouver », répondit Cléo avec un sourire.

– « Chargement terminé! »

– « Angle 22, inclinaison 13! Feu! »

L’ordre avait à peine été donné que déjà, des flamme orange vif jaillirent du Canon de Forteresse de 152 mm situé derrière la ligne de front et un fort flux d’air souleva la poussière et la terre. Bien qu’il eut les oreilles bouchées, Roland entendit le puissant rugissement du canon.

Les soldats se dressèrent sur la pointe des pieds et tendirent le cou en direction des montagnes sans toutefois repérer le point de chute.  

– « Ici Foudre! L’obus a atterri… presque à la moitié du versant »

– « Bien! Marquez l’endroit », répondit Roland.

Il dirigeait un exercice de tir à longue portée dans le but de modifier deux nouvelles armes mortelles et avait attendu que tous les habitants de la Crête du Vent Glacé soient partis pour commencer. Ces canons devaient permettre d’être à la hauteur des autres en terme de portée, sans toutefois coûter plus cher, aussi les artilleurs devraient-ils tirer avant même d’avoir localisé l’ennemi, inaugurant ainsi le tir au-delà de la portée visuelle.   

Comme Roland savait pertinemment qu’il ne pourrait pas compter sur les soldats pour corriger l’angle du canon en fonction de la position de la cible, il avait donc choisi d’utiliser cette méthode de base modifiée. Lorsque l’obus atterrissait sur le versant de la montagne, il notait le point de chute et les angles de tir. Grâce à ces notes, lorsque l’ennemi entrerait dans le champ de tir du canon, Foudre communiquerait le numéro de la fiche correspondante aux artilleurs et ils n’auraient alors plus qu’à ajuster l’angle de tir.  

Ces deux Canons de Forteresse suffiraient à porter un coup cuisant à l’ennemi lorsque celui-ci descendrait la montagne.