En arrivant à la Taverne du Mouton, le groupe fit une rapide enquête et obtint l’adresse de Mans.  

– « Je vais y aller la première pour jeter un coup d’œil. Les hommes, vous entrerez ensuite par la porte principale. Assia, gardez l’œil sur Foudre et Maggie, ne les laissez pas entrer », ordonna Rossignol avant de disparaître dans son brouillard.

Dans son monde en noir et blanc, les lignes qui composaient chaque contour commencèrent à se tordre et à se déformer. Elle repéra immédiatement une fissure invisible à l’œil nu et traversa le mur sans difficulté.

Le logis de l’homme était aussi humble que celui de Pelle. De toute évidence, Mans était démuni depuis qu’il avait perdu son emploi de patrouilleur. Rossignol constata qu’il n’y avait pas de Pierre du Châtiment Divin dans les environs. Elle eut tôt fait de repérer sa cible. L’homme était dans sa chambre, profondément endormi sous la couverture. Son manteau pendait au pied du lit et il y avait des traces de sang sur les manches.  

La sorcière retourna au séjour et ouvrit la porte. La police surgit aussitôt. Comme Mans venait de se réveiller en sursaut, ils le poussèrent en arrière sur son lit et le ligotèrent.

– « Qui êtes-vous ? Laissez-moi partir! » Cria-t-il, horrifié.

– « Vous êtes en état d’arrestation pour meurtres! » Dit René qui lui asséna deux fortes gifles pour le réduire au silence. « Comment osez-vous comploter contre Son Altesse! Il serait encore trop bon s’il vous faisait pendre à la porte de la ville! »

– « Mais je… je n’ai pas… »

– « Ah non !? »

Les claques devinrent des coups de poing. Mans eut quelques gémissements étouffés : la bouche en sang, il haletait de douleur et une de ses dents était brisées. « Nous vous avons vu assassiner Pelle la nuit dernière. Vous vous imaginez que nous allons croire vos ruses ? Vous avez utilisé de l’Eau des Rêves pour l’assommer puis vous l’avez étranglé avant de lui couper la gorge afin d’éviter de faire couler votre propre sang.  Malin, hein ? »

Mans ne répondit pas.  Dans son regard, on pouvait lire la stupéfaction et l’effroi.

– « Qui vous a donné l’ordre de tuer des Rats qui avaient postulé pour un emploi ? Qui vous a demandé de dessiner une couronne et une croix avec du sang sur les lieux du crime ? » Rossignol prit sur la table de nuit un flacon de verre encore à moitié rempli d’un liquide bleu pâle : « L’Eau des Rêves est plutôt chère. Il n’est pas facile de s’en procurer, surtout maintenant que les organisations ont été éradiquées. »

– « Je… »

– « Si vous videz votre sac, nous pourrons vous éviter la peine de mort », dit René en joignant les mains. « Sinon, je vais vous faire comprendre ce qu’il en coûte d’exaspérer un aristocrate. »

Même si elle savait que le Comte Elk mentait, Rossignol ne tenta pas de s’interposer. Comme l’avait dit Son Altesse, la sécurité territoriale était la priorité absolue et toute personne qui la menaçait devrait être sévèrement punie.

Comme Mans hésitait encore, de nouveaux coups de poing s’abattirent sur lui.

Le Chevalier, qui était entraîné au combat professionnel, le frappa entre l’abdomen et les côtes, suffisamment fort pour lui infliger une douleur atroce, mais pas assez pour le tuer.

– « Pitié! Pitié! Je suis désolé, Monseigneur! C’est un type du centre-ville qui m’a demandé de le faire! Il me payera quatre Royals d’or pour chaque personne que je tue. Il a dit que de cette façon, les gens en voudraient à la police et penseraient que ces hommes en uniforme noir sont incapables de protéger le peuple. Qu’ainsi, nous pourrions reformer la patrouille! »

Mans s’effondra. Mentalement, il n’était pas très résistant. Quelqu’un de fort n’aurait jamais choisi d’être patrouilleur, de vivre de vols et de pillage et n’aurait certainement pas pris la vie de quatre personnes pour seulement quelques Royals d’or. Rossignol se dit qu’il ne s’attendait probablement pas à être traqué par le Ministère de la Justice si peu de temps après avoir commis le crime ni découvert dans une ville de 20 000 habitants en seulement quatre jours.

En larmes, Mans avoua tout, maculant son col de sang et de morve.

– « Je ne sais pas comment il m’a trouvé. Notre première rencontre a eu lieu dans une taverne. Il m’a remis cette bouteille d’Eau des Rêves et m’a dit que si je faisais ce qu’il me demandait, je gagnerais beaucoup d’argent. À ce moment-là, je n’avais pas d’économies et la police avait rejeté ma demande. J’étais amer et plein de ressentiment. »

– « Jamais le département de police n’embauchera une ordure comme vous », dit René en crachant de dégoût.

– « Connaissez-vous le nom de cet homme ? » Demanda Rossignol.

– « Je n’en ai aucune idée. »

– « Vous mentez. »

– « Je vous jure que je ne sais pas! »

Rossignol regarda René qui comprit aussitôt l’allusion et lui asséna de nouveaux coups de poing.

– « La dame que vous voyez est une sorcière. Elle a le pouvoir de savoir si vous mentez ou non, aussi, il serait stupide d’espérer la duper!  Ne mettez pas notre patience à l’épreuve! »

– « Non, Monseigneur, je dis la vérité… je ne suis pas sûr », s’écria Mans d’une voix aiguë. « Il ne m’a jamais donné son nom ni révélé son identité! »

– « Qu’avez-vous voulu dire par « pas sûr ? »

– « Moi aussi je me suis demandé pourquoi il payait aussi généreusement car il n’avait pas du tout l’air d’un aristocrate. Lorsque nous nous sommes rencontrés il y a quelques jours, il semblait pressé et sa tenue aussi était plutôt étrange. On aurait dit qu’il portait plusieurs vêtements l’un sur l’autre », dit Mans, à bout de souffle. « J’ai eu l’impression qu’il portait un uniforme en dessous et j’ai aussi aperçu un emblème en forme de pétale sur son col. »

– « Un pétale ? » Rossignol et René se regardèrent : « N’est-ce pas l’emblème de la famille Chèvrefeuille ? »

« C’est justement pourquoi j’ai un doute : tout le monde sait que les Hull sont des partisans du Seigneur. Jamais ils ne comploteraient contre Lord Wimbledon », répondit Mans en inclinant la tête.  

– « Cela ne peut être Petrov. Il doit s’agir de quelqu’un d’autre », dit fermement René. « Étant donné qu’ils se voient tous les jours, pourquoi ne pas tendre un piège à ce type ? »

Apparemment, c’était en effet le seul moyen. Ils arrêteraient l’homme lorsque Mans le rencontrerait pour “réclamer sa compensation”. Alors, tout serait éclairci. Rossignol acquiesça, mais elle avait l’impression qu’il manquait quelque chose.

Puisque Mans n’avait pas menti, qu’est-ce qui n’allait pas ?  

– « Sœur Rossignol, tout le monde va bien ? » Cria Foudre de l’extérieur.

– « La réunion va se terminer, Goo. Il nous faut rentrer à présent, Goo! »

Si Rossignol avait demandé à Foudre, Maggie et Assia d’attendre dehors, c’était en raison d’actes violents susceptibles de se produire lors de l’arrestation. Un éclair traversa son esprit quand elle entendit Maggie prononcer le mot “réunion”. En ce moment même, Son Altesse était avec les nobles, pour discuter des détails de la création du nouvel Hôtel de Ville!

Cela signifiait qu’il n’y avait pas un seul garde dans la salle pour protéger le Prince, le plus proche étant dans le couloir.

Si vraiment le commanditaire était membre de la famille Chèvrefeuille, il pouvait pénétrer au château et entrer directement dans la grande salle du premier étage sans éveiller aucun soupçon. Seuls les accès aux deuxième et troisième étages, exclusivement réservés au Prince, lui étaient interdits. Et voilà qu’en ce moment précis, elle n’était pas aux côté de Roland!  

– « Foudre! » Cria Rossignol et sans prendre le temps d’expliquer quoi que ce soit à René et à Mans, elle s’élança hors de la pièce et saisit les épaules de Foudre : « Ramenez-moi immédiatement au château! Il se pourrait que Son Altesse soit en danger!

– « Euh… D’accord… Tenez-vous bien », répondit l’interpelée qui, quoique très surprise, prit aussitôt son aînée sur son dos.

Elle s’envola immédiatement pour le château sans poser de questions. Lorsqu’elle était chargée, la jeune fille volait beaucoup plus bas mais pouvait conserver une vitesse d’environ 100 kilomètres à l’heure. En trente secondes, elles seraient arrivées à destination.

Rossignol, qui espérait se tromper, sentit sa terreur grandir à mesure qu’elle approfondissait les détails de l’affaire.  Les meurtres avaient commencé trois jours auparavant, exactement au moment où la demande d’aide de Petrov était arrivée à la frontière. Le pire scénario serait que cet homme ait en réalité pour but de distraire tout le monde avec plusieurs cas de meurtre afin que Roland se retrouve vulnérable et sans défense.  

Lorsqu’elles arrivèrent à proximité, Rossignol entra dans son brouillard et pénétra dans le château par la voie des airs. Son cœur sombra lorsqu’elle vit le chaos qui régnait dans la salle de réunion. Pétrifiés, tous les nobles se tenaient debout près du mur et murmuraient. Les gardes les encerclaient. Au bout de la longue table, le fauteuil réservé à l’hôte où aurait dû se trouver le prince Roland était vide. Un homme était allongé sur le sol. Rossignol n’aurait pu dire s’il était vivant ou non, mais vit que son corps était recouvert du rideau noir généré par la Pierre du Châtiment Divin.