– « Un cadeau ? » Dit Roland en levant un sourcil. « De quoi s’agit-il ? »
– « Les familles Hawes et Lista de la région du Nord… Votre Majesté, non contents de désobéir à vos règles, ils tentaient de former une coalition avec d’autres nobles pour se rebeller contre vous. Mon père a vu clair dans leur plan et a sévèrement châtié les deux familles. » Puis il ajouta avec une nuance de regret : « Cependant, je ne m’attendais pas à ce que vous repartiez aussi vite pour la Région de l’Ouest. Suite à une négligence de ma part, les deux têtes que j’avais l’intention de vous apporter à titre de preuve ont été détruites en chemin. »
– « Un instant! Votre père les a exécutés ? »
Cole regarda son “assistante” :
– « Euh…. Oui, Votre Majesté. »
De toute évidence, Kant était prêt à faire beaucoup plus d’efforts pour offrir ses services que Roland ne l’aurait supposé.
« Le fait qu’ils aient voulu me présenter les têtes des deux Comtes pour prouver leur loyauté témoigne qu’ils ne s’attendaient guère à être soutenus par la noblesse de la Région de l’Est. Ils n’avaient que peu d’espoirs de se joindre à eux pour résister à ma domination sur leurs terres », pensa-t-il. « Cependant, en l’absence de Rossignol, je n’ai aucune certitude qu’il mente. »
Après avoir réfléchi un instant, il murmura à l’oreille de Barov :
– « Ces deux familles sont-elles répertoriées dans la Région du Nord ?
– « Les Comte Hawes, dit “Tête de Cheval” et Lista, surnommé “Double Lance”, étaient à la tête de familles réputées de la Région du Nord, plus influentes encore que les cinq grandes familles de la Région de l’Ouest. Les ancêtres de Lista ont pris les armes et participé à une expédition pour le compte de la famille Wimbledon. Les deux lances figurant sur leur insigne héraldique ont été empruntés à la bannière du Royaume de Graycastle. » Barov se leva lentement et se caressa la barbe : « Bien entendu, cela s’est passé il y a plus de deux cents ans. À l’époque, le nom de Kant n’était pas très connu. Si je me souviens bien, sa famille n’est réellement apparue qu’il y a cinquante ans. Personne n’aurait pensé que Timothy choisirait Calvin Kant pour gouverner la Région du Nord, même s’il s’agissait avant tout de contenir les deux familles. S’il y avait eu trop de disparités dans les forces, non seulement il lui aurait été difficile de jouer son rôle, mais cela aurait facilement provoqué le mécontentement des plus anciennes familles. »
– « Si je comprends bien, il aurait dit la vérité ? » Demanda Roland, ignorant délibérément la dernière partie des explications du vieux directeur qui, visiblement, n’avait pas d’autre but que de faire étalage de ses vastes connaissances.
– « Eh bien… il est peu probable qu’il mente », murmura Barov. « Cependant, c’est une question de gloire chez les nobles : si vous acceptez leur allégeance et qu’il s’avère qu’il a menti, la Région du Nord sera sabordée d’elle-même. »
« C’est sensé, en effet », pensa Roland. « Qu’importe si c’est un mensonge. Ce qu’il faut retenir, c’est que s’ils sont disposés à renoncer à leurs terres, nous pourrons discuter. Mais si, en revanche, leur but n’est que de s’approprier du pouvoir, leurs cadeaux n’ont aucun sens, quelle qu’en soit la valeur. »
Roland regarda Cole et sourit :
– « Tout d’abord, je voudrais exprimer ma gratitude au Duc. Il est du devoir de chaque noble de défendre l’honneur de la famille royale. Votre père a fait du bon travail. Par ailleurs, les deux Comtes ont reçu la punition qu’ils méritaient. Le royaume ne se penchera pas davantage sur les actes du Duc Kant. »
– « Vraiment ? Père sera très heureux de l’apprendre », répondit Cole, visiblement soulagé. « Il a toujours voulu servir le véritable Roi et voilà qu’il en a l’opportunité. »
– « Je suis également très heureux d’accepter l’allégeance du Duc de la Région du Nord… Mais il devra se conformer aux nouvelles règles de Graycastle. »
– « Les nouvelles règles ? » Demanda Cole, légèrement surpris. « De quoi s’agit-il ? »
– « J’entends récupérer le pouvoir seigneurial de chaque noble », dit Roland en évaluant du regard la réaction de Cole. « Il n’y aura plus de titre de noblesse au sein du royaume. Dorénavant, le Roi sera le seul et unique Seigneur de toutes les terres de Graycastle. »
– « Comment ?! Mais, Votre Majesté, ceci… »
L’expression de Cole changea radicalement. À nouveau, il se tourna vers son assistante.
« Est-il vraiment le second fils du Duc ? Bien qu’il semble un peu plus jeune, il ne devrait pas réagir ainsi. Son assistante, au moins, a réussi à garder son calme, même si elle avait l’air un peu surprise. Bien entendu, il se peut aussi qu’elle n’ait pas compris le sens de mes paroles », pensa Roland.
– « Ne vous inquiétez pas, la noblesse restera la noblesse. Votre vie somptueuse ne va pas changer pour autant. Il se pourrait même que vous ayez une chance d’atteindre de nouveaux sommets! »
Il frappa dans ses mains pour demander à un préposé de préparer le “manuel promotionnel”. « La Forteresse de Longsong a mis en place une nouvelle série de règles. Dans ce manuel, vous trouverez de nombreuses illustrations de ces changements ainsi que des exemples tirés de véritables vies de nobles. En apparence, on pourrait croire que la noblesse a perdu de son pouvoir mais en réalité, ces règles ont délivré les nobles de leurs seigneuries féodales et leur ont permis de s’engager au sein du royaume, voire même sur la plus grande scène de tout le continent. »
Cole était complètement perdu.
– « Mais… je ne sais pas… »
Devant la réaction de Cole, Roland se sentit déçu. Mais en y réfléchissant, c’était un peu normal : le second fils du Duc, qui entrait à peine dans l’âge adulte, n’était probablement qu’un messager sans réel pouvoir de décision.
« Quoi qu’il en soit, vous pouvez faire porter le message au Duc Calvin. En attendant sa réponse, je vous invite à passer quelques jours à la Cité Sans Hiver pour profiter de son paysage unique. Je suis certain que vous allez l’apprécier. »
Même si le fait que le Duc ait envoyé son fils était une preuve de sa sincérité, Roland n’avait pas l’intention de laisser passer cette opportunité. En retenant temporairement son fils, il empêchait ainsi le Duc de se montrer imprudent.
Alors qu’il pensait que l’entretien était terminé, Cole lui soumit une autre requête :
– « Votre Majesté, puis-je faire un tour dans votre domaine pour voir comment le bateau à aubes et la machine à vapeur sont fabriqués ? »
Cette demande surprit Roland qui le regarda avec intérêt :
– « Cela vous intéresse ? »
– « Oui. Lorsque je me trouvais à la Cité du Roi, j’ai entendu parler d’un navire très étrange et en arrivant dans la Région de l’Ouest, je me suis aperçu qu’il y en avait partout. Je serais curieux de découvrir comment un bateau à aubes peut se déplacer sans voiles », répondit Cole, la main sur le cœur.
– « Je vois », dit Roland en souriant. « Je vais demander au Directeur Barov de vous arranger ça. »
Cette affaire terminée, Roland retourna dans son bureau. Il était sur le point de terminer le dessin en cours lorsqu’il entendit frapper un coup sec à la fenêtre. Il se retourna et, à sa grande surprise, aperçut deux silhouettes.
Foudre était assise sur le rebord de la fenêtre pendant que, Maggie, accroupie sur la tête, picorait la vitre.
Le cœur de Roland se serra : « Cela ne fait que trois jours qu’elles sont parties. Le bateau à aubes n’était pas censé revenir aussi vite. Y aurait-il eu un accident ? »
Nerveux, il ouvrit la fenêtre :
– « Pourquoi êtes-vous revenues seules ? Qu’en est-il des autres ? »
– « Votre Majesté, nous avons capturé un Diable! »
– « Cependant, Anna, Chloris et Rossignol ont été blessées, Goo! »
– « Rassurez-vous, il n’y a rien de grave! »
– « Mais c’est assez douloureux, Goo. Pourriez-vous demander à Mlle Naela de nous accompagner ? »
Toutes deux parlant en même temps, Roland avait l’impression d’être sur les montagnes russes. Il soupira :
– « Vous êtes certaines qu’il n’y a rien de grave ? »
– « Absolument, Goo! »
– « Je vais envoyer chercher Naela » dit-il en se dirigeant vers la porte. « La prochaine fois, pensez à tout me raconter d’un seul trait! »
Le lendemain soir, deux bateaux à aubes se profilèrent à l’ouest de la Rivière Écarlate.
La Première Armée resta en arrière, fit évacuer le ponton n ° 22, et prépara un chariot couvert afin d’éviter que la foule ne panique à la vue du Diable. Un baraquement temporaire fut installé dans les jardins à l’arrière du château pour servir de laboratoire et de centre d’études des Diables et des Sceaux, sous la supervision de Chloris.
En voyant Anna et Rossignol descendre le pont à tréteaux, Roland se sentit vraiment soulagé. Il n’y avait que quatre jours qu’elles étaient parties, cependant, il avait l’impression que leur absence avait duré des mois. Le temps avait encore ralenti lorsqu’il avait appris qu’elles étaient blessées.
– « Cette mission était particulièrement difficile », dit Roland en tendant les bras à Anna, souriant.
Sans un mot, celle-ci se précipita dans son étreinte et le serra fortement contre elle.
Rossignol soupira.
– « Vous avez dit que vous nous attendriez au château! Le quai n’est pas sûr, Votre Majesté. »
Roland se mit à rire :
– « Vous avez vécu une rude épreuve, vous aussi. »
– « Eh bien… », dit-elle en tournant douloureusement la tête. « En fait, tout s’est bien passé. »
Anna relâcha son étreinte et tira Rossignol vers Roland.
Ce furent ensuite Wendy, puis Chloris…
Cette fois, toutes les sorcières lui donnèrent une accolade, y compris Ayesha et Ivy.
Sous le reflet rouge sombre du soleil couchant, leurs ombres semblaient s’étirer à l’infini.