– « Heidi aurait-elle été blessée au cours de la capture ? »

– « Hum, elle a reçu une balle dans la jambe. Nous avons arrêté le saignement, mais pour le moment, elle ne pourra sans doute pas marcher. »  

– « Comment vont les autres ? »

– « Céleste, un membre de l’Association du Croc Sanguinaire, est morte la nuit dernière », soupira Tilly. « Quant à mes sorcières, elles vont bien. »

Roland hocha la tête :

– « Je vais demander à Naela de la guérir. Nous discuterons de tout le reste au château. »

Dans l’immédiat, l’invasion de l’Église était bien plus urgente que l’interrogatoire du Chef de l’Association du Croc Sanguinaire. De retour à son bureau, Roland questionna Tilly sur la situation à l’Île Dormante puis il leur montra la lettre qu’il avait reçue de la Région du Nord. Dans la mesure où les trois grandes familles de la ville du roi du Royaume de l’Aube étaient impliquées, Cendres et Andrea étaient également présentes.

Suite à ce message d’avertissement, Roland avait contacté Hill Fawkes à deux reprises pour se faire une idée claire de ce qui s’était passé. Lorsqu’il eut rapporté tout ce qu’il savait aux sorcières, Andrea dit :

– « Otto est fou! Il se comporte toujours comme un enfant. Sans Orian, jamais il n’aurait osé entrer dans le palais. »

– « Mais au moins, il a réussi à nous révéler les plans que l’Église avait contre nous. Par ailleurs, c’est essentiellement pour vous qu’il l’a fait », dit Cendres.

– « Lui avez-vous répondu ? » Demanda Tilly à Roland.

– « Je l’ai exhorté à ne pas agir de façon inconsidérée. Dans la mesure où cette sorcière n’est pas affectée par la Pierre du Châtiment Divin, il est quasi impossible pour une personne ordinaire de la vaincre. Par ailleurs, le Prince Alban a également mentionné la présence de Guerriers du Châtiment Divin. Le Royaume de l’Aube étant trop éloigné de Graycastle, je ne suis pas en mesure de l’aider directement. Il est donc plus sage, dans ces conditions, de faire comme si nous ignorions le secret de l’Église, et ce jusqu’à ce que celle-ci s’attaque au Royaume de Graycastle », répondit Roland en remplissant les tasses de thé.

– « Il se peut qu’il ne soit pas capable de se contrôler », souligna Andrea en fronçant les sourcils. « Otto Luoxi a toujours été impulsif, et ce depuis qu’il est enfant. »

– « Ne vous inquiétez pas, il le fera. Je lui ai également dit autre chose. » Roland eut un sourire : « Je lui ai dit qu’Andrea était en sécurité chez moi et que quand bien même elle aurait à lutter contre l’Église, l’ennemi avait peu de chances de la blesser. Je lui ai bien précisé que s’il venait à se faire tuer, jamais il ne la reverrait. »  

– « Très persuasif », dit Cendres avec un sifflement admiratif.

– « Assez », ordonna promptement Tilly qui sentait venir une querelle. Elle lança à Roland un regard de reproche pour avoir tourné cette affaire à la plaisanterie puis changea de sujet : « Que comptez-vous faire face à l’invasion de l’Église ? »

Roland s’éclaircit la gorge :

– « Je vais construire une ligne défensive avec des canons et des fusils au pied de la Crête du Vent Glacé », répondit-il. Puis, sortant une carte de son tiroir, il l’étala sur le bureau et, désignant du doigt la frontière de la Région du Nord, reprit : « J’ai déjà envoyé la Première Armée livrer du matériel de guerre à Deepvalley et, en même temps, éradiquer l’influence de l’Église au sein de mon royaume. Ceci étant, la Cité Sainte d’Hermès ne devrait pas tarder à s’apercevoir que Graycastle à l’intention de poster des soldats en faction à la Crête du Vent Glacé. »

– « Entendez-vous révéler délibérément vos intentions à l’ennemi ? » Demanda Andrea. « Je vous prie d’excuser ma franchise, mais la plupart du temps, ne doit-on pas au contraire divulguer à l’adversaire des informations erronées dans le but d l’induire en erreur ? » 

– « C’est la seule façon pour moi d’être certain que l’Église attaquera la première. Ce faisant, mes soldats auront moins à souffrir car la Première Armée est particulièrement efficace dans le cadre d’une guerre de front », expliqua Roland.

– « Je vois. C’est très judicieux en effet », acquiesça Tilly.

– « Mais il y a tout de même un danger caché : les Purifiées.  Forts de notre puissance de tir, nous n’avons pas à redouter les ennemis visibles, cependant, il se pourrait que les sorcières de l’Église causent des problèmes inattendus à la Première Armée. Il n’y a que le pouvoir magique de nos sorcières qui puisse nous prémunir contre elles », précisa Roland.

– « C’est bien pour cette raison que nous sommes là. Faites-moi confiance, grand frère, les sorcières de l’Île Dormante se battront à vos côtés », répondit la Princesse.  

De retour au Bâtiment des Sorcières, Tilly retrouva l’appartement où elle avait vécu lors de son séjour précédent.  

Le salon et la chambre à coucher étaient restés exactement comme lorsqu’elle les avait quittés. Il n’y avait pas un grain de poussière sur la table. De toute évidence, Roland y faisait faire le ménage régulièrement.

Trois bassins en bois réservés au bain étaient disposés bien en évidence près de la porte. Des vêtements propres et soigneusement pliés avaient été placés dedans et à côté se trouvait une paire de sandales faciles à porter. Tilly, qui avait grandi au sein d’une famille royale, avait l’habitude de prendre régulièrement des bains, cependant, jamais elle n’en avait pris autant que dans cette ville où l’eau chaude était disponible en permanence.

Elle suivit l’arôme de nourriture fraîchement préparée qui lui venait aux narines et ouvrit le placard : il contenait toutes sortes d’assaisonnement, des lamelles de viande séchée et du pain : de quoi remplir son estomac en cas de fringale.  

Bien que la Princesse ne se fût jamais vraiment soucié du confort matériel, elle ne put s’empêcher d’avoir chaud au cœur devant ce spectacle.  

– « Enfin je peux à nouveau me laver avec du savon parfumé », dit Andrea depuis le salon.  « Et on dirait que les serviettes posées près du lavabo sont toutes neuves. »

– « Pourquoi ? Cela ne vous convient pas ? » Demanda Cendres.

– « À-moi si, mais vous concernant, c’est du gâchis que de vous proposer de nouvelles serviettes. »

– « Qu’est-ce que vous avez dit ? »

– « Je pense que le chiffon que vous avez apporté fera l’affaire. Pourquoi une personne capable de supporter de se baigner dans l’eau de mer salée et malodorante aurait-elle besoin d’une serviette ? »

En entendant leurs chamailleries familières, Tilly eut un sourire. Toutes les sorcières semblaient se plaire à la Cité Sans Hiver, jusqu’à celles de l’Association du Croc Sanguinaire qui avaient changé depuis leur arrivée.  

Elle-même ne faisait pas exception.

Si l’amélioration de la qualité de vie était sans doute en grande partie à l’origine des changements observés chez les autres sorcières, ce n’était pas le cas pour la Princesse qui avait toujours été très gâtée par son père, le Roi Wimbledon III. Pour elle, la vie dans cette ville n’était pas luxueuse, mais en revanche pleine de fraîcheur et d’intérêt.  

Cependant, il y avait sans doute une chose qui plaisait particulièrement aux sorcières.

Tilly s’était toujours demandé pourquoi elle se sentait si détendue lorsqu’elle se trouvait chez son frère mais en voyant celui-ci servir le thé aux sorcières, elle avait soudain compris.

Roland ne faisait pas semblant d’être amical envers les sorcières en mesure de lui apporter leur aide. Il acceptait réellement les sorcières et les traitait comme des amies.

Qu’il soit Seigneur, Prince ou Roi, son attitude ne changeait pas.

Le fait qu’il considère les sorcières de cette manière n’était ni feint ni calculateur de sa part. C’était la véritable expression de ses sentiments.  

– « Est-ce que tout va bien ? »

En entendant la voix de Cendres, elle se retourna et la vit refermer doucement la porte de la cuisine.

– « Pardon ? »

Cendres hésita un instant :

– « Pourquoi l’avez-vous appelé grand-frère ? Sur l’Île Dormante, n’avez-vous pas dit que si vous l’aidiez, c’était uniquement parce que cela vous rendait également service ?… Par ailleurs, vous avez dit que ce n’était pas vraiment le Prince Roland. »  

– « Je ne pense pas qu’il soit le frère aîné stupide et lâche que j’ai connu et je me moque de savoir si c’est bien lui ou pas. » Tilly marqua une pause : « Avez-vous déjà réfléchi au sens de cette guerre contre l’Église ? »

– « Une vengeance ? »

– « Non », répondit la Princesse en secouant la tête. « C’est un combat pour la liberté. Vous êtes-vous déjà imaginé vivre ici ? »