– « Qu’avez-vous dit ?! » S’écria Calvin Kant, Seigneur de la cité de la Nuit Eternelle et Duc de la Région du Nord.
Il se leva brusquement et, regardant le messager d’un air désapprobateur, renversa la tasse d’eau qui se trouvait sur la table de chevet. Celle-ci heurta le sol et se brisa.
– « Votre Grâce, je l’ai vu de mes propres yeux! » Dit le messager en baissant la tête. « En l’espace d’une journée, le Prince rebelle a ouvert une brèche dans les remparts de la Cité du Roi. Le Roi lui-même n’a pas réussi à s’échapper. J’ai bien peur qu’il ne soit mort à l’heure qu’il est. »
– « Comment cela pourrait-il être ? » Murmura Calvin. « Il s’agit de la Cité du Roi! »
Son mur de pierre bleue, de plus de 54 mètres de haut, était gardé par des milliers de soldats équipés de catapultes et de poudre de neige. À moins de posséder une armée de 20 à 30 000 hommes, personne n’aurait pu franchir ces remparts. En admettant que le Prince Roland ait une armée de cette taille, il était malgré tout difficile d’imaginer qu’il ait pu prendre la ville en un seul jour!
– « Ils avaient des armes à feu terriblement puissantes », dit le messager dont la voix tremblait, sans doute en raison de la fatigue car il avait voyagé toute la nuit, à moins que ce ne soit l’effet du choc vécu sur le champ de bataille. « Ils tiraient sans interruption et leurs armes étaient trop puissantes pour les chevaliers. L’armée du Roi elle-même n’a pas pu les arrêter. Tous ceux qui tentaient de les approcher étaient soit tués, soit grièvement blessés… Comparés à leurs armes à feu, les fusils à silex du roi n’étaient que des bâtons de fer inutiles et grossiers. »
L’esprit de Calvin était vide : le monde venait de s’écrouler. Tout était fini.
Quelques jours plus tôt, il avait reçu un ordre de Timothy lui demandant d’envoyer une armée pour soutenir la Cité du Roi. En sa qualité de nouveau Duc de la Région du Nord, il était tenu d’obéir, aussi, après délibération, avait-il réuni une armée de 2 500 hommes comprenant des soldats issus des troupes de Hawes, dit “Tête de Cheval”, de Lista, le “Renard des Neiges” et de sa propre famille. Il était prévu que cette armée partirait pour la Cité du Roi après la fonte de la neige. Etant donné qu’en temps normal, une guerre de siège durait des mois, il n’aurait jamais imaginé que ses hommes arriveraient trop tard.
Son armée, principalement composée de mercenaires et d’hommes libres, comptait très peu de Chevaliers et de serfs car la saison des labours allait bientôt commencer. Mais qu’importe : aux yeux du nouveau roi, il serait coupable de rébellion, aussi craignait-il qu’avant peu, ses plus beaux jours ne s’achèvent.
Soudain, la pensée de sa fille, particulièrement brillante, lui traversa l’esprit :
« Edith! Elle aura peut-être une idée qui puisse nous sauver. »
– « Allez quérir ma fille aînée et amenez-la-moi ! » Ordonna-t-il au garde qui se tenait à ses côtés.
Quelques minutes plus tard, Edith entra, vêtue d’une tenue ajustée, son épée à la main. Ses cheveux étaient tirés en chignon et de petites gouttes de sueur perlaient sur son nez. Comme d’habitude, elle s’entraînait au combat à l’épée et pour l’heure, semblait légèrement fâchée :
– « Je vous ai déjà demandé de ne pas me déranger lorsque je m’entraîne. »
– « Je sais. Je vous en avais fait la promesse mais là, nous avons de gros problèmes! » Répondit Calvin qui s’empressa de lui rapporter les paroles du messager avant de demander :
« Qu’allons-nous faire ? »
Impatient, il regardait sa fille, espérant qu’elle serait en mesure de lui apporter une solution. Parmi toutes les perles de la Région du Nord, Edith Kant était la plus brillante. D’une rare beauté, elle était également un fin stratège et une politicienne hors pair. Celle qui surpassait jusqu’à ses frères avait largement contribué à ce que son père, de Comte, soit nommé Duc de la Région du Nord.
Stupéfaite d’apprendre que le Prince Roland avait conquis la Cité du Roi en un jour, la jeune femme retrouva aussitôt ses esprits et dit calmement :
– « Vous comprenez à présent pourquoi j’ai refusé d’épouser Timothy ? »
Calvin la regarda, surpris :
– « Vous saviez qu’il allait finir ainsi ? »
Après sa victoire contre Ise, le Duc rebelle, Timothy était resté quelque temps dans la région du Nord. Comme beaucoup d’hommes, il avait les yeux rivés sur Edith mais celle-ci s’était arrangée pour éconduire son messager. Confus, son père lui reprocha d’avoir refusé le Roi car si elle avait épousé Timothy et était devenue Reine comme c’était le rêve de nombreuses jeunes filles, le statut de la famille Kant aurait été mieux assuré.
– « Vous dites que la Cité a été prise en une journée ? Vraiment, je n’aurais jamais cru cela possible. » Edith défit son bandeau et laissa tomber ses longs cheveux verts : « Ce n’était simplement pas la bonne personne. »
« Pas la bonne personne ? Existe-t-il seulement quelqu’un qui vous convienne ? Son règne a peut-être été court, cependant, à l’époque, il était Roi de Graycastle! » Pensa Calvin qui s’abstint cependant de faire part de ses doléances à sa fille.
Si celle-ci persistait à refuser de se marier, il avait décidé de lui céder son titre de Duc dans la mesure où elle était plus apte que ses frères à assurer l’avenir de la famille.
– « Quoi qu’il en soit », dit Edith en se penchant pour ramasser les morceaux de la tasse de porcelaine brisée, « il vous faut d’abord ordonner à l’armée de rentrer. »
– « Mais ils sont partis depuis quatre jours et je n’ai aucune idée de la route qu’ils ont empruntée! J’ai bien peur qu’il ne soit trop tard. »
– « Ce n’est pas un problème », répondit sa fille en arrangeant les morceaux de la tasse de manière à représenter trois villes. « Vous n’avez qu’à envoyer dès aujourd’hui quelqu’un à Grandval. S’il part immédiatement, il arrivera en ville ce soir. Dès demain, il pourra prendre un bateau pour la Cité du Roi qu’il atteindra avec au moins un jour d’avance sur l’armée. Quel que soit l’itinéraire que ceux-ci ont emprunté, ils seront contraints de rejoindre la route principale menant à la porte nord donc si votre messager arrive en sens inverse, il les verra et pourra les arrêter à la périphérie de la Cité du Roi. »
– « Je vois », dit le Duc qui lui tapota la tête en pensant : « Pourquoi n’y ai-je pas pensé ? Sans doute étais-je sous le choc de cette nouvelle, trop soudaine et inattendue.
« Je vais immédiatement écrire une lettre! » Dit-il. « Ou plutôt, non, je vais envoyer un garde muni de mon sceau et de mon ordre. »
Après le départ du garde venu retirer l’ordonnance, Edith dit doucement :
– « Père, croyez-vous que nous soyons en mesure de résister à l’attaque du Prince Roland ? »
Calvin frissonna. Bien que deux fois plus solides que ceux de la Cité de la Nuit Eternelle, les remparts de la Cité du Roi n’avaient pas résisté longtemps devant les puissantes armes à feu de Roland.
– « Je ne pense pas », répondit-il.
– « Dans ce cas, le retrait de l’armée ne suffira pas », dit-elle en haussant les épaules. « N’oubliez-pas que c’est Timothy qui vous a nommé Duc aussi est-il tout à fait naturel que le Prince Roland nous considère comme des ennemis. Il nous détruira, soyez-en certain, ce n’est qu’une question de temps. C’est pourquoi il faut faire davantage. »
– « Suggéreriez-vous que je devrais me tourner vers le Prince Roland ? » Demanda Calvin, hésitant. « Mais pourquoi me ferait-il confiance ? »
– « Montrez-vous sincère », répondit doucement sa fille. « Lorsqu’ils apprendront la nouvelle, la plupart des nobles prendront peur devant la victoire écrasante du Prince Roland sur Timothy et refuseront de s’unir pour l’affronter. Ceci étant, nous devons nous rendre au plus vite. À mon avis, je ne suis pas la seule à penser de la sorte, c’est pourquoi nous devons nous montrer suffisamment sincères pour gagner sa confiance et nous démarquer. »
– « Mais comment ? »
Avant-même que Calvin n’ait eu le temps de comprendre, Edith prit son épée et, avec un sourire, fracassa deux des morceaux de porcelaine.
– « Ne trouvez-vous pas que les familles Hawes et Lista feraient de beaux cadeaux ? »