Au fond du ballon, Foudre découvrit le sac de poudre fixé sur la poche à air et tira l’amorce. En voyant de la fumée blanche sortir du sac de poudre, elle s’envola aussitôt et fila droit vers la mer.  

C’était un simple dispositif d’autodestruction. Une fois que les ennemis auraient commencé à suivre l’Oeil de Faucon, les appâts avaient pour instruction de le détruire afin d’éviter que, trop intrigués par ce nouvel objet, les Diables n’en oublient de poursuivre les sorcières.

Au moment même où la jeune fille atteignait la surface de l’océan, une forte explosion retentit et un éclair illumina le ciel.

Foudre leva les yeux et vit l’airbag gonfler devenir une énorme boule de feu rouge orangée, créant une épaisse fumée. Les flammes brûlèrent longtemps. On aurait dit un coucher de soleil.  

Un Diable, qui s’était approché trop près des flammes tumultueuses, se retourna, prit feu et tomba droit dans la mer avec sa monture.

Fuyant la fumée, les quatre autres se précipitèrent vers la sorcière.

Jusqu’à présent, tout se déroulait comme prévu.

En fin de compte, les Diables n’était guère intelligents.

Le sourire aux lèvres, Foudre survola la surface de l’eau en direction de la forêt.  

Il s’agissait à présent de les conduire au plus profond des bois où Chloris prendrait le contrôle de la situation.

Le terrain avait été aménagé en conséquence et Chloris attendait tranquillement que les Diables tombent dans le piège.

Les branches entremêlées, les vignes et l’herbe coupante seraient un véritable cauchemar pour les ennemis…enfin, si toutefois ils rêvaient.

À l’aide de son l’Oeil Magique, Sylvie scruta la zone d’embuscade. Les bois, sous le contrôle de Chloris, étaient d’un vert brillant. Vu du ciel, on aurait dit une fiole enfoncée dans la terre dont le col s’étendait sur plusieurs kilomètres, sa gueule était tournée vers la mer.

Bien qu’elle eût le vertige, la jeune femme se mit à scruter l’intérieur de chaque tronc d’arbre. Les nombreux détails qui grouillaient autour de sa tête lui causaient une grande douleur. Enfin, Sylvie découvrit Ayesha cachée dans un grand arbre près de l’embouchure de la “fiole”.

Au moment même où Maggie touchait le sol, le tronc s’entrouvrit.

Ayesha passa la tête par l’ouverture :

– « Que faites-vous ici ? » Demanda-t-elle. « Notre plan pour attirer les Diables aurait-il échoué ? »

– « Non », répondit-elle en sautant du dos de sa monture. « Cinq Diables nous ont prises en chasse. »

Sylvie souleva Maggie qui avait retrouvé forme humaine et se cacha à la hâte dans le tronc. « Mais trois d’entre eux sont différents! »

– « Comment ça, différents ? »

Sylvie lui décrivit les Diables qu’elle avait aperçus et vit la stupéfaction se peindre sur le visage d’Ayesha.

Le cœur lui manqua :

– « Allons-nous rencontrer des difficultés ? »

Ayesha mit un bon moment à retrouver ses esprits.

– « Ceux qui portent des chapes sont des Diables Terrifiants. Ce sont d’horribles tueurs pour des gens ordinaires mais les sorcières n’ont rien à craindre d’eux à condition d’éviter de les regarder dans les yeux. Ceux-ci se cachent sous les affreuses cicatrices de leurs visages brûlés. »

– « Je vois », murmura Sylvie.

Selon d’antiques récits de sorcières, ces Diables, qui avaient le pouvoir d’influencer l’âme de leurs ennemis, semaient en eux la peur, la terreur, la confusion et le désespoir. Trois ou quatre Diables Terrifiants suffisaient à mettre en déroute une troupe d’une centaine de mortels. Trop effrayés pour réfléchir, la plupart d’entre eux tombaient à genoux en tremblant, attendant d’être massacrés. Même si la Pierre du Châtiment Divin était en mesure de réduire cet effet de manière importante, elle ne pouvait pas les éradiquer totalement. Apparemment, ces Diables étaient nés avec la capacité de contrôler les émotions car on ne discernait aucune fluctuation de leur pouvoir magique.

– « Qu’en est-il du Diable en armure, capable de voler sans monture ? Serait-ce un Seigneur des Enfers ? »

– « Non! » Répondit Ayesha d’une voix basse et rauque. « Si votre description est exacte, je pense qu’il s’agit d’un Diable Supérieur. Nous allons avoir des problèmes. »  

– « Un Diable Supérieur ? » Répéta Sylvie, totalement déconcertée.

– « L’Union ne sait pas grand-chose à leur sujet, excepté le fait qu’ils ressemblent aux humains, mais en beaucoup plus grand, et possèdent de nombreuses capacités. Ils sont très forts et leur pouvoir magique est extrêmement puissant. » Elle déglutit : « On dit que seules les Transcendantes peuvent rivaliser avec eux. »

– « Les Transcendantes ? Mais nous n’avons pas même une Extraordinaire avec nous », répondit Sylvie, fébrile. « Ordonnez à Chloris de tout arrêter. Nous devons battre en retraite et rejoindre la Première Armée. »

Ayesha se mordit la lèvre.

– « S’il peut voler sans monture, c’est grâce à la Pierre de Vol. Foudre et Maggie pouvant également voler, ce ne sera guère un problème pour elles. Par contre, si nous quittons la protection de Chloris, nous ne lui échapperons pas. Personnellement, je n’ai encore jamais vu de Diable Supérieur, cependant, Alice m’a dit un jour que les sorcières devaient se concentrer lors des combats avec ces démons rusés et puissants, la moindre petite erreur pouvant nous être fatale. »

Elle frappa contre le tronc et la voix de Chloris résonna au-dessus de leur tête :

– « J’écoute. Que se passe-t-il ? »

– « Changement de plan! Informez toutes les sorcières que nous passons au plan B. Que surveille le Diable en armure ? Et si jamais Anna en a l’opportunité, qu’elle n’hésite pas à le tuer. » Dit fermement Ayesha.

Le plan B signifiait abandonner la phase de capture et utiliser le Sceau de la Volonté Divine, pour éliminer tous les ennemis.  

– « Allons-nous vraiment affronter le Diable Supérieur ? » Demanda Sylvie en s’accrochant à Maggie.

– « Nous enfuir ne nous mènerait qu’à la mort. Par contre, si nous tentons de les combattre du mieux que nous pourrons, nous avons une chance de rester en vie », répondit calmement Ayesha. « Il est rare qu’un Diable Supérieur se montre seul, mais comme il n’a pour gardes que deux Diables Terrifiants, nous avons des chances de l’emporter et ce même sans la présence d’une Transcendante! »  

– « J’aperçois Foudre », dit Chloris. « Ils arrivent! »

– « Chut… »

Sylvie retint son souffle. Elle entendit des rugissements provenant de la cime des arbres, puis des objets lourds tombèrent sur le sol non loin d’elles.

Un bruit de pas rapides résonna dans la jungle et s’estompa aussitôt. On n’entendait plus que le faible rugissement des Bêtes Démoniaques.

– « Que se passe-t-il à présent ? »

– « Le Diable en armure n’a pas encore atterri. Il suit toujours Foudre. Les autres ont laissé leurs montures à l’extérieur des bois et la suivent également. Attendez! Il manque un Diable! » Sylvie scruta attentivement les alentours : « Il n’y a plus que trois Bêtes Démoniaques près de nous. »

– « Bien! Je vais d’abord nous débarrasser de ces stupides reptiles afin qu’ils ne puissent pas s’échapper si jamais ils en avaient l’intention », dit Ayesha en écartant l’écorce fissurée : « Vous n’êtes pas une sorcière de combat, aussi, restez ici et cachez-vous. »

– « Mais ils savent voler ! » dit Sylvie, inquiète. « Et s’ils décidaient de s’échapper par les airs ? »

– « Tranquillisez-vous », répondit-elle en regardant la jeune fille qui semblait pressée de se joindre à elles. « Nous avons Maggie. »

Soudain, derrière elles, une “Bête Démoniaque” descendit du ciel, déploya ses ailes, agita sa queue et se mit à rugir à l’adresse des montures qui attendaient patiemment.  

Aussitôt, leur attention fut mobilisée.

À la surprise de Sylvie, les trois Bêtes Démoniaques se mirent à imiter Maggie, déployant leurs ailes et remuant leur queue. On aurait dit qu’elles dansaient! Afin de gagner davantage d’espace de performance, ils se sont poussés l’un l’autre et ont refusé de reculer.

Essayaient-elles de la divertir ?

De l’autre côté, Ayesha se faufila hors de la forêt tandis qu’une couche de glace blanche et cristalline se formait sous ses pieds.