Tandis que la canonnière s’immobilisait, Roland sortit de sa cabine, fasciné par ce qu’il voyait.

De chaque côté de la ville s’étendaient des rochers qui formaient une sorte de dôme. Les rayons du soleil descendaient par un espace ouvert large comme cinq doigt : on aurait dit un mur de lumière dorée.  

D’innombrables plantes rampantes, telles de longs cheveux verts, poussaient parmi les rochers. Certaines descendaient jusqu’au sol, ce qui incitait les gens à vouloir y grimper.

En voyant les rayons du soleil traverser les brindilles, le feuillage dense se refléter sur le ruisseau, Roland eut l’impression de se trouver dans une forêt vierge.  Cependant, l’endroit n’était pas totalement désert. Le long de la Rivière Silencieuse se dressaient toutes sortes de bâtiments construits de main d’homme et les habitants de la ville faisaient des allers et retours dans la brousse qui leur arrivait à la taille. Au loin, on apercevait des traînées de fumée. Dans cet environnement, tout était en parfaite harmonie avec la nature.

Peu ensoleillée, cette ville était légèrement plus fraîche qu’ailleurs. De ce fait, les plantes qui y poussaient avaient des tons beaucoup plus profonds. Deepvalley* portait bien son nom.

Roland et les sorcières traversèrent la jetée couverte de mousse. Sur le quai, un groupe de personnes les attendait depuis un bon moment. En première ligne se trouvaient bien sûr Hache-de-Fer, le Duc Calvin Kant et sa fille Edith.

– « Ravie de vous revoir, Votre Majesté », dit Edith avec une révérence. « Et félicitations pour avoir emporté la première bataille. »

– « J’ai, en effet, appris la nouvelle en chemin. Vous avez fait du bon travail », répondit Roland avec un signe de tête approbateur. « Hache-de-Fer m’a dit que non seulement vous aviez assuré le transport de nourriture et de munitions, mais également réussi à leurrer les ennemis. »

– « C’était le devoir de la famille Kant », répondit-elle en souriant. « Les commerçants de la Région Nord sont heureux de vous servir. »

« Il y a un an, cette ville appartenait encore à Timothy », pensa Roland.

Si les commerçants des trois villes, qui n’avaient probablement jamais entendu parler du nouveau Roi, étaient disposés à offrir leurs services et à l’aider dans la réalisation de son projet, c’était uniquement grâce à la publicité d’Edith et de sa prodigieuse influence sur la Région du Nord.

Après quelques mots d’encouragement, Roland se tourna vers Hache-de-Fer :

– « Avez-vous recensé les pertes ?»

– « Oui votre Majesté », répondit en exécutant un salut militaire. « Le rapport détaillé a été envoyé à votre bureau. »

– « Mon…bureau ? »

– « J’ai discuté de cette question avec le Comte Haier et nous avons convenu que durant votre séjour à Deepvalley, son château serait votre palais. J’ai arrangé le bureau à l’image de celui du District Frontalier. Melle Maggie m’ayant dit que vous aimiez les pièces lumineuses, j’ai fait abattre un mur côté soleil et l’ai remplacé par une immense baie vitrée. »

– « Vraiment ? » S’exclama Roland, vivement intéressé. « Mais où va résider le Comte ? »

– « Afin de ne pas vous perturber dans votre travail, il vivra dans son manoir en banlieue. » La Perle de la Région du Nord marqua une pause : « Voulez-vous que je le convoque ? »

– « Ce n’est pas nécessaire », répondit Roland en agitant la main. « Je suppose qu’il ne s’intéresse guère à la politique. Allons au château à présent. »  

– « Très bien! Suivez-moi je vous prie. »

« Est-ce là le merveilleux effet du pouvoir ? » Se dit Roland. « C’est plutôt agréable d’en avoir un aperçu de temps à autre. » 

Sitôt qu’il entra dans l’étude, Roland eut l’impression d’être de retour à la Cité Sans Hiver.  Le grand bureau en acajou, la table basse et le fauteuil inclinable, tout était exactement comme dans son château du District Frontalier. Seuls différaient les paysages aperçus par la baie vitrée. Au lieu de la sombre Chaîne des Montagnes Infranchissables, il avait vue sur une verte vallée.

Il se demanda ce que le Comte Haier penserait de la rénovation après son départ.

Roland retourna s’assoir à son bureau et entreprit la lecture du rapport.

Il avait été informé du déroulement de la bataille, cependant, lorsqu’il eut pris connaissance des pertes subies par l’Église, le jeune Roi se sentit transporté.

Cette victoire méritait que l’on s’en souvienne!

Son inquiétude au sujet de l’Armée du Châtiment Divin se dissipa lorsqu’il vit le chiffre de cent cinquante-six soldats tués. Apparemment, ces machines à tuer puissantes et intrépides étaient loin d’être invincibles. La chair et le sang ne pourraient jamais rivaliser avec les balles et le feu. D’après Roland, ces guerriers ne devaient pas être nombreux dans la mesure où le processus de conversion nécessitait le sang d’une sorcière. Ayesha estimait que tant que la Lune Sanglante ne serait pas arrivée, cette armée ne devait pas compter plus de mille cinq cents hommes.

Dix pourcents de pertes était déjà suffisant pour affecter l’Église.

Outre les Guerriers du Châtiment Divin, le rapport recensait plus de trois cent soldats de l’Armées des Juges tués au combat, plus de vingt blessés graves et quatre commandants capturés. Cependant, bien que les Juges fussent pour la plupart de puissants et habiles combattants, Roland ne les prenait pas au sérieux car dans le fond, ils ne différaient guère des chevaliers.

Ils avaient eu une chance inouïe de ne pas tomber sur une Purifiée, car elle leur aurait donné beaucoup de mal. Si cela avait été le cas, n’ayant avec eux que Sylvie et Ivy, ils n’auraient pas gagné si facilement. Sylvie avait cependant recommandé aux mitrailleurs de s’attaquer spécifiquement aux Purifiées le cas échéant.

– « Qu’en est-il des victimes de la Première Armée ? » Demanda Roland en repliant le document.

– « Deux hommes ont été tués et vingt et un grièvement blessés », répondit doucement Hache-de-Fer. « Tous ont été victimes d’une lance tirée à bout portant par les Guerriers du Châtiment Divin. Mais à l’heure qu’il est, les blessés sont rétablis et ont repris leur service. »

Sitôt qu’elle avait su que l’Église attaquait, Foudre avait emmené Naela à Deepvalley car personne ne pouvait prodiguer de meilleurs soins aux soldats que Mlle Ange.  

Roland frappa sur le bureau et ordonna :

– « Faites préparer un bateau pour rapatrier les corps des soldats tués à la Cité Sans Hiver où ils seront inhumés. »

– « À vos ordres, Votre Majesté », répondit Hache-de-Fer.  « Que comptez-vous faire pour Danny, le Chef de la quatrième unité de Tireurs d’Élite ? »

– « Ce vieux chasseur qui a tiré sur cinq membres de l’Armée du Châtiment Divin ? » Roland prit sa tasse et goûta le thé : il avait exactement le même goût que le meilleur de ceux qu’il avait pu boire au palais. « Qu’en pensez-vous ? »

Durant le sauvetage, Brian s’était aperçu que les blessures de Danny et de son protecteur semblaient incompatibles avec les postes qu’ils occupaient. Le soir même, grâce au Sceau d’Écoute, Roland en avait été averti. À ce moment-là, la guerre venait de prendre fin. Considérant l’état critique dans lequel se trouvait le protecteur et le fait que la Première Armée était toute à la joie de la victoire, Roland avait simplement demandé à Hache-de-Fer de soigner les blessés. Cependant, maintenant qu’ils étaient arrivés à Deepvalley, il était temps d’aborder la question.

– « Même si Danny a outrepassé les ordres et quitté son poste sans permission, il a grandement contribué à la victoire en abattant personnellement cinq guerriers du Châtiment Divin.  Avec un tel exploit, il mériterait de devenir une célébrité au sein de la Première Armée, aussi, je considère pour ma part que ses mérites compensent largement sa faute », répondit calmement le Commandant. « À Ironsand City, un combattant comme lui aurait été récompensé par son maître, aussi… »

– « Mais la Première Armée n’est pas de ces armées à l’ancienne qui récompensaient leurs soldats en fonction du nombre d’ennemis tués », coupa Roland. « Vous souvenez-vous de ce que je vous ai enseigné lors de la première séance d’entraînement ? »

– « La discipline, Votre Majesté », répondit Hache-de-Fer en ravalant sa salive.

– « En effet, seule une armée disciplinée peut devenir invincible. » Roland se leva et se dirigea vers la porte-fenêtre : « J’espère que vous ne perdez pas de vue ceci. À présent, dites-moi, qu’êtes-vous supposé faire de lui ? »

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NDT : « Deepvalley » signifie textuellement « Vallée Profonde ». Je ne l’ai pas traduit car cela aurait alourdi le texte. Il ne faut pas oublier que les chinois s’expriment beaucoup en images, ce qui, traduit en français, n’est pas toujours évident à retranscrire si l’on veut conserver la fluidité de la lecture.