C’était juste après le coucher du soleil alors que le ciel n’était pas complètement noir. Des enfants et quelques femmes étaient rassemblés autour de la maison de Jiang. Ces enfants avaient environ 8 ans et l’aîné le même âge que Yi Yun. Ils étaient sales, vêtus de haillons et tenaient dans leurs mains de la bouse de vache qu’ils s’amusaient à jeter l’un après l’autre sur la porte de Xiaorou.
Une forte odeur émanait de ces excréments.
Il y avait là une vieille femme vêtue d’une longue robe noire et qui ressemblait à une sorcière. Elle se mit à danser et à marmonner des phrases incompréhensibles. On aurait dit qu’elle était en transe!
« Tous les Dieux sont mes frères et les Bodhisattvas mes sœurs! Éloignez-vous de moi, maladies et catastrophes! Fuyez vite, Spectre et Démons et vous, mauvais esprits envoûtants, montrez-vous! »
Il lui manquait les trois quarts de ses dents, ce qui ne l’empêchait pas de scander à pleins poumons ses divagations. Elle gémissait comme un fantôme.
Alors que sa voix atteignait son apogée, les enfants, de plus en plus excités, lancèrent de plus belle.
La bouse de vache provenait du bétail issu des fermes du clan Lian. Comme il y en avait beaucoup, il leur avait été facile de s’en procurer.
Pour les villageois, elle pouvait exorciser le mal!
La nouvelle des terribles saignements de Yi Yun s’était répandue comme un feu de brousse et vers midi, le clan Lian avait fait circuler l’information selon laquelle Yi Yun serait mort d’une maladie mystérieuse, une sorte de peste, ce qui avait provoqué la panique au sein du village.
La peste!
C’était un mot effrayant pour les gens simples du vaste désert aux yeux desquels les épidémies étaient terrifiantes, car elles tuaient bien plus que la famine.
Dans la chine antique, il y avait toujours une possibilité d’échapper à la peste mais dans les Grandes Plaines des Nuages cela équivalait à une condamnation à mort, car il n’y avait nulle part où s’enfuir sans risquer de se faire dévorer par des bêtes sauvages!
La plupart des tribus du vaste désert étaient arriérées et les dispensaires médicaux peu nombreux.
Face à ce fléau, les gens ne restaient pas là à attendre que la mort ne les emporte, ils avaient “inventé” plusieurs méthodes pour contrer cette maladie, dont l’une des plus courantes était l’”exorcisme des sorcières”.
Les sorcières, pour éloigner la peste, avaient recours à leur Danse en l’Honneur des Dieux. Mais personne n’en connaissait l’efficacité.
Cela pouvait sembler ridicule, mais dans ce désert peuplé de personnes ignorantes et incultes, on y croyait fermement!
Par ailleurs, les habitants des plaines étaient persuadés que la bouse de vache ou le sang de chien pouvaient éloigner le mal. Cela dit, le sang de chien étant utilisé depuis toujours pour pallier à la famine, il se faisait plus rare.
Par contre, la bouse de vache était commune, c’est pourquoi ils en maculaient les murs et les portes de la maison de Jiang Xiaorou afin d’emprisonner la maladie à l’intérieur et de l’empêcher de se propager.
De ce fait, les enfants, qui se disaient braves, les lançaient de toutes leurs forces. Ils se sentaient comme investit de l’âme d’un guerrier, se battant contre le mal!
« Il reste encore cet endroit! » S’écria un de leurs chefs en désignant du doigt une direction. Aussitôt, on vit voler une grosse quantité de bouse.
Le mur en question était situé près d’une fenêtre recouverte de feuilles de papier que Jiang Xiaorou avait mis toute la journée à poser, petit à petit, dans l’espoir qu’elle et son frère passeraient l’hiver au chaud.
Le papier coûtait cher au sein du clan Lian, mais il fallait bien se protéger du vent et du froid!
Puis soudain… Un tas de bouse traversa la fenêtre et vint souiller la pièce. Xiaorou était prostrée, assise à côté du lit, incapable de bouger!
Lorsque la nouvelle concernant son frère était tombée, elle avait été la première à l’apprendre, mais se refusait à croire à son décès, sachant qu’il était déjà revenu du royaume de l’au-delà. Deux hommes affirmaient même qu’il avait fait une chute de plus de cent mètres de haut dans la rivière!
« Il a sauté dans l’eau… Il est mort… »
Ces mots ne cessaient de tourmenter l’esprit de Jiang.
Son frère avait tellement changé et avec la pratique des arts martiaux, son corps était devenu plus résistant, plus fort! Comment pourrait-il mourir ?
…Un autre tas de bouse vint frapper deux bols posés sur la table, rendant ces derniers inutilisables! Mais Xiaorou n’y prêta pas attention.
Le siège de la maison dura tout l’après-midi.
– « protégez-vous! Cette jeune fille et son frère portent la poisse. Nous n’aurions jamais dû les accepter dans notre tribu! » Pesta une femme derrière la fenêtre cassée.
Elle était grande avec un visage allongé et de hautes pommettes : on aurait dit une musaraigne.
Le village était divisé en castes. Ceux qui portaient le nom de Lian jouissaient des meilleurs traitements, comme Lian Cuihua, que l’on appelait plus communément Tante Cuihua.
Elle était la meneuse et était arrivée là sur ordre du jeune Chengyu.
« Nous devrions brûler cette maison pour éviter que le mal n’en sorte. Le père de Da Tou a vu de ses propres yeux ce bâtard tomber malade, il a même dit qu’il était possédé! »
« Et quand il l’a touché, on aurait dit qu’un serpent l’avait mordu! La vie de ce sale mioche ne vaut pas plus que celle d’un chien! Comment le Seigneur Zhang a-t-il pu le choisir ? Ce mendiant, plus faible qu’une femme, un prodige des arts martiaux ?! »
« Comment croyez-vous que ce bon à rien ait pu devenir si puissant ? Tout simplement parce qu’il était possédé! » Harangua Lian Cuihua, la bave aux lèvres et le regard plein de haine.
Depuis quelques jours, Lian Cuihua répétait ces horreurs à chaque personne qu’elle rencontrait. Elle les tenait, bien sûr, de Lian Chengyu, qui, ne pouvant pas le faire personnellement, lui avait permis de répandre la rumeur. En effet, les gens étaient volontiers disposés à accepter l’explication de la possession comme justificatif au soudain talent de Yun.
Ce faisant, Chengyu pourrait conserver son autorité, après tout, il était la personne la plus talentueuse du clan tribal!
– « Ce que dit tante Cuihua à du sens. »
Quelques femmes, qui partageaient le patronyme de Lian, lui firent écho mais Xiaorou, dans sa maison, faisait la sourde oreille.
« Yun’er, où es-tu ? Pourquoi n’es-tu pas rentré ? »
Bien qu’elle sût que ses espoirs étaient minces, elle se refusait à croire en la mort de son frère…