– « Une réaction magique ? Qu’est-ce que c’est ? » Demanda le Comte Delta en se retournant.
Brian n’avait pas le temps de se soucier de l’étiquette.
– « Dites à vos chevaliers de s’écarter immédiatement! » Cria-t-il.
Il avait à peine prononcé ces paroles qu’un groupe de croyants vêtus de robes indigo surgit au coin de la rue et se rua sur les chevaliers qui ouvraient la marche. La puissance de l’impact était telle qu’en un instant, les chevaux furent renversés et plusieurs chevaliers se retrouvèrent écrasés sous le poids de leurs montures avant même d’avoir pu réaliser ce qui se passait. Les autres tirèrent aussitôt leurs épées et commencèrent à se battre contre les croyants.
Dans la rue, les gens, paniqués, se mirent à courir. Bon nombre d’entre eux tombèrent et furent piétinés par la foule en fuite. Partout, des gens appelaient à l’aide. C’était un véritable désordre.
– « Trahison! » S’écria le Comte, d’abord surpris. Puis, furieux, il ordonna : « Bon sang! Tuez-moi tous ces rebelles! »
Soudain, il resta muet de stupéfaction en voyant un morceau d’ardoise voler dans sa direction.
Plusieurs autres morceaux issus de la chaussée s’élevèrent dans les airs et se dirigèrent droit vers un chevalier. Cela se passa si vite que l’on eut à peine le temps d’apercevoir une ombre fugace de couleur bleue. Les yeux et les articulations de la première personne touchée se mirent à saigner abondamment et son armure tomba en éclats. L’homme n’avait plus aucune chance de survivre.
Les morceaux d’ardoise se firent de plus en plus nombreux, certains touchant même les croyants. Des plaques verticales brisaient les os des gens tandis que d’autres, horizontales, les tranchaient en deux.
Avant même que le Comte Delta n’ait pu exprimer sa surprise, Brian l’écarta.
– « Feu! » Ordonna Hache-de-Fer.
Des tirs ininterrompus retentirent dans la rue.
Les gens qui étaient encore debout se retrouvèrent fauchés comme des épis de blés et lorsque la fumée se fut dissipée, les soldats et croyants blessés jonchaient le champ de bataille qui était dans état totalement chaotique. Il y avait des corps partout. Certains respiraient encore tandis que d’autres gémissaient de douleur et se tordaient sur le sol.
– « Où sont nos adversaires ? » Demanda Brian qui fixait le coin de la rue sans même cligner des yeux, comme s’il se trouvait face à un ennemi redoutable.
– « Ils… sont tous tombés, n’est-ce pas ? » demanda le Comte stupéfait.
De toute évidence, il était en état de choc. Jamais il n’aurait pu imaginer que les troupes de Sa Majesté soient si puissante. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, une douzaine de chevaliers en armure d’argent et de croyants irrépressibles avaient été mis hors d’état de nuire.
– « Elle arrive! » Dit Sylvie d’une voix rauque.
Comme pour faire écho à son avertissement, une femme apparut au coin de la rue. Elle soulevait les ardoises de la chaussée une à une et les faisait flotter dans les airs comme des tapis volants.
Des coups de feu assourdissants retentirent à nouveau. La majeure partie des ardoises vola aussitôt en éclat tandis qu’un morceau balayait l’assistance en tournoyant comme une large épée dans les mains d’un combattant invisible.
Brian sentit son sang se glacer :
« Oh non! » Pensa-t-il. « À la vitesse où elles arrivent, jamais nos fusils ne pourront briser ces ardoises en rotation. »
Il préférait ne pas imaginer ce qui se passerait si les soldats venaient à être touchés. À la différence des chevaliers, ils ne portaient pas d’armure aussi les pertes seraient-elles bien plus élevées. Pourtant, ils n’avaient pas le choix : il fallait poursuivre le combat.
À peine Brian avait-il eu cette pensée qu’une lumière pourpre apparut devant les troupes.
Une cage magique emprisonna l’ardoise qui se dirigeait droit vers eux, se resserra et arrêta net la pierre en rotation.
– « Avons-nous affaire à un ennemi ou à une sorcière ? » Demanda le Comte Delta dans un état second.
Cependant, la Première Armée attendit que l’ardoise volante soit tombée à terre pour cesser le feu.
Une épaisse fumée brouillait leur vue et l’air était envahi par une odeur de soufre, cependant personne n’osait se frotter les yeux ni même tousser. On n’entendait rien d’autre sur le champ de bataille que le bruit du rechargement des fusils.
– « De quoi s’agit-il, Mlle Sylvie ? » Demanda Hache-de-Fer.
– « Le pouvoir magique …Il a disparu », répondit-elle lentement.
Soit les ennemis avaient fui le champ de bataille, soit ils avaient péri au cours du combat.
Après que la fumée se fut dissipée, Brian put voir ce qui s’était passé.
Étendue sur le pavé, une femme baignait dans une mare de sang, son épaisse chevelure verte et bouclée souillée de ce fluide vital.
Brian relâcha l’épaule du Comte terrifié et se dirigea vers la femme dont les vêtements rouges et blancs indiquaient qu’il s’agissait d’une prêtresse.
La Purifiée avait deux blessures de la taille d’une paume dans l’estomac et l’abdomen d’où s’écoulaient de sombres flots de sang. Apparemment, la balle qui avait pénétré l’ardoise avait suffisamment de puissance pour traverser son corps. Ses bras et ses jambes étaient couverts de coupures, sans doute causées par le ricochet des pierres.
Bien que ses adversaires fussent équipés de Pierres du Châtiment Divin, elle avait réussi à faire rouler les ardoises et à les utiliser comme bouclier. Ainsi protégée, elle pouvait attaquer et garder ses ennemis à distance. Cependant, elle ne s’attendait pas à la puissance des fusils.
Avec du recul, elle aurait pu être blessée lors de la première salve de tirs, cependant, elle était encore en mesure de manipuler l’ardoise. Cette femme avait une volonté remarquable.
– « Etait-elle vraiment une sorcière de l’Église ? » Demanda Delta en s’approchant prudemment.
– « Sa Majesté n’a-t-elle pas été suffisamment claire dans la brochure qui a été distribuée à la Cité du Roi ? » Répondit Brian, agacé. « Non contente d’empoisonner le peuple avec ses Pilules de Folie, l’Église forme en secret des sorcières pour la servir. Cependant, les femmes innocentes traquées par l’Eglise sont de notre côté. N’en aviez-vous jamais entendu parler ? »
– « Pour être honnête, si, cependant, j’avais du mal à le croire. »
« Ceci n’est qu’une petite partie des actes méprisables commis par l’Église, quant aux nobles, ils ne sont guère mieux », pensa Brian qui, cependant, le garda pour lui.
De son côté, Edith restait stupéfaite de la brièveté du conflit.
C’était la première fois qu’elle voyait combattre des troupes armées de fusils. On aurait dit une tempête alors que tous les soldats restaient immobiles. À cet égard, les troupes de Sa Majesté étaient physiquement avantagées. On pouvait sans peine imaginer que plus la guerre prendrait des proportions importantes, plus l’avantage des armes à feu serait évident.
Cela ne faisait aucun doute : les combats traditionnels où les soldats se battaient avec d’épaisses armures et armes tranchantes étaient totalement dépassés.
De plus, avec ces machines qui rugissaient jour et nuit, la Région de l’Ouest pouvait produire ces armes en permanence. On pouvait donc sans peine imaginer le potentiel de guerre de Sa Majesté.
Lorsqu’enfin Hache-de-Fer ordonna aux troupes de continuer d’avancer, Edith reprit ses esprits.
Elle était plus convaincue que jamais d’avoir pris la bonne décision.
Arrivée au coin de la rue, la Première Armée prit un virage et arriva très vite aux portes de l’église. Là, de nombreux corps jonchaient le sol et à en juger par leurs vêtements, la plupart appartenaient à l’équipe de patrouille.
Très vite, ils comprirent ce qui s’était passé. Au moment même où la patrouille s’apprêtait à encercler l’église comme on le lui avait ordonné, plus de deux cents drogués furent soudainement tuées et les seigneurs emportés. Certains croyants étaient restés sur place pour affronter les patrouilleurs tandis que d’autres généraient le chaos à la périphérie de la ville où certaines personnes tentaient de franchir la porte. Heureusement que la Première Armée, qui se trouvait alors à moins de cent mètres de l’église, avait pu éliminer la Purifiée. S’ils étaient arrivés ne serait-ce qu’un quart d’heure plus tard, celle-ci aurait sans doute profité du chaos pour s’échapper.
Brian prit une équipe et entra dans l’église : là, ils éliminèrent les derniers résistants puis fouillèrent les lieux dans l’espoir d’y trouver des documents, lettres ou tout bien utile. En effet, Sa Majesté leur avait bien recommandé de prendre tout ce qui pouvait avoir de la valeur.
Puis, sous la direction de Sylvie, les soldats firent sauter la porte de fer qui bloquait l’entrée des soubassements à l’aide de petits paquets d’explosif. Lorsqu’enfin celle-ci s’effondra, toutes les personnes présentes ouvrirent grand les yeux pour voir ce qu’elle dissimulait.
Là, soigneusement rangées, se trouvaient dix boites de Pierres du Châtiment Divin. Quant au sol, il était couvert de pièces d’or.