Chapitre 58, Evasion
Rossignol ne savait pas combien de temps s’était écoulé, mais lorsqu’elle reprit connaissance, elle s’aperçut que ses mains, sa taille et ses pieds étaient attachés à un poteau. Elle tenta de se libérer, mais son corps était attaché si fortement qu’elle était totalement immobilisée.
La jeune femme voulut utiliser la magie, mais elle ne parvint pas à ressentir la sensation familière : elle semblait privée de ses pouvoirs. En baissant les yeux, la sorcière aperçut une pierre prismatique transparente pendue à son cou.
– « Vous voici réveillée », dit Cara en s’approchant. « Que pensez-vous de mon venin paralysant ? Honnêtement, j’avais de grands espoirs pour vous, Rossignol. Mais malheureusement, vous ne pouviez répondre à mes attentes. »
Dans un premier temps, Rossignol ne sut que répondre. Mais ayant pris une profonde inspiration, elle s’anima :
– « En réalité, vous dissimuliez un Médaillon du Châtiment Divin. Cara, savez-vous encore ce que vous faites ? »
Cette pierre était à l’origine utilisée par l’Église pour supprimer les sorcières, et voilà que leur propre fondatrice l’utilisait contre elle! Mais ce qui la chagrinait plus encore étaient les regards impassibles de ses consœurs, comme si ce à quoi elles assistaient étaient normal. « Bon sang », pleurait le cœur de Rossignol, « ne voyez-vous pas que vous vous êtes devenue le genre de personne que nous autres sorcières détestons le plus ? »
– « Ce n’est qu’un instrument, qui sera occasionnellement utilisé pour punir les mauvaises filles qui n’obéiront pas ». Expliqua Cara indifférente. « Et vous, Rossignol, vous devez être punie. Ou devrais-je vous appeler Veronica ? Née dans une famille noble, réduite à être une sorcière, et qui réfléchit encore à la façon d’escalader la hiérarchie sociale. »
– « Je ne sais pas de quoi vous parlez. »
– « Vous m’avez laissée tomber! Lorsque Wendy vous a sauvé des griffes de l’aristocratie, je pensais que vous resteriez fermement du côté de l’Association. Mais, regardez ce que vous apprêtez à faire. Alors que nous étions sur le point de découvrir la Montagne Sacrée, vous voulez nous empêcher d’atteindre notre but! »
Cara secoua la tête et se mit à rire, avant de poursuivre : « Essayer de nous prendre des sœurs pour les emmener au prince ? Auriez-vous été maintenue en captivité trop longtemps pour que la servilité soit si profondément enracinée en vous, au point que vous ne sachiez plus vivre que sous la domination d’un maître ? Ou bien peut-être envisagez-vous tout simplement de les vendre aux nobles, en échange d’une bonne situation! »
– « Tout ce que je fais, c’est pour mes sœurs! »
Rossignol dut ravaler sa colère : crier ne servirait à rien, aussi dit-elle calmement : « J’espère que personne ne mourra au cours de sa journée d’Eveil, en espérant qu’elles puissent vivre sans avoir le souci des vêtements et de la nourriture nécessaires au quotidien. Je n’ai jamais eu l’intention d’entraver vos desseins, mais nous, les sœurs, devrions avoir le droit de choisir librement notre mode de vie. »
« À l’heure actuelle, Border Town subit d’énormes changements, j’ai même apporté le plan de construction de la machine à vapeur. Celle-ci peut fonctionner seule, avec une puissance quasi illimitée. Avec ce genre de machine, l’eau dans les mines peut être pompée directement, afin que les gens n’aient plus besoin de le faire tous les jours. »
Cara railla une nouvelle fois et demanda dédaigneusement :
– « Vous voulez parler de ça ? »
Elle se retourna et sortit du tas de parchemins un rouleau qu’elle déploya afin que tout le monde puisse le voir : « Bien que je ne comprenne pas tout ce qui est représenté sur ce parchemin, qui croirait qu’un tas de fer froid et mort peut être reconstitué et fonctionner de manière autonome comme une créature vivante? Pensez-vous que nous sommes toutes des enfants de trois ans ? »
Elle se dirigea vers le brasier et y jeta le rouleau.
– « Non! » cria vainement Rossignol, le regard vide tandis que le plan était réduit en cendres.
– « Ma patience a des limites, je ne vous donnerai qu’une dernière chance ».
Tout en menaçant Rossignol, Cara sortit du feu une broche de fer à l’extrémité rougeoyante. « Si vous plaidez coupable devant toutes vos sœurs, j’admettrai que vous avez été ensorcelée par l’aristocratie, je vous laisserai la vie sauve, mais vous n’échapperez pas au fouet! Ce sera votre leçon pour avoir coopéré avec l’ennemi. Par contre, si vous vous entêtez, je devrai vous percer le cœur avec cette broche et clouer votre corps au bûcher, afin que toutes puissent apprendre de vos actes répréhensibles». Ayant marqué une courte pause, la fondatrice conclut : « Ne laissez pas passer ma dernière offre de grâce. Maintenant, dites-moi : Qu’avez-vous décidé ? »
Elle approcha le fer plus près de Rossignol afin qu’elle puisse mieux voir, si près que la jeune femme pouvait même sentir la chaleur brûlante de sa pointe. Si elle était restée la poltronne qu’elle était auparavant, la sorcière se serait inclinée et aurait admis sa défaite.
Mais elle avait dit adieu à son passé et n’était plus cette fille timide. A présent, elle était Rossignol, une sorcière puissante. Même face à la mort, elle ne céderait pas!
La jeune femme ferma les yeux, attendant son dernier instant. Sans qu’elle sache pourquoi, l’image de Roland apparut.
« Stop! » Cria soudain quelqu’un.
Rossignol hésita un instant, puis ouvrit les yeux. Wendy sortit du groupe et dit à Cara :
« Maîtresse, voyez le linge blanc qui entoure votre bras. Nous avons déjà connu tant de décès, voulez-vous vraiment en ajouter un autre ? »
– « Quoi, même vous ? Elle vous a trompée vous aussi ? Réveillez-vous, Wendy! Les choses qu’elle a dites sont toutes des mensonges! »
– « Je n’en sais rien. »
Wendy secoua la tête et poursuivit : « Je n’ai pas l’intention de l’accompagner à Border Town, mais je pense qu’elle a dit quelque chose de vrai. Nous autres, les sœurs, devrions avoir le droit de choisir librement notre vie. »
Elle se retourna et demanda à l’assistance : « Laquelle d’entre vous veut partir avec elle ? »
N’obtenant aucune réponse, Wendy conclut : « Vous voyez, il n’y aura pas de problème puisqu’elle partira seule. Elle n’a jamais porté préjudice à l’Association, aussi je ne peux vraiment pas vous regarder la tuer. »
Rossignol avait bien compris la signification des paroles de son amie. Elle ne put s’empêcher d’en être attristée. Même Wendy ne croyait pas totalement à ce qu’elle avait dit. C’est pourquoi elle avait gardé le silence alors que la jeune femme avait besoin de son aide pour tenter de convaincre ses sœurs. Cependant, elle restait la sorcière attentionnée au grand cœur qui, même en désaccord avec le point de vue de Rossignol, lui tendait quand même une main secourable.
Après la remarque de Wendy, des chuchotements se firent entendre au sein du groupe puis quelques personnes prirent la parole en sa faveur.
– « Oui, puisqu’elle veut retourner dans le monde séculier, laissez-la partir. »
– « L’Église et la souffrance ont déjà emporté tant de sœurs loin de nous. Honorée Maîtresse, réfléchissez encore! »
Furieuse, Cara s’écria :
– « Taisez-vous! Si je la laisse partir, que ferons-nous quand une seconde ou une troisième Rossignol se présenteront ? Et si elle vendait le secret de la position de notre camp à l’Église, nous n’aurions nulle part où nous enfuir! »
Comme le bourdonnement des voix continuait, elle leva le bras pour frapper Rossignol avec la broche de fer. Mais Wendy fut plus rapide. Elle produisit une forte rafale de vent qui jeta Cara sur le sol et arrêta le coup.
Puis elle lança une pièce de monnaie en l’air et fit un signe de la main. Le flux d’air enveloppa immédiatement la pièce et l’envoya en direction de Rossignol. Arrivé à sa hauteur, le vent disparut instantanément, tandis que la pièce, maintenant sa vitesse, frappait avec précision le Médaillon du Châtiment de Dieu qui pendait autour du cou de la jeune femme.
La pierre transparente et prismatique se brisa sous le choc.
– « Traîtresse! » hurla Cara en se relevant.
Wendy et Ann, qui appartenaient à son cercle privé, étaient ses bras droits. Mais à présent, l’une d’entre elle l’avait trahie! Furieuse, elle lança un serpent d’ombre qui vola, la bouche grande ouverte, en direction de Wendy, et lui mordit férocement le dos de la main.
Au même moment, les cordes qui retenaient Rossignol se délièrent tout en restant en place sur le poteau : la sorcière avait disparu.
A la pensée de sa capacité, Cara sentit une sueur froide lui couler dans le dos. Elle mobilisa immédiatement toute sa puissance, créant des serpents magiques qui brillaient avec toutes les variations de couleurs possibles. Ceux-ci jaillirent de sa poitrine. Elle fit un bond en arrière, leur ordonnant de former un mur devant elle, mais Rossignol fut plus rapide.
En une enjambée, elle apparut derrière Cara, repoussant des mains la tige de fer destinée à transpercer son cœur. Celle-ci vint se ficher dans le corps de la fondatrice.