Roland et la visiteuse partis, Ayesha se sentit soulagée.

« N’ai-je pas un peu exagéré ? Je devrais peut-être me montrer plus aimable envers le Seigneur, même en présence d’une personne ordinaire. Après tout, le monde n’est plus ce qu’il était il y a quatre cents ans. »

Cependant, elle n’appréciait pas que quiconque entre dans le laboratoire où était confectionné le Sceau, à l’exception des sorcières. Par ailleurs, elle ne voulait pas que Sa Majesté en connaisse la méthode de fabrication, même si cette dernière n’allait pas tarder à être révélée.

Ayesha se retourna, aligna les six boîtes carrées qu’elle avait préparées le matin et y déposa les Pierres du Châtiment Divin que Roland avait réunies.

C’était une sorte de moule pour fabriquer la base du Sceau.

Elle devait réaliser quatre Sceaux d’Écoute, un Sceau de Hurlement et un d’Observation.

Comme elle s’y attendait, Sa Majesté n’avait pas choisi de Sceaux de combat, mais plutôt des Sceaux complémentaires de base en fonction des Pierres Magiques dont ils disposaient. Aux yeux des membres de la Société de Recherche, le fait d’utiliser des Pierres Magiques de haute qualité laissées par un Tueur de Magie pour réaliser ce genre de Sceaux aurait été considéré comme du gaspillage.  

Mais Roland n’avait guère besoin de Sceaux de combat étant donné qu’il possédait de puissantes armes à feu.  

Par ailleurs, plus le Sceau serait puissant, plus il nécessiterait de pouvoir magique.

Soudain, on frappa à la porte du hangar.  

Apparemment, Ayesha n’allait pas seulement avoir besoin d’une tour indépendante pour faire ses recherches, il lui faudrait aussi des serviteurs. À contrecœur, la sorcière posa la Pierre Magique qu’elle avait en mains et alla ouvrir.  

– « Que se passe-t-il, Votre Majesté ? Je… »

– « Merci d’avoir attendu, Mlle Ayesha. »

C’étaient Anna et Naela qui, selon son souhait, venaient l’assister.

– « Avez-vous besoin de moi pour soigner le Diable ? » Demanda Naela

Elle s’éclaircit la gorge et corrigea le tir :

– « Vous arrivez juste à temps! Je viens de terminer la sélection des matériaux. Rangeons les dans ces boites et nous pourrons officiellement commencer la fabrication. »

Tandis que le sang bleu vif pénétrait dans la boîte par le biais d’un tube réalisé à partir d’un enduit flexible, des changements incroyables commencèrent à se produire. 

Alors que le sang s’écoulait sur les pierres, une série de bulles se forma à la surface. D’abord les bords, puis toute la pierre, se mirent à fondre comme la cire d’une bougie et s’écoulèrent sous forme de liquide collant.

Comme s’il était conscient de ce qui se passait, le Diable luttait de toutes ses forces, mais en vain. Il était solidement enchaîné.

Lorsqu’enfin la sixième boîte fut remplie de sang, on aurait dit que la première bouillonnait.   Il s’en échappait un épais liquide opaque et collant constitué de sang mêlé à du sable fin, du mercure et de la Pierre du Châtiment Divin.

Anna, qui observait attentivement les changements, demanda :

– « La qualité du Sceau est-elle affectée par celle des matières premières ? »

– « Oui, elle repose essentiellement sur la Pierre du Châtiment Divin et le pouvoir magique du sang. La Société de Recherches pensait que, la magie modifiant chaque aspect du corps, celui des Sorcières Senior était forcément supérieur à celui des autres. Les Transcendantes avaient atteint leurs limites à cet égard. Afin d’améliorer l’efficacité du Sceau, nous nous efforcions de choisir du sang de Diable et des Pierres de la plus haute qualité. Pour exemple, le Sceau du Châtiment Divin que possédait Dame Alice a été réalisé à l’aide du sang d’un Tueur de Magie retrouvé mourant sur le champ de bataille.  

– « Le même phénomène se produit-il lorsque le sang d’une sorcière fusionne avec la Pierre du Châtiment Divin ? »

– « La réaction n’est pas si intense. D’une part, la pierre ne fond pas comme de la cire et d’autre part, le liquide qui se forme coule comme de l’eau. Par contre, le sang finit par se solidifier pour devenir dur comme de la pierre », répondit Ayesha en insérant un panneau de séparation dans la boîte. « Le procédé de fabrication d’un Sceau est similaire à la fusion du métal. Avant qu’il ne se solidifie complètement, nous devons y intégrer les Pierres et terminer par une étape cruciale : connecter la Nervure Magique. »

– « Des nervures ? » Demanda Anna, étonnée. « Comme celles d’une plante ? »

Ayesha acquiesça :

– « Souvenez-vous de ce que je vous ai dit l’autre jour :  la Société de Recherche pensait que seule la vie pouvait porter le pouvoir magique. Sans cette opération, un Sceau ne serait qu’un objet mort. Les Pierres Magiques conserveraient leur pouvoir individuel mais une fois combinées, elles ne pourraient pas produire ces effets incroyables. »

– « Dois-je comprendre que le sang du Diable est en mesure de donner vie à des substances ordinaires ? » Demanda-t-elle, stupéfaite.

– « Le sang du Diable à lui seul ne suffit pas », répondit calmement Ayesha. « Nous aurons également besoin de celui d’une sorcière. »

Abasourdie, Naela se cacha le visage.

« C’est par accident que la Société de Recherches a découvert que le fait de mélanger le sang d’une sorcière avec celui d’un Diable produisait d’étranges effets capables de conférer à la Pierre du Châtiment Divin la “vie végétative”. Grâce à cette nervure, le Sceau ne perd pas son pouvoir, même s’il reste longtemps inutilisé. Je ne sais pas comment vous l’expliquer… Vous comprendrez lorsque vous le verrez. »  

La première boîte de liquide, qui avait refroidi, ressemblait à présent à une couche de cire bleue condensée au reflet grisâtre.

Ayesha enleva le panneau de séparation, qui avait formé dans la boîte deux rainures hémisphériques et une troisième peu profonde. Elle prit un couteau sur la table et le glissa sur son poignet : le sang rouge vif jaillit abondamment. Lorsqu’elle eut rempli la moitié d’un verre à vin, elle demanda à Naela :

– « S’il vous plaît, aidez-moi à soigner cette blessure. »  

Si Ayesha les avait choisies toutes les deux, elle avait ses raisons.

Anna, qui avait la meilleure capacité d’apprentissage de toutes les sorcières de l’Association, était en mesure d’hériter de sa compétence. Quant à Naela, elle pourrait réduire efficacement sa douleur. À Taquila, les sorcières guérisseuses, qui étaient toujours en première ligne lors des combats, ne pouvaient venir en aide à la Société de Recherches. La plupart du temps, le laboratoire devait se contenter d’utiliser des herbes pour soigner la plaie une fois le sang recueilli.  

Si Roland, qui traitait de façon impartiale toutes les sorcières, ne lui avait donné l’espoir de vaincre les Diables, elle aurait préféré enterrer à jamais la méthode de fabrication des Sceaux. L’Union, comme la plupart des gens, avaient du mal à accepter l’idée de mélanger le sang d’une sorcière à celui d’un Diable. Personnellement impliquée dans le sujet, il lui était arrivé un jour de remettre en cause l’origine des sorcières. Etant donné le préjudice qu’une pareille confusion était susceptible de porter à la Bataille de la Divine Volonté, les membres de l’Union avaient décidé de garder le secret sur le procédé de fabrication des Sceaux.  

C’est la raison pour laquelle elle ne voulait pas que Sa Majesté y assiste.

Certaines rumeurs prétendaient que des sorcières auraient été séduites par les Diables.  

Même si tôt ou tard, Roland finirait par le découvrir, Ayesha espérait retarder ce moment.

– « C’est probablement une manière de refuser la réalité », soupira- t-elle intérieurement.

Quand le mélange fut à moitié solidifié, Ayesha inséra la Pierre Magique dans la cannelure et versa dessus son sang encore chaud. Tandis que le sang cramoisi s’écoulait dans la rainure, les caillots de sang bleu cobalt qui l’entouraient commencèrent à se tortiller. Leurs contours s’estompèrent progressivement et les deux sangs fusionnèrent en un bloc.

Ceci fait, la sorcière injecta du pouvoir magique dans le Sceau.

Soudain, la ligne de sang de couleur rouge émit de subtiles rayons de lumière et une multitude de points lumineux se répandirent dans la nervure. Celle-ci se dilatait et se contractait de façon rythmée : on aurait dit qu’elle respirait.  

Anna et Naela comprirent aussitôt ce qu’Ayesha avait voulu dire :

Le Sceau était “vivant”.