Après deux jours de navigation, les kilomètres de terrain inhabité cédèrent place à des villages et à des terres cultivées. Peu à peu, les remparts de la Cité Écarlate se dessinèrent dans le lointain.
C’était la plus importante des villes situées sur la Rivière Écarlate, avec une population et des ressources comparables à celles de l’ancienne Cité du Roi. Sans les bénéfices apportés par les minéraux de la Cité d’Argent, les ancêtres de la famille Wimbledon auraient sans doute choisi la Cité Écarlate pour capitale du royaume plutôt que l’actuelle Cité de l’Aurore.
Brian, qui depuis un moment, observait le paysage à l’aide de sa lunette, demanda :
– « Que ferons-nous lorsque nous accosterons ? Ne pensez-vous pas qu’il serait préférable de les surprendre à l’aide de l’artillerie navale ? »
– « Cela pourrait provoquer l’hostilité du Seigneur », répondit Hache-de-Fer en secouant la tête. « Notre principal objectif étant l’Église, nous pouvons laisser tomber le reste. Conformément aux usages diplomatiques, nous allons d’abord lui présenter les documents. »
Lorsque la flotte arriva sur les quais situés à la périphérie de la ville, ce fut un véritable branle-bas de combat. La grille se referma rapidement et le pont levis remonta tandis que des soldats en ligne encerclaient les quais.
Brian ayant fait parvenir les documents au Seigneur, la réponse ne tarda pas.
– « Il a dit que l’Armée de Sa Majesté était la bienvenue, mais demande que nous lui envoyions un messager pour l’informer des causes de notre présence. Il n’ouvrira la porte que lorsqu’il en connaîtra les raisons », rapporta un soldat.
– « Les raisons de notre présence ? Je croyais que les documents étaient très clairs sur ce point », dit Brian, visiblement contrarié. « Nous n’en avons qu’après l’Église. Aurait-il dans l’idée d’aider ces fripouilles à s’échapper ? »
Hache-de-Fer se tourna vers les membres de l’État-Major :
– « Est-ce aussi votre avis ? »
– « Euh …en principe oui, si ce sont des aristocrates », répondit Trevor, chef de la garde personnelle de Petrov. « Je pense que leur scepticisme est tout à fait naturel, d’autant que Sa Majesté n’est pas venue en personne et que la Cité Écarlate n’est pas sous sa juridiction. Il nous suffit de leur envoyer un porte-parole au statut respectable qui lui expliquera en détails la situation. »
– « Qu’entendez-vous par “statut respectable” ? »
– « Je pense qu’une personne issue d’une grande famille saura gagner la confiance du Seigneur », précisa Trevor. « Une famille comme les Chèvrefeuille, par exemple. »
Hache-de-Fer, Brian et Van’er se regardèrent, embarrassés. Avant de devenir des soldats de la Première Armée, l’un d’eux était originaire du Pays des Sables et les deux autres étaient issus du peuple. Ils n’avaient pas l’habitude de converser avec des nobles et leur statut ne leur serait guère utile pour discuter d’égal à égal avec le châtelain.
– « Pourquoi ne pas utiliser les canons pour faire exploser la porte ? » Proposa Brian, furieux. « Lorsqu’ils auront goûté à notre potentiel d’attaque, ils sauront quelle est la meilleure chose à faire. »
– « Laissez-moi faire », dit Edith. « Les Kant sont une famille aristocratique du Nord et mon père est Duc. Je suis tout à fait qualifiée pour cette mission. »
– « Et si c’était une feinte ? » Suggéra Van’er, hésitant. « S’il s’avérait que, depuis longtemps, le Seigneur de la Cité Écarlate est complice de l’Eglise, il pourrait vous faire arrêter et nous contraindre à battre en retraite. »
– « Ce ne serait pas dans son intérêt. Par ailleurs, vous ne ferez aucun compromis, n’est-ce pas ? » Répondit Edith en souriant. « S’il est sensé, il ne se risquera pas à traiter un messager de la sorte, faute de quoi il s’attirerait l’antipathie des autres nobles. Si, comme vous le supposez, il était complice de l’Église, la ville serait déjà en état de guerre. Que je sache, il n’y a ni huile bouillante ni feu de camp au sommet des remparts. »
– « Je vais l’accompagner », proposa Sir Eltek. « Autrefois, j’étais chevalier. En cas de danger, je saurai la protéger. »
– « J’apprécie votre sollicitude, cependant la Perle de la Région du Nord n’a pas besoin de protecteur », répondit Edith, confiante.
– « Emmenez une troupe de soldats », trancha Hache-de-Fer. « Si jamais nous entendons tirer, nous lancerons une offensive. »
Une heure plus tard, la porte s’ouvrit lentement tandis que le pont-levis descendait.
Tous furent stupéfaits de voir sortir Edith accompagnée d’un homme joufflu entre deux âges, escortés d’une troupe de soldats de la Première Armée et d’un groupe de Chevaliers à l’Armure D’argent. Au vu de ses expressions et de ses manières, l’homme, pourtant bien habillé, qui courtisait Edith ressemblait à un homme de main.
– « Je vous présente le Comte Delta, Seigneur de la Cité Écarlate », dit Edith. « Je lui ai demandé d’envoyer ses patrouilleurs encercler l’église au cas où prêtres et croyants tenteraient de s’échapper. » Puis, s’adressant au Comte, elle ajouta : « Voici le Seigneur Hache-de-Fer ainsi que Messieurs Brian et Van’er, Commandants de la Première Armée de Sa Majesté. »
– « Hache-de-Fer… et quoi ? » Demanda le Seigneur de la ville, surpris d’entendre pour la première fois ces titres.
– « Laissez-tomber », dit-elle en riant. « C’est une terminologie spécifique à Sa Majesté. »
– « Je vois. » Delta s’éclaircit la gorge : « J’ai en effet entendu dire que le Prince Roland… pardon, Sa Majesté, avait une façon d’agir peu commune. Bienvenue à la Cité Écarlate! Cependant, excusez-moi mais dois-je comprendre que tout ce que souhaite Sa Majesté, c’est balayer les insurgés de l’Église ? »
« Est-ce là le Seigneur de la Cité Écarlate ? » Se demanda Brian, étonné de constater que cet homme était assez différent de ce à quoi il s’attendait.
– « Oui », répondit Hache-de-Fer avec ferveur. « Je pense qu’il est clair, au vu des documents que vous a adressés Sa Majesté, que l’Église a pour objectif d’occuper les Quatre Royaumes. Leur rébellion est aujourd’hui une certitude. Vous avez dû entendre parler de ce qui est arrivé aux royaumes de l’Éternel Hiver et de Wolfheart. Nous partirons sitôt que nous vous aurons débarrassés de l’Église. »
– « Très bien, mais rien ne presse », dit le Comte en se frottant les mains. « Ce soir, j’organise une grande fête au château. J’espère que vous me ferez tous le plaisir de votre présence », dit-il en fixant la Perle de la région du Nord.
Brian était sur le point de décliner son invitation lorsque soudain, Edith accepta sans l’ombre d’une hésitation.
– « Merci », dit-elle. « Nous en sommes très honorés, cependant, nous devons d’abord accomplir la tâche que nous a confiée Sa Majesté. »
– « Bien sûr », répondit le Comte en souriant, les yeux plissés.
Précédée des Chevalier, la Première Armée, bien ordonnée, entra dans la ville. Profitant d’un moment d’inattention du Comte, Brian s’approcha d’Edith et la réprimanda à voix basse :
– « Pourquoi avez-vous accepté son invitation ? Il me semble évident que ses intentions ne sont guère décentes! »
– « C’est ainsi que nous communiquons entre nobles. Si nous refusions, ce serait un manque de courtoisie » répondit-elle d’un ton dédaigneux. « Je n’ai pas compris pourquoi Sa Majesté avait décidé d’exclure la noblesse de son armée, mais en tant que représentants du Roi, vous ne pouvez faire totalement abstraction de ces choses. Par ailleurs, si vous entretenez de bonnes relations avec lui, il vous sera beaucoup plus facile de récupérer la Cité Écarlate. Enfin, en ce qui concerne ses intentions douteuses… Avez-vous déjà vu une autre expression sur le visage d’un noble ? » conclut-elle en pinçant les lèvres.
Brian déglutit avec difficulté et, au bout d’un moment, soupira :
– « Dois-je comprendre que vous êtes habituée à ce genre de vie ? »
– « Ce n’est pas méchant, juste un peu ennuyeux », répondit Edith, un brin sarcastique. « Dites-moi, n’avez-vous jamais envié la vie des nobles ? »
– « Je… »
Il ne savait que répondre.
Soudain, on entendit de l’agitation. On aurait dit que quelqu’un criait et que quelque chose tombait sur le sol.
– « Que se passe-t-il ? » demanda le Comte.
Hache-de-Fer serra le poing et cria :
– « Soldats! Halte! Tenez-vous prêts! »
Les troupes s’arrêtèrent aussitôt. D’un geste expert, les soldats s’emparèrent des fusils qu’ils portaient sur leur dos et s’organisèrent en lignes.
Au même moment, Sylvie, qui se trouvait au milieu des troupes, cria d’une voix forte :
– « Attention! Réaction magique droit devant! »