Le lendemain matin, Roland emmena les sorcières dans un endroit situé au nord des remparts, près de la Forêt aux Secrets, afin de tester les pouvoirs magiques de Brise, Ivy et Plume.
Ils étaient accompagnés de Rossignol, Wendy, Carter et Hache-de-Fer. La Première Armée avait fermé l’accès aux prairies à proximité et Chloris gardait la forêt.
Plume fut la première à passer le test.
Elle avait de longs cheveux brun-roux, une jolie frange qui lui couvrait les sourcils et ne paraissait guère plus grande que Honey qui mesurait tout au plus un mètre quarante. Agée d’environ seize ans, il y avait déjà quatre ans qu’elle était devenues sorcière, ce qui était plutôt précoce. Elle avait donc vécu la Morsure du Démon quatre fois, en conséquence, son pouvoir magique était bien plus important que celui de la plupart des jeunes sorcières. Il était d’environ la moitié de celui qu’Anna possédait avant de devenir adulte.
Plume s’avéra très habile dans le contrôle de son pouvoir. Elle pouvait rendre un objet entier très collant ou n’affecter qu’un côté ou un endroit particulier de celui-ci. Pour ce faire, Plume ne consommait guère de magie. Durant le test, c’est à peine si Rossignol pouvait remarquer les modifications de son pouvoir.
– « Combien de temps cet objet peut-il rester collant ? » Demanda Roland.
– « Si j’utilise tout mon pouvoir pour coller deux pierres ensemble, l’effet persistera durant des décennies », répondit la sorcière avant d’ajouter : « Cependant, je n’ai jamais essayé. Ce n’est qu’une supposition fondée sur ma consommation de magie. »
– « Dans ce cas, quelle est la plus grande chose sur laquelle vous avez exercé votre pouvoir ? »
– « Une digue », répondit Plume, un soupçon de fierté dans les yeux. « Un jour, durant une marée haute, il y eu une fissure de la taille d’un bras dans une section du mur de l’Île Dormante. Lotus n’étant pas là, j’ai aussitôt encollé la fissure et l’ai remplie de lin et de cailloux pour la refermer. Sans cela, le mur n’aurait pas pu supporter l’impact des vagues », conclut-elle.
En l’écoutant, sans vraiment savoir pourquoi, Roland avait le sentiment qu’elle attendait des félicitations.
– « Excellent travail », dit-il en hochant la tête.
Se sentant reconnue, Plume retrouva aussitôt son calme. À sa manière de s’exprimer et de se comporter, personne n’aurait pu imaginer qu’elle n’était encore qu’une adolescente. De toute évidence, elle avait appris à dissimuler ses émotions.
« Peut-être est-ce dû à son passé… Je me demande ce qu’ont bien pu vivre les sorcières de l’Association du Croc Sanguinaire avant de se retrouver sur l’Île Dormante », soupira Roland, pensif.
Brise fut la prochaine à passer.
Après une gracieuse révérence, elle dit au Prince :
– « J’ai si longtemps regretté de ne pas pouvoir rester davantage dans la Région de l’Ouest que vous ne pouvez imaginer à quel point je suis heureuse d’avoir eu la chance de revenir. Si vous avez besoin de mon aide, je vous en prie, faites-le moi savoir. »
– « Raison de plus pour profiter pleinement de votre séjour à la Cité Sans Hiver. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à demander de l’aide à Wendy », répondit Roland en souriant.
Brise, qui avait environ 25 ans, était un peu plus âgée que Rossignol. Elle portait bien son nom car telle une brise printanière, elle apportait réconfort et bonheur aux gens qui l’entouraient. Nul n’aurait pu deviner qu’en réalité, c’était une sorcière de combat. Son pouvoir, appelé “contrôle de terrain”, lui donnait la capacité d’imposer sa volonté à toute personne se trouvant dans un rayon de cinq mètre autour d’elle.
Quoi que ses compétences fussent inutiles face aux attaques à longue distance comme les flèches d’arbalète ou encore les lances, elle était quasiment invincible dans les combats rapprochés.
Etant donné qu’il s’agissait d’une capacité de type “invocation”, elle était affectée par la Pierre du Châtiment Divin. Quand bien même elle invoquerait son pouvoir plus de dix fois par jour, la sorcière ne consommait pas plus de la moitié de sa réserve magique. Elle pouvait également l’utiliser tout en se déplaçant. Ce “contrôle de terrain” étant indétectable, ses ennemis étaient dans la quasi-impossibilité de parer ses attaques surprises. Si elle parvenait à s’en approcher à moins de cinq mètres, elle avait le contrôle absolu sur ses adversaires.
De toute évidence, cette capacité serait excellente pour observer les Diables de près.
La dernière sorcière à passer le test fut Ivy.
Mince mais dynamique, elle avait environ 20 ans et portait une tenue ajustée en cuir noir avec des bottes à hauteur du genou. Ses cheveux châtains, qui lui descendaient jusqu’à la taille, brillaient au soleil.
Ivy ignorait que si Tilly avait choisi de l’envoyer dans la Région de l’Ouest, c’est parce qu’elle possédait une compétence indispensable pour capturer les Diables : sa “cage magique”.
En un clin d’œil, elle pouvait invoquer des cages pour capturer les ennemis à proximité et les comprimer pour les écraser. Une fois pris au piège, le sujet devenait aussi léger qu’une plume ce qui fait que si elle venait à capturer un éléphant, elle pourrait facilement le ramener à la Cité Sans Hiver.
Cette “cage magique” étant indispensable à la réussite de son plan, Roland lui posa des questions détaillées.
– « Quelle est la taille maximale du sujet qu’il est possible de capturer ? »
– « Ma consommation de pouvoir varie en fonction de la taille », répondit-elle, « cependant, même une baleine ne pourrait m’échapper. »
– « Combien d’ennemis pouvez-vous capturer simultanément ? » Poursuivit Roland.
– « Deux. » Elle écarta les bras : « Je n’ai que deux mains, Votre Majesté. »
– « Rien ne peut s’échapper ? »
– « Non. Les cendres elles-mêmes ne peuvent en sortir que si je les libère », répondit la sorcière.
Tandis que Roland marquait une pause pour réfléchir à la prochaine question, Ivy prit l’initiative de faire une suggestion.
– « Pourquoi ne pas prendre quelqu’un pour tester ma capacité ? Maggie conviendrait parfaitement. J’ai entendu dire qu’elle avait évolué et pouvait maintenant se transformer en un monstre puissant. Si vous constatez que, même sous cette forme, elle ne peut pas sortir de mon piège, vous serez sans doute rassuré sur mes capacités. »
« C’est une bonne idée », pensa Roland. « Le monstre dont Maggie prend l’apparence ressemble aux montures des Diables et les sorcières vont sans doute en rencontrer dans le cadre de leur expédition pour en capturer. »
Après quelques minutes de réflexion, il adressa un signe de tête à Rossignol :
– « Dites à Chloris de faire venir Maggie. »
Lorsqu’elles n’étaient pas en patrouille, Foudre et Maggie avaient coutume de survoler la Forêt aux Secrets. Guidées par Chloris, elles pouvaient à la fois s’amuser et manger des choses délicieuses comme ces champignons Bec d’Oiseau ou encore les œufs qu’elle dérobaient dans les nids. Avec toutes ces friandises, lorsque Maggie se transformait en pigeon, elle était maintenant aussi grande qu’un aigle à tête blanche. Cependant, lorsqu’elle reprenait forme humaine, elle restait toujours cette jeune fille aux longs cheveux blancs.
Quelques minutes plus tard, toutes deux apparurent dans le ciel.
Maggie se posa, comme d’habitude, sur la tête du Prince et dit :
– « Maggie est là, Goo, que puis-je faire pour vous ? »
Roland lui parla brièvement du test :
– « Je voudrais que vous vous transformiez en oiseau démoniaque et que vous tentiez de vous libérer de la cage magique d’Ivy. »
– « Je vois, Goo! »
Aussitôt, Maggie s’envola et se changea en un immense oiseau, cachant le soleil. En la regardant, Roland s’aperçut que sous cette forme, elle était beaucoup plus grande qu’elle ne l’avait été au moment de son évolution.
– « Commençons », dit-il à Ivy.
Avec un ricanement et une lueur de mépris dans ses yeux, la sorcière étendit sa main droite. Aussitôt, une douzaine de faisceaux lumineux violets apparurent au-dessus de Maggie. Très vite, ils formèrent comme une sphère autour de l’oiseau géant.
Quoique les barreaux de la cage ne fussent pas très épais, Maggie eut beau les mordre, les griffer, elle ne put se libérer. Ivy contrôlait la cage avec une grande facilité. De sa main gauche, elle aurait même pu capturer simultanément un Diable.
Roland était sur le point de mettre fin au test lorsque soudain, Ivy serra le poing.
Aussitôt, la cage se resserra et Maggie poussa un cri de douleur.