L’effondrement du régime de Timothy avait emporté avec lui le nom de Cité du Roi donné à la capitale. L’Astrologue surnommé « l’Etoile Rayonnante » s’attendait à ce qu’il s’ensuive des bouleversements mais contre toute attente, rien n’avait vraiment changé en ville. Les gens étaient toujours pris dans leur routine quotidienne : les fermiers, à la périphérie de la ville, labouraient leurs terres, les tailleurs de pierre réparaient les remparts endommagés et les forgerons dans leurs ateliers martelaient les armures. Les patrouilleurs continuaient à jouer au chat et à la souris avec les réfugiés des rues sombres. De toute évidence, cette ville était encore l’une des plus prospères du royaume.  

Bien entendu, certains changements étaient inévitables. Les gens du peuple avaient quitté la capitale pour la Région de l’Ouest dans l’espoir d’y trouver de nouvelles opportunités. L’Atelier d’alchimie, vieux rival de l’Association d’Astrologie, était parti lui aussi et quelques nobles, qui, jusqu’ici, étaient restés inconnus du public, se manifestaient au palais pour se disputer les terres et le pouvoir laissé par les anciennes familles. Les sages étaient totalement oubliés, plus personne ne venant s’enquérir de l’avenir du royaume ni leur demander de prédiction.

Si les fonctionnaires mis en place par Sa Majesté ne leur fournissaient pas régulièrement de l’argent et de la nourriture, les apprentis de la Station Astrologique auraient fui depuis longtemps.

Heureusement, ils maintenaient le fonctionnement de la Station et tant que celle-ci existerait, la mission des astrologues, « l’Éternelle Observation des Étoiles », ne serait pas suspendue.

Le soleil descendait au cœur des montagnes à l’ouest et le ciel couleur de résine du Cambodge* devint rouge puis violet. À la nuit tombée, les astrologues commencèrent leur travail.

On alluma une lampe à huile protégée du vent sur une estrade et des apprentis sortirent de l’entrepôt le matériel d’observation envoyé par Sa Majesté. Ils devaient se montrer très prudent en manipulant ces objets car le moindre dommage serait puni de retenue sur leur salaire et de coups de fouets.  

Au départ, lorsque l’Astrologue en Chef avait reçu ces instruments dans leur coffret de bois, il n’avait pas pris la chose très au sérieux.  

Certes, Sa Majesté avait promis à l’Association de leur fournir du matériel d’observation plus avancé, cependant, la fabrication de tels instruments relevait d’un processus extrêmement complexe.  En général, il fallait environ un an pour sélectionner les matériaux et fabriquer un instrument d’observation. Par ailleurs, cela coûtait environ cent Royals d’or.

S’il existait des similitudes avec les arts savants, la caractéristique la plus évidente serait incontestablement le coût financier. Les astrologues, en effet, n’étaient pas en mesure, comme les alchimistes, de créer des produits pouvant gagner en popularité grâce au soutien des riches marchands. C’est du reste pourquoi, dans un pays, seule la capitale pouvait se permettre de faire construire un observatoire. À sa connaissance, deux ans auparavant, Border Town était encore un endroit pauvre. Quand bien même la Région de l’Ouest aurait pillé d’importantes sommes d’argent au cours des guerres qu’elle avait menées, cela ne signifiait pas qu’elle soit disposée à financer le travail de lointains astrologues.

Cependant, l’Astrologue en Chef avait été stupéfait en ouvrant le coffret de bois.

Jamais encore il n’avait vu un tel outil d’observation, très différent de l’instrument en forme de bambou qu’utilisait l’Association d’Astrologie. Il se composait d’un cylindre métallique aussi large qu’un sceau dans lequel était inséré un miroir de verre si brillant que l’on pouvait y voir son image. D’aussi près que l’on puisse regarder, il n’y avait pas une seule rayure.

Le fonctionnement de cet instrument d’astronomie, très ingénieux, consistait en un bouton rotatif de la taille d’un pouce situé à l’extrémité. Il suffisait de le pincer et de le tourner délicatement pour ajuster la distance entre les lentilles et il n’était pas nécessaire de le verrouiller après réglage.  

Sa Majesté Roland lui avait fait don de trois lots de nouveaux outils d’astronomie, soit au total six instruments que le Roi appelait “télescope astronomique”.

Sitôt qu’il l’eût utilisé, “l’Étoile Rayonnante” ne voulut plus jamais avoir recours à son instrument d’origine.

Il remit les cinq autres instruments aux cinq astrologues les plus expérimentés de la Station.

– « Maître, tous les instruments d’astronomie sont en place », annonça Yun, le principal disciple.

– « Avez-vous terminé la répartition de la constellation ? »

– « Oui. L’astrologue “Étoile du Ciel Lumineux”, qui est chargé d’observer le Nord, étant malade aujourd’hui, c’est “l’Étoile du Néant” qui prendra sa place », dit-il en jetant un coup d’œil au registre qu’il tenait à la main.  

– « Bon, allumez la flamme : nous allons commencer l’observation », ordonna l’Astrologue en Chef.

– « Très bien! »

Le feu jaillit du brasier situé au centre de la Station Astrologique, qui symbolisait L’Étoile la plus brillante du ciel. Tout ayant été arrangé en accord avec la cartographie des étoiles, les astrologues entouraient le brasier comme les étoiles entourent la plus lumineuse. Ce faisant, ils semblaient faire partie du ciel étoilé.

Outre les précieux engins d’observation, il fallait également former des astrologues qualifiés, ce qui nécessitait beaucoup de temps.

Ceux-ci ne pouvant compter que sur leurs yeux pour bien faire leur travail, apprendre à les protéger était une condition sine qua non pour pouvoir devenir un astrologue qualifié. “L’Etoile Rayonnante” avait beau avoir cinquante ans, sa vue était encore meilleure que celle de la plupart des jeunes de la Cité de l’Aurore.

Et ce n’était pas chose facile!

Une fois choisis comme apprentis astrologues, la seule chose qu’ils pouvaient regarder la nuit était les étoiles. Il leur était strictement interdit de lire à la lumière des bougies ou des lampes à huiles et comme ils devaient absolument éviter la lumière du soleil au moment où elle était la plus forte, ils n’étaient pas autorisés non plus à sortir à midi.

Il leur fallait également modifier leur régime alimentaire. Il était primordial pour eux d’y inclure les entrailles et les yeux des animaux, par contre, le poisson et les épices leur étaient interdits. Selon les connaissances transmises par les anciens astrologues, manger une nourriture gorgée de sang était bénéfique pour les yeux. Le poisson, issu de l’eau, aurait pour effet d’endommager l’élément feu dans le flux sanguin tandis que les épices relevant de la terre induiraient la cécité.

L’Astrologue en Chef était resté fidèle à ces exigences alimentaires pendant plus de quarante ans, persuadé que la durée de vie de l’œil était limitée.

Afin de pouvoir observer les étoiles le plus longtemps possible, il ne lisait que rarement et ne consultait presque jamais les cartes stellaires. Du reste, il n’en avait pas besoin car les constellations étaient profondément gravées dans son esprit.

L’astrologue en Chef regarda dans le télescope au moyen d’un petit tube situé à l’extrémité du gros tonneau.  

Évidemment, on y avait installé un miroir incliné plat pour réfracter la lumière dans ses yeux.

Comme c’était intéressant et pratique à la fois!

Jamais les astrologues, qui en avaient pourtant compris le principe, n’avaient pensé à l’appliquer à leurs instruments d’observation.  

De toute évidence, cela améliorait considérablement le champ d’observation et les astrologues n’avaient pas à se courber pour voir les hautes constellations.

Étant donné que les télescopes fournis par Sa Majesté étaient bien plus pointus que ses anciens instruments, l’Association d’astrologie dût recalculer les positions des étoiles dans les constellations existantes et redessiner la carte stellaire. Depuis l’arrivée de ces six télescopes astronomiques, ils avaient trouvé des dizaines d’Étoiles Noires qu’ils n’avaient jamais pu observer auparavant.

Comme chaque nuit, l’Astrologue en Chef balaya la zone dont il était responsable. Selon les saisons, la constellation formait des images différentes. C’était peut-être difficile à appréhender pour un débutant mais pour “l’Étoile Rayonnante”, les rayons brillants issus de ces constellations lui étaient aussi familiers que les rides de son visage.   

Il avait terminé d’observer la première constellation et s’apprêtait à déplacer le télescope lorsque soudain, il aperçut un faible rayon de lumière.

Aussitôt, l’Astrologue en Chef sentit son sang se figer. Il retint son souffle et regarda dans cette direction.  

Ce n’était pas une illusion…

Une faible lueur était cachée entre l’hexagramme et l’Etoile Flamboyante. On aurait dit que cette lueur était à tout moment sur le point de s’éteindre. Cependant, la différence avec les étoiles environnantes était évidente : Cette lueur était rouge.

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NDT: La gomme-gutte, résine gutte ou jaune du Cambodge est un pigment jaune tirant sur l’orangé, produit à partir de résine d’espèces de la famille des Clusiaceae ou des Garciniées (PRV1). Elle fut aussi utilisée en pharmacie. La gomme-gutte servit à Jean Perrin pour la détermination exacte du nombre d’Avogadro en 1926 par l’étude du mouvement brownien.

Rapportée de Chine en 1603, elle fut d’abord employée, comme en Extrême-Orient, comme purgatif, puis rapidement utilisée par les peintres.

(Source: Wikipedia)