– « Si ses actes n’ont pas entraîné de dommages, la punition consiste en une suspension sans solde et quinze jours de détention. Dans le cas contraire, je suis tenu de licencier le soldat et de le faire comparaître devant vous, Votre Majesté », répondit aussitôt Hache-de-Fer.  

– « C’est exact, vous avez bien retenu. Il ne vous reste donc plus qu’à mettre ces préceptes en application. »

Comme il n’existait pas encore de tribunal militaire, c’était Roland lui-même qui jugeait les graves problèmes de conduite au sein de l’armée. Cependant, le comportement de Danny n’était pas suffisamment grave pour le soumettre à un procès. « Étant donné que la prochaine grande guerre est imminente, nous allons le condamner à cinq jours de détention et le rapatrier à la Cité Sans Hiver où il servira le reste du temps. »

– « Bien, votre Majesté. »

– « Et ne vous souciez pas des éventuelles réactions des autres soldats. En agissant ainsi, vous leur donnerez un excellent exemple de ce qu’il adviendra si quiconque enfreint les règles, ceci indépendamment de leur contribution au sein de l’armée. » Roland s’interrompit un court instant avant de préciser : « Il va de soi que nous n’allons pas pour autant oublier ses exploits. Si quelqu’un vous pose la question, dites-lui que j’en fais mon affaire. »

Roland savait pertinemment qu’il était partiellement responsable de cet écart de conduite. Il avait certes créé une unité de cinquante tireurs d’élite talentueux et expérimentés, cependant il ne les avait pas séparés du reste des fusiliers. La seule chose qu’il leur avait demandé était de servir de flancs et de tirer à longue distance dans le but d’arrêter la progression des ennemis qui tenteraient de pénétrer furtivement dans le bunker réservé aux mitrailleuses depuis les zones retirées.

Danny, cependant, s’était comporté comme un sniper professionnel. Il avait choisi sa position et s’était fié à son propre jugement pour tirer et éliminer les ennemis qui lui semblaient les plus menaçants. Roland avait bien envisagé former une équipe de snipers, cependant, une telle unité exigeait davantage en matière de fusils, de munitions et de personnel. Par ailleurs, il devrait garder un œil sur ces soldats afin de s’assurer que ceux-ci s’impliquent réellement durant les combats.  

La guerre terminée, il apporterait sans doute quelques améliorations à l’unité de tireurs de précision.

– « Pendant que j’y pense, Votre Majesté, les commandants de l’Église que nous avons capturés ont divulgué certaines informations particulières », dit Hache-de-Fer en choisissant ses mots. « C’est au sujet de l’Armée du Châtiment Divin. »

– « De quoi s’agit-il ? »

« D’après eux, ces guerriers ne sont pas capables de prendre l’initiative de se battre. Ils n’accompliront la plus élémentaire des missions que si un commandant leur ordonne de le faire. »

Roland se retourna :

– « Vraiment ? Rien d’autre ? »

S’il avait eu l’audace de conduire ses troupes au nord et provoquer l’Église, c’était justement parce que Cendres lui en avait déjà parlé. Si les Guerriers du Châtiment Divin avaient été en mesure de se battre de manière indépendante, il aurait suffi de quelques-uns pour provoquer des émeutes à travers tout le royaume et lui causer des problèmes.

– « Une fois nommé, le commandant, qui peut être soit une personne ordinaire soit une purifiée, ne peut plus être remplacé », dit Hache-de-Fer en rassemblant ses souvenirs.  « Chaque nouveau membre de l’Armée du Châtiment Divin doit assister à une cérémonie au cours de laquelle il fait serment d’allégeance. Un de nos captifs a reconnu y avoir un jour assisté. »

Aussitôt, Roland ordonna :

– « Conduisez-moi à eux et allez chercher Ayesha. »

Roland descendit dans la prison pour rencontrer les quatre captifs.

Si, en surface, Deepvalley était une ville plutôt fraiche et agréable, les soubassements en revanche étaient glacés et humides. Les yeux bandés, tous les quatre avaient les mains liées derrière le dos. Leurs vêtements étaient trempés et bien qu’en apparence ils n’eussent pas de blessure conséquente, tous frissonnaient. De toute évidence, Hache-de-Fer avait utilisé des techniques d’interrogatoire spéciales devant lesquelles, selon ses dires, peu de gens pouvait tenir une journée.  

Mais les croyants n’étaient pas des prisonniers ordinaires. Leur foi ardente les rendait extrêmement forts.

– « Seuls les deux de droite sont disposés à parler », chuchota le Commandant. « L’un d’eux est le Juge en Chef de l’Église et l’autre le Prêtre de la Cité Sainte. Quant aux deux autres, ils refusent de nous dire quoi que ce soit. Bien entendu, ils ne savent pas que leurs compagnons ont déjà avoué. »

Roland, qui ne connaissait pas grand-chose à l’Eglise ni à sa hiérarchie, demanda :

– « Lequel d’entre eux a assisté à la cérémonie au cours de laquelle l’Armée du Châtiment Divin prête serment d’allégeance ? Conduisez-le à la salle d’interrogatoire. »

Aussitôt, le geôlier traîna le Prêtre dans une petite pièce voisine où Hache-de-Fer versa de l’eau froide sur sa tête pour le sortir de sa torpeur :

– « Farat », dit-il : « j’ai quelques questions à vous poser. »

L’homme se mit à trembler intensément :

– « Je vous ai dit tout ce que je savais. Je vous en prie, tuez-moi à présent. »

La voix du Prêtre était si faible qu’on aurait dit qu’il souffrait terriblement.

– « Parlez-moi de la cérémonie relative à l’Armée du Châtiment Divin. »

Pour toute réponse, Farat secoua la tête.

Hache-de-Fer se pencha vers lui et lui dit à l’oreille :

– « Écoutez, c’est votre dernier interrogatoire. Lorsque vous aurez répondu à toutes nos questions, je vous relâcherai. »  

L’homme resta un long moment silencieux puis, prenant à nouveau la parole, expliqua :

– « La cérémonie… a généralement lieu dans… la Tour de Babel. Seul le pape, les commandants et… les Guerriers du Châtiment Divin sont autorisés à y pénétrer… Durant le déroulement, tout le monde… doit garder le silence total, sans quoi… la cérémonie échouerait. »

– « Pourquoi donc ? » Demanda Roland.

– « Parce que… c’est au son que les nouveaux guerriers reconnaissent leurs commandants. »

– « Vous voulez dire au premier son qu’ils entendent ? »

– « Il peut y en avoir plusieurs », répondit Farat, le souffle court. « Les commandants choisis doivent ensuite lire des hymnes tous ensemble et durant ce laps de temps, les Guerriers du Châtiment Divin les reconnaissent tous. »

– « Et vous ? Etes-vous commandant ? »

– « Je dirige… une troupe… de dix Guerriers du Châtiment Divin. »

– « Dix hommes qui suivent également les ordres de votre supérieur, n’est-ce pas ? »

Le prêtre hocha la tête :

– « Tous les Guerriers du Châtiment Divin sont tenus d’obéir aux ordres du Souverain Pontife. »

« Alors c’est ainsi qu’ils fonctionnent », pensa Roland.

Il s’était imaginé que cette armée inconsciente était dirigée par télépathie ou via les ondes cérébrales. Selon lui, le fait de les diriger par les sons était une méthode extrêmement complexe et inefficace car non seulement les ondes sonores diminuaient facilement mais il y avait de grandes chances d’émettre des ordres contradictoires. Que l’un ou l’autre de ces problèmes vienne à se produire et ce serait la confusion au sein de l’Armée du Châtiment Divin.

Soudain, Ayesha intervint :

– « Vous avez dit qu’une fois qu’un commandant était nommé, il ne pouvait plus être remplacé. Que se passerait-il si les Guerriers perdaient tous leurs commandants ? »

Voyant que c’était une dame qui l’interrogeait, Farat demeura stupéfait.

– « Répondez! » Ordonna Hache-de-Fer en prenant un nouveau seau d’eau.

– « Je n’en ai aucune idée. »

– « Vous mentez », dit Roland, aussitôt averti par Rossignol. « Si vous ne voulez pas rester dans ce cachot, vous feriez mieux de ne pas vous moquer de nous. »

Le prêtre serra les dents :

– « Tout ce que je sais, c’est qu’ils s’en vont dans les Terres Barbares. »

– « Les Terres barbares ? » Répéta Ayesha, surprise.

– « Ce n’est qu’une rumeur… Habituellement, quand cela se produit, d’autres guerriers les arrêtent, mais… » Il eut un instant d’hésitation. « On raconte qu’il y a de nombreuses années, certains Guerriers du Châtiment Divin qui n’ont pas été correctement dirigés ont fui vers les Terres Barbares et n’en sont jamais revenu. »

– « Connaissez-vous le procédé de conversion des Guerriers du Châtiment Divin ? »

– « Eh bien… Seul le Souverain Pontife est habilité à diriger la cérémonie… »

– « Mais lorsque le Pape prend sa retraite, comment transmet-il son autorité à contrôler l’Armée du Châtiment Divin ? »

– « Je… Je l’ignore… », répondit le Prêtre, le front soudain couvert de sueur.

– « Comment l’Église a-t-elle été fondée il y a quatre cents ans ? Le nom d’Alice vous dit-il quelque chose ? Avez-vous entendu parler de l’Union et de Taquila ? »

Devant les questions d’Ayesha, le Prêtre semblait perdu.

– « Inutile d’insister, il ne sait rien », dit Roland après avoir reçu confirmation par Rossignol. « Partons. »

Tous trois étaient sur le point de quitter la prison lorsqu’Hache-de-Fer les rattrapa :  

– « Votre Majesté, que dois-je faire de ces prisonniers ? »  

– « Respectez votre promesse. »